Observations et recommandations de la Commissaire à l’information dans le cadre de l’examen du système d’accès à l’information au sein du gouvernement du Canada

Janvier 2021

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Table des matières

Message de la Commissaire

Les modifications apportées à la Loi sur l’accès à l’information en juin 2019 prévoient qu’un examen de la Loi doit être entrepris dans l’année suivant l’entrée en vigueur de celles-ci et tous les cinq ans par la suite. Au cours de l’été dernier, le président du Conseil du Trésor a annoncé un examen visant l’ensemble du système d’accès à l’information. La portée de cet examen, qui va au-delà de l’examen exigé par la Loi, se présente comme une excellente occasion pour le gouvernement de répondre à ce que bien des intervenants, plusieurs de mes prédécesseurs ainsi que moi-même réclamons depuis longtemps : une réforme fondamentale du système d’accès.

Pour y parvenir, un véritable leadership sera nécessaire afin de régler plusieurs problèmes dans l’ensemble du système d’accès et d’assurer que ce dernier respecte les principes d’ouverture et de transparence préconisés par la Loi. Le présent document expose des moyens pratiques qui vont au-delà du cadre législatif. Il offre aussi des observations et des recommandations sur la manière d’améliorer le système d’accès. En ce qui concerne mes recommandations, lesquelles mettent à profit plus de 35 ans d’expérience à enquêter sur des plaintes, elles sont loin d’être exhaustives. Elles ont été choisies parce qu’elles constituent, selon moi, un bon point de départ pour aborder les problèmes récurrents qui affligent actuellement le système d’accès et elles sauront produire un impact concret.

Cet examen représente une excellente opportunité pour le gouvernement de faire les changements qui s’imposent en vue d’accroître la transparence des institutions. Les paramètres élargis de l’examen annoncé par le président du Secrétariat du Conseil du Trésor constituent un pas dans la bonne direction.

Caroline Maynard

 

Introduction

 

Dans le cadre de l’examen du système d’accès à l’information au sein du gouvernement fédéral entrepris en juin dernier, le ministre Jean-Yves Duclos, président du Secrétariat du Conseil du Trésor, a sollicité ma perspective et mes recommandations à ce sujet.

Plus précisément, il a déclaré que l’examen portera sur trois éléments clés :

  • Le renouvellement du cadre législatif;
  • Les possibilités d’étendre la divulgation proactive et de rendre ouvertement accessibles un plus grand nombre de renseignements;
  • L’évaluation des processus et des systèmes pour améliorer le service et réduire les délais.

Pour donner suite à sa demande, la première partie de ce document comprendra mes observations sur la façon d’améliorer le système d’accès à l’information au Canada et d’en assurer l’intégrité. Elles porteront sur quatre aspects fondamentaux à l’égard desquels des mesures immédiates et concrètes sont requises, et aborderont notamment les deux derniers points susmentionnés.

La seconde partie traitera du renouvellement du cadre législatif.

Partie I - Améliorer le système d’accès à l’information

Les périodes de crise ont souvent pour effet d’exacerber et d’exposer les points faibles d’un système. La pandémie actuelle ne fait pas exception à la règle, car elle a fait ressortir les points faibles du système fédéral d’accès à l’information.

Ce système d’accès, qui se trouvait déjà dans une phase critique avant la pandémie, pourrait rapidement devenir irréparable si certains problèmes importants ne sont pas réglés, particulièrement :

  1. Le leadership insuffisant et l’absence de directives claires relativement à la transparence et aux attentes en matière de divulgation;
  2. Le besoin pressant d’innover et d’affecter des ressources adéquates au système d’accès;
  3. La nécessité de documenter adéquatement les décisions et de gérer efficacement l’information des institutions;
  4. La déclassification des documents en temps opportun.

Ces éléments sont essentiels au bon fonctionnement du système d’accès et méritent l’attention immédiate du gouvernement et des responsables des institutions, tout autant que l’examen législatif.

1. Le leadership insuffisant et l’absence de directives claires relativement à la transparence et aux attentes en matière de divulgation

Pour que le système d’accès fonctionne adéquatement, il est essentiel que les hauts dirigeants du gouvernement et les responsables des institutions s’engagent clairement et fassent preuve d’un leadership fort en ce qui a trait à la promotion de la transparence et à la divulgation d’information. Ce leadership est effectivement indispensable pour provoquer un changement de culture au sein du gouvernement. Il implique notamment de :

  • Tout mettre en œuvre afin de s’assurer que les institutions fédérales respectent la législation existante. Comme le montrent les statistiques du Secrétariat du Conseil du Trésor et les nombreuses plaintes que traite le Commissariat, ce n’est souvent pas le cas;
  • Faire preuve de transparence dès le départ et communiquer plus d’information volontairement et indépendamment de l’obligation légale en matière de publication proactive, puisque cela constitue la base d’un gouvernement ouvert. Par conséquent, la publication volontaire de plus d’information, surtout celle d’intérêt public, devrait être une pratique courante et devrait être fortement encouragée. Aussi, le fait d’accroître la transparence permettrait aux Canadiens de mieux comprendre les décisions et les politiques de leur gouvernement, et contribuerait à une meilleure responsabilité;
  • Adopter des pratiques optimales en matière de gestion de l’information;
  • Veiller à ce que les institutions prennent immédiatement les mesures nécessaires pour revoir et améliorer leur processus de traitement des demandes d’accès afin de réduire les délais de réponse. Outre les modifications législatives, il est essentiel d’enrayer la culture de complaisance et de ne plus banaliser, voire tolérer, les retards.

Seule une volonté manifeste d’ouverture et de transparence au plus haut niveau pourra susciter l’engagement nécessaire au sein des institutions afin d’engendrer des répercussions profondes sur l’accès à l’information.

2. Le besoin pressant d’innover et d’affecter des ressources adéquates au système d’accès

Le système d’accès continue de connaître des difficultés de plus en plus apparentes, particulièrement en raison du manque de personnel qualifié pour traiter les demandes d’accès et de l’utilisation, par les institutions, de méthodes archaïques en ce qui a trait au traitement, à la gestion et à la transmission de l’information.

  • Bon nombre d’équipes de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP) ont un besoin criant de personnel qualifié supplémentaire. Le gouvernement se doit d’investir suffisamment dans les ressources humaines : créer des bassins, embaucher du personnel suffisamment qualifié et concevoir de la formation adéquate et continue pour les employés;
  • Les institutions ne profitent pas suffisamment des avantages que présentent les nouvelles technologies. Or, faire preuve d’innovation et recourir à des outils technologiques adaptés permettrait une meilleure utilisation des ressources financières et humaines.

Les nouvelles technologies pourraient aussi être mises à profit pour la collecte des statistiques opérationnelles des institutions en matière d’accès. En conséquence, des statistiques mises à jour régulièrement donneraient un portrait plus précis du système d’accès et des défis auxquels font face les institutions, afin de permettre d’y répondre promptement. Le procédé adopté par l’Écosse, où les statistiques sont colligées tous les trois mois au moyen d’un système informatique, et non par l’entremise d’un rapport annuel, permet d’évaluer diligemment les tendances et le rendement des institutions. De plus, ce système informatique permet d’intervenir au besoin et rapidement, une situation qui n’existe pas en ce moment au sein de notre système d’accès.

3. La nécessité de documenter adéquatement les décisions et de gérer efficacement l’information des institutions

Le droit d’accès est tributaire de deux éléments : la documentation adéquate, par les institutions, de leurs activités et décisions clés, et la conservation de ces documents.

Sans document, le droit d’accès n’existe pas. Bien que certaines politiques et directives gouvernementales établissent un cadre régissant la documentation des activités clés du gouvernement, les enquêtes menées par le Commissariat démontrent que ces activités ne sont pas toujours adéquatement documentées. Les auteurs des demandes d’accès (ou demandeurs) se voient parfois répondre qu’il n’existe pas de documents relativement à une activité menée par une institution ou à une décision prise par celle-ci. Une telle réponse suppose qu’aucun document n’a été créé ou qu’il a été supprimé, alors qu’il aurait dû être conservé.

L’absence de documents semble avoir deux causes principales :

  • L’utilisation de nouvelles technologies de communication qui complexifient la gestion de l’information et la conservation de documents échangés électroniquement;
  • Un manque de rigueur au niveau de la documentation des activités et des décisions clés des institutions.

L’établissement d’une obligation législative pour les fonctionnaires et la haute direction de créer un registre complet et exact des activités clés renforcera la responsabilité, la transparence, la bonne gouvernance et la confiance du public. En outre, une telle obligation est conforme à l’un des principaux objectifs de la Loi, soit la responsabilité des institutions.

Dans ce domaine, il existe des modèles législatifs étrangers qui ont fait leurs preuves et dont le gouvernement pourrait s’inspirer, notamment ceux des États-Unis, de la Nouvelle-Zélande et de certains états australiens.

Une bonne gestion de l’information relative aux activités clés est essentielle pour répondre de manière efficace aux demandes d’accès. Dans ses enquêtes, le Commissariat constate des difficultés sur le plan de la gestion de l’information, principalement la multiplication des documents, des doubles ainsi que des versions et des courriels sur plusieurs plateformes, ce qui rend le repérage des documents et le traitement des demandes ardus. Il y a également les problèmes liés à l’avènement des nouvelles technologies, comme la messagerie instantanée, lesquelles sont de plus en plus utilisées par les institutions.

Pour ce qui est de la nécessité de documenter, je vous invite également à prendre connaissance de la résolution conjointeNote de bas de page 1 que les commissaires à l’information et à la protection de la vie privée du Canada ont prise en 2016. Cette résolution résume bien, selon moi, les préoccupations relatives à la tendance à répondre qu’aucun document n’existe lorsqu’on reçoit des demandes d’accès. Par l’entremise de cette résolution, les commissaires demandent à leur gouvernement respectif d’obliger légalement les entités publiques à documenter leurs délibérations, actions et décisions.

4. La déclassification des documents en temps opportun

L’absence d’un système de déclassification (désignations de sécurité) au Canada a une incidence grandissante sur le système d’accès. La désignation de sécurité d’un document ne justifie pas à elle seule la non-communication en vertu des exceptions relatives à la sécurité nationale prévues par la Loi (articles 13 et 15). Toutefois, elle contribue souvent au recours excessif à ces exceptions, ce qui allonge le délai de traitement des demandes. Le Commissariat à l’information a actuellement plus de 3 800 plaintes dans son inventaire. Près de 20 % de cette charge de travail concerne des plaintes relatives aux exceptions en matière de sécurité nationale (articles 13 et 15 de la Loi).

Force est de constater que, bien souvent, la sensibilité des documents relatifs à la sécurité nationale diminue avec le temps. Un système de déclassification adéquat, basé sur des examens périodiques et le consensus d’experts, permettrait aux chercheurs et à d’autres personnes d’avoir accès aux documents n’étant plus sensibles du point de vue de la sécurité nationale, grâce à des mécanismes autres que la Loi. Cela allégerait la pression sur le système d’accès à l’information et permettrait d’obtenir un meilleur résultat pour tous les intervenants.

Par conséquent, le gouvernement devrait faire preuve de leadership comme l’ont fait les États‑Unis et le Royaume-Uni, et adopter un système de déclassification de ces documents lorsqu’il est raisonnable de le faire.

En plus de contribuer globalement à un gouvernement ouvert, à la transparence et à la responsabilisation, la déclassification et la diffusion de documents historiques importants sur la sécurité nationale et le renseignement au Canada comportent des avantages pour le public. Pour obtenir des exemples quant aux avantages et à des pistes possibles pour l’établissement d’une stratégie de déclassification, je vous invite à prendre en considération le document intitulé Stratégie de déclassification pour les documents relatifs à la sécurité nationale et au renseignementNote de bas de page 2.

Partie II – L’examen de la Loi sur l’accès à l’information

Passons maintenant à mes recommandations relatives à l’examen de la Loi, qui visent à mettre en œuvre les objectifs suivants :

  • Améliorer le traitement des demandes d’accès en contrôlant mieux les délais;
  • Élargir l’application de la Loi pour augmenter l’accès aux documents de l’administration fédérale;
  • Accroître la portée de l’examen indépendant des décisions de refus de communication prises par les institutions;
  • Favoriser le droit d’accès, tout en limitant les exceptions et les exclusions.

J’encourage le gouvernement à poursuivre activement ces objectifs en faisant preuve de leadership et en consacrant le temps et les ressources nécessaires à leur réalisation.

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi en 1983, de nombreux acteurs, dont les commissaires qui se sont succédés, de même que différents comités et groupes de travail, se sont penchés à maintes reprises sur les divers éléments de cette dernière. Au fil du temps, ils ont émis de nombreuses recommandations dans le but d’améliorer la Loi. Encore aujourd’hui, la majorité de ces recommandations demeurent pertinentes et correspondent aux objectifs susmentionnés. J’invite donc le ministre Duclos et son équipe à prendre connaissance des rapports suivants en particulier :

  • Comment mieux servir les Canadiens du Groupe d’étude de l’accès à l’informationNote de bas de page 3;
  • Réponse au rapport du groupe d’étude de l’accès à l’information : rapport spécial au Parlement du Commissaire John ReidNote de bas de page 4;
  • Renforcer la Loi sur l’accès à l’information, discussion d’idées inhérentes à la réforme de la Loi sur l’accès à l’information du Gouvernement du CanadaNote de bas de page 5;
  • Renforcer la Loi sur l’accès à l’information pour faire face aux impératifs actuels du Commissaire Robert MarleauNote de bas de page 6;
  • Viser juste pour la transparence de la Commissaire Suzanne LegaultNote de bas de page 7;
  • Examen de la Loi sur l’accès à l’information du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthiqueNote de bas de page 8.

Veuillez noter que le but de cette partie du document n’est pas de répéter tout ce qui se trouve dans ces rapports, mais bien d’identifier, de façon non exhaustive, les modifications législatives les plus à même de favoriser l’atteinte de ces objectifs et de produire un impact concret sur le système d’accès à l’information. Les recommandations sont aussi fondées sur les données d’enquête du Commissariat à l’information, qui donnent une perspective unique du système d’accès.

Délais

Recommandation 1 

La Loi devrait prévoir la durée maximale des consultations qui sont nécessaires pour donner suite à une demande d’accès.

Il est primordial de répondre aux demandes d’accès en temps utile. Des informations désuètes ou ayant perdu leur pertinence en raison du temps écoulé compromettent la possibilité pour le public de participer utilement au processus démocratique et de demander des comptes au gouvernement. Malheureusement, la culture du retard qui s’est installée au fil du temps persisteNote de bas de page 9. Les longs délais de traitement des demandes d’accès constituent l’un des problèmes majeurs du système d’accès.

La Loi prévoit qu’une institution doit répondre à une demande d’accès dans les 30 jours suivant sa réception. Au cours des dernières années, les statistiques du Conseil du Trésor montrent une diminution d’environ 14 % quant aux demandes ayant été traitées dans les délais prévus par la LoiNote de bas de page 10. En 2018-2019, plus du quart des demandeurs n’ont pas reçu les documents demandés dans les délais prévus.

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Exercice

Nombre de demandes d’accès traitées dans les délais prévus (y compris les prorogations de délai)

Pourcentage des demandes d’accès traitées dans les délais prévus

2014-2015

58 627

87,5 %

2015-2016

62 366

85,9 %

2016-2017

70 128

80,7 %

2017-2018

74 453

76,2 %

2018-2019

91 402

73,1 %

Qui plus est, le pourcentage de demandes d’accès nécessitant de longs délais pour y répondre continue d’augmenter. En 2018-2019, 14 605 demandes ont nécessité 121 jours ou plus pour leur traitement.

Temps nécessaire pour traiter les demandes d’accès en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, de 2014-2015 à 2018-2019

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Délai de traitement

2014-2015

2015-2016

2016-2017

2017-2018

2018-2019

De 0 à 30 jours

65,1 %

64,1 %

64,5 %

55,4 %

55,8 %

De 31 à 60 jours

19,6 %

21,3 %

18,0 %

22,6 %

24,6 %

De 61 à 120 jours

8,0 %

7,5 %

9,5 %

11,1 %

8,0 %

121 jours ou plus

7,3 %

7,1 %

8,0 %

10,9 %

11,7 %

*Cela représente une augmentation de 4,4 % au cours des cinq derniers exercices.

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi en 1983, le Commissariat a enquêté sur des milliers de plaintes relatives aux retards dans le traitement des demandes d’accès et aux prorogations de délai, et continue d’en recevoir par milliers.

Dans ce contexte, il est donc essentiel d’attaquer le problème des délais de traitement des demandes d’accès. Selon ce que j’ai pu observer dans le cadre de mes enquêtes, ce problème est particulièrement critique lorsque les institutions consultent d’autres institutions et parties concernées pour donner suite à une demande d’accès. La Loi prévoit que, lorsque la consultation rend déraisonnable le respect du délai de 30 jours, les institutions peuvent proroger ce délai, pourvu que la durée de la prorogation soit raisonnable dans les circonstances. Toutefois, l’absence de délais dans la Loi pour répondre aux consultations constitue l’une des causes du retard qu’invoquent régulièrement les institutions en ce qui concerne les réponses aux demandes d’accès.

Le pourcentage de prorogations de délai utilisées pour procéder à des consultations avec d’autres institutions ou d’autres parties continue d’augmenter d’un exercice à l’autre. En 2018‑2019, les prorogations de délai aux fins de consultation représentaient 48 % de l’ensemble des prorogations de délai.

D’ailleurs, les enquêtes du Commissariat ont permis de constater ce qui suit :

  • Bien que la Directive provisoire concernant l’administration de la Loi sur l’accès à l’informationNote de bas de page 11 du Secrétariat du Conseil du Trésor prévoie que les institutions doivent accorder la même importance aux consultations qu’aux demandes d’accès, les institutions consultées privilégient généralement les réponses aux demandes d’accès qu’elles reçoivent au détriment des réponses aux demandes de consultation;
  • Les institutions établissent entre elles des normes globales pour répondre aux demandes de consultation. De façon générale, ces normes sont uniquement fondées sur le nombre de pages qui font l’objet de la consultation. La mise en place de ces normes fait en sorte que les institutions ne tiennent pas compte du type d’exceptions, de la sensibilité de l’information, du contenu ou de l’âge des documents pour établir un délai raisonnable de réponse aux demandes de consultation.

Les réponses tardives des institutions aux demandes de consultation ont pour conséquence d’engendrer des retards importants dans le traitement des demandes d’accès. Il faut comprendre que, tant et aussi longtemps qu’une consultation est en cours, les institutions ne répondent généralement pas à la demande d’accès, même si, en vertu de la Loi, rien ne les en empêche. Les consultations auprès d’autres institutions ne sont pas obligatoires. Les institutions qui traitent une demande d’accès ont la discrétion de tenir ou non des consultations. Toutefois, les enquêtes du Commissariat démontrent que les institutions prennent rarement la décision de communiquer des renseignements sans tenir une consultation lorsque ceux-ci concernent d’autres institutions. Par conséquent, le demandeur n’a pas accès aux documents demandés, en totalité ou en partie, en temps utile.  

Lorsqu’une institution décide de tenir une consultation, la Loi devrait mieux encadrer ce processus et prévoir la durée maximale des consultations qui sont nécessaires pour donner suite à une demande d’accès. Ainsi, le fait d’imposer aux institutions et aux parties consultées l’obligation de répondre dans un délai prescrit contribuerait à diminuer les délais de traitement des demandes d’accès.

Élargir l’application de la Loi sur l’accès à l’information

Recommandation 2

Les organismes auxquels le gouvernement a imparti la prestation de programmes, qui fournissent des services gouvernementaux ou qui exercent des activités de nature gouvernementale, devraient être assujettis à la partie I de la Loi.

Recommandation 3

Les cabinets du premier ministre et des ministres devraient être assujettis à la partie I de la Loi.

Comme le note la Commissaire Legault, la gestion et l’administration gouvernementales ont subi et elles continuent de subir d’importantes transformationsNote de bas de page 12. De plus en plus, le gouvernement transfère certains des services publics et des fonctions gouvernementales à des organismes du secteur privé ou à des organisations qu’il crée ayant diverses structures organisationnelles et étant souvent libres de tout lien de dépendance avec le gouvernement.

Or, ces organismes ou organisations échappent à l’application de la Loi, ce qui rend difficile, voire même impossible, l’accès aux renseignements relatifs à l’administration des services fédéraux et à l’exercice des fonctions publiques qui leur ont été confiés par le gouvernement. Les enquêtes du Commissariat démontrent que, lorsque les demandeurs tentent d’obtenir ces renseignements auprès des institutions fédérales, ils s’en font refuser l’accès au motif que les documents « ne relèvent pas » d’elles, mais bien des organismes ou organisations en question.

Dans l’intérêt de la transparence et de la responsabilité, il faut donc permettre aux demandeurs de continuer à avoir accès aux renseignements en élargissant la portée de la Loi pour la rendre à tout le moins applicable aux organismes ou organisations :

  • auxquels le gouvernement a imparti la prestation de programmes;
  • qui fournissent des services gouvernementaux par l’entremise du secteur privé;
  • qui exercent des activités de nature gouvernementale.

Pour les mêmes raisons, les cabinets du premier ministre et des ministres devraient également être assujettis à la Loi. Les documents qu’ils détiennent devraient être accessibles au public, sauf ceux de nature personnelle ou politique.

Il est vrai que les cabinets du premier ministre et des ministres sont maintenant tenus de publier des renseignements en vertu de la partie II de la Loi. Ces renseignements comprennent notamment :

  • les lettres de mandat;
  • l’ensemble des documents d’information à l’intention des nouveaux ministres;
  • les titres des notes d’information à l’intention des ministres;
  • les renseignements sur l’utilisation des fonds publics (dépenses de déplacement et d’accueil, contrats d’une valeur supérieure à 10 000 $, dépenses engagées par le cabinet d’un ministre);
  • les notes de la période des questions et les documents d’information se rapportant aux comparutions devant les comités parlementaires.  

Les cabinets possèdent d’autres documents concernant leur administration et les décisions qu’ils prennent, qui ne sont pas visés par la partie II de la Loi. Il est important de permettre au public d’avoir accès aux documents qui l’intéressent, et non seulement à ceux qui lui sont offerts de façon proactive. Les documents qui ne sont pas de nature personnelle ou politique devraient donc être accessibles au public au titre de la partie I. C’est pourquoi les cabinets du premier ministre et des ministres devraient donc être assujettis à cette partie de la Loi.

Limiter les exceptions et les exclusions

Renseignements personnels

Recommandation 4

La Loi devrait permettre aux responsables des institutions fédérales de donner accès à des renseignements personnels lorsque leur communication ne constitue pas une atteinte injustifiée à la vie privée.

Recommandation 5

La Loi devrait permettre aux responsables des institutions fédérales de donner accès aux renseignements personnels d’une personne décédée à son conjoint ou à ses proches parents pour des motifs de compassion.

Recommandation 6

La Loi devrait permettre la communication des coordonnées d’affaires ou professionnelles d’une personne.

Le paragraphe 19(1) de la Loi exige que les renseignements correspondant à la définition de « renseignements personnels » au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels soient soustraits à la communication. Le paragraphe 19(2) de la Loi prévoit, quant à lui, des exceptions à l’interdiction générale de communiquer des renseignements personnels.

L’article 19 est l’exception la plus utilisée dans la Loi. En 2018-2019, les institutions ont invoqué cette exception dans 42 % des demandes d’accès, soit 52 374 fois.

Je réitère les observations que j’ai présentées en septembre 2019 au ministère de la Justice Canada concernant l’examen de la Loi sur la protection des renseignements personnelsNote de bas de page 13. Ces recommandations visent à trouver un juste équilibre entre le droit d’accès et les droits liés à la protection des renseignements personnels.

Critère de l’atteinte injustifiée à la vie privée

Certains renseignements correspondant à la définition de « renseignements personnels » peuvent ne pas devoir être protégés dans certaines circonstances précises lorsque la communication ne constituerait pas une « atteinte injustifiée à la vie privée d’une personne ». Le fait de tenir compte des circonstances et du contexte propre à l’information en question assurerait la protection des renseignements personnels sensibles et la communication maximale des renseignements personnels non sensibles.

La plupart des lois provinciales et territoriales du Canada sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels (à l’exception de la Saskatchewan et du Québec) prévoient des circonstances où l’exception relative aux renseignements personnels ne s’applique pas lorsque la communication de ceux-ci ne constitue pas une « atteinte injustifiée à la vie privée ». En Ontario, la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée présente une liste non exhaustive de circonstances dont doit tenir compte le responsable d’une institution pour décider si la communication des renseignements personnels à la suite d’une demande d’accès constitue une atteinte injustifiée à la vie privée d’une personne. J’invite donc le ministre Duclos et son équipe à prendre connaissance de cette liste afin de s’en inspirer.

Communication pour des motifs de compassion

La communication des renseignements personnels d’une personne décédée à son conjoint ou à un proche parent devrait être autorisée lorsque cela est souhaitable pour des motifs de compassion, pour autant que cette communication ne constitue pas une atteinte injustifiée à la vie privée de la personne décédée.

Bien que la Loi permette la communication de renseignements personnels lorsqu’il est dans l’intérêt public de le faire, le Commissariat a mené des enquêtes où les renseignements personnels de la personne décédée ne pouvaient être communiqués aux membres de la famille en deuil parce que des motifs d’intérêt public justifiant « nettement une éventuelle violation de la vie privée » ne pouvaient être établis.

Ainsi, une telle modification permettrait à l’institution de tenir compte de facteurs contextuels concurrents et de prendre une décision fondée sur ces facteurs, y compris des motifs de compassion.

Cette exception existe déjà dans de nombreuses lois provinciales sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels, notamment l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, l’Ontario, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-LabradorNote de bas de page 14.

Coordonnées d’affaires ou professionnelles

Il faudrait permettre la communication des nom, titre, adresse et numéro de téléphone d’affaires ou professionnels d’un employé appartenant à une organisation qui identifie cette personne dans l’exercice d’une activité commerciale, professionnelle ou officielle.

Les institutions sont actuellement tenues de ne pas communiquer ces renseignements, sauf si la personne concernée par ceux-ci consent à leur divulgation, s’ils sont accessibles au public ou si leur communication serait conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnelsNote de bas de page 15. Ce type de renseignements, se trouvant habituellement dans un courriel ou sur une carte professionnelle, est divulgué de façon régulière dans le secteur privé. La Loi devrait donc être modifiée pour permettre la communication des coordonnées d’affaires ou professionnelles en réponse à des demandes d’accès, soit dans des circonstances où il n’y a pas d’atteinte injustifiée à la vie privéeNote de bas de page 16 ou en les excluant de la définition de « renseignements personnels Note de bas de page 17».

Renseignements confidentiels du Cabinet

Recommandation 7

Les renseignements confidentiels du Cabinet devraient être assujettis à la Loi.

Recommandation 8

La Commissaire à l’information devrait avoir accès aux documents contenant des renseignements confidentiels du Cabinet dont le responsable d’une institution refuse la communication.

L’objectif précis de la partie I de la Loi est de donner au public un droit d’accès à l’information des institutions fédérales. Bien que cette partie de la Loi ait pour objet d’élargir l’accès, ce droit n’est toutefois pas illimité :

  • La Loi prévoit expressément que certains types de renseignements et de documents sont exclus de son application. Autrement dit, les informations exclues ne sont pas soumises au droit d’accès.
  • La Loi prévoit des exceptions précises à la communication qui restreignent le droit d’accès lorsqu’il est nécessaire de protéger l’information pour éviter, entre autres, l’atteinte à d’autres droits ou préserver la sécurité nationale.

Pour atteindre l’objectif principal de la Loi, des mécanismes de révision ayant trait aux décisions des institutions fédérales de refuser une demande d’accès sont essentiels. Ceux-ci doivent être indépendants du pouvoir exécutif. Pour l’instant, la Loi en prévoit deux : la première étant l’enquête que mène la Commissaire à l’information et la seconde, la révision par les tribunaux.

Ces mécanismes de révision permettent d’examiner de manière indépendante l’application, par les institutions, des exceptions à la communication. 

Il en va autrement pour les documents exclus de l’application de la Loi. Lorsqu’ils sont visés par une exclusion plutôt que par une exception, ces documents échappent généralement aux mécanismes de révision prévus par la Loi. C’est notamment le cas des documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada (renseignements confidentiels du Cabinet).

La Loi prévoit cinq exclusions, mais c’est celle prévue à l’article 69 de la Loi qui est la plus fréquemment invoquée par les institutions. Au cours de l’exercice 2018-2019, les institutions ont eu recours 4 660 fois aux diverses catégories de documents prévues à l’article 69, comparativement à 571 fois pour l’exclusion prévue à l’article 68, 47 fois pour celle prévue à l’article 68.1 et 2 fois pour celle prévue à l’article 68.2Note de bas de page 18.

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Exercice

Nombre de fois où l’article 69 a été invoqué par les institutions

2014-2015

3 122

2015-2016

3 279

2016-2017

4 023

2017-2018

4 279

2018-2019

4 660

*Cela représente une augmentation de 1 538 fois (soit 49,2 %) au cours des cinq derniers exercices.

Comme le note la Commissaire Legault dans un rapport spécial présenté au Parlement en 2015Note de bas de page 19, l’exclusion des renseignements confidentiels du Cabinet est problématique, et je suis du même avis.

Tel que l’a indiqué la Cour suprême du Canada, « [l]a confidentialité des délibérations du Cabinet est essentielle au bon gouvernementNote de bas de page 20 ». Toutefois, comme l’affirme Yan Campagnolo dans son ouvrage intitulé Le secret ministériel : théorie et pratique, « [l]’absence de mécanisme de surveillance et de contrôle adéquats, jumelée à la portée excessivement large du régime législatif, confère à l’exécutif une discrétion illimitée qui peut aisément faire l’objet d’abusNote de bas de page 21 ». Il faut donc un moyen pour vérifier si les documents dont l’accès est refusé constituent réellement des renseignements confidentiels du Cabinet. Cela dit, le système actuel choisi par le législateur ne le permet pas. À vrai dire, il :

  • met les renseignements confidentiels du Cabinet à l’abri de la révision indépendante de la Commissaire et prive le demandeur d’un palier de révision;
  • amène les demandeurs à restreindre les documents qu’ils veulent obtenir. En effet, ils précisent fréquemment, soit dans leur demande d’accès ou après que l’institution leur en a fait la demande, que les renseignements pouvant être considérés comme des renseignements confidentiels du Cabinet sont exclus de la réponse.

Il est également important de noter que, année après année, le Commissariat enregistre une diminution des plaintes relatives à l’article 69. Cette diminution serait directement liée aux limites imposées à mes pouvoirs d’enquête. Bien que 57 des 157 plaintes reçues depuis le 1er avril 2015 se soient avérées fondées sur la base d’observations insuffisantes fournies par les institutions, 63 des 157 plaintes ont été abandonnées par les parties plaignantes une fois que les limites de mes pouvoirs d’enquête leur ont été expliquées.

Le principe de la confidentialité des délibérations du Cabinet a vraisemblablement amené le législateur à vouloir limiter l’accès aux renseignements confidentiels du Cabinet. Assujettir ces renseignements à l’application de la Loi me permettrait de vérifier que les limites voulues par le législateur ont effectivement été respectées par les institutions. 

Un examen indépendant des documents pour lesquels une institution revendiquerait une exception à la communication relative aux renseignements confidentiels du Cabinet permettrait de vérifier que les documents relèvent de l’une des catégories de documents énumérées au paragraphe 69(1) de la Loi.

Le rapport Viser juste pour la transparence donne une description de la protection accordée aux renseignements confidentiels du Cabinet dans les provinces canadiennes, l’Australie, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande :

 

Les exceptions visant les documents confidentiels du Cabinet en Colombie-Britannique, en Alberta, au Manitoba, en Ontario, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard mettent l’accent sur la teneur des travaux et établissent la liste du type de renseignements qu’elles couvriront, comme les conseils, les recommandations, les considérations générales ou les avant-projets de lois. Seule la loi en matière d’accès à l’information de Terre-Neuve-et-Labrador contient une exclusion pour les documents préparatoires ministériels. D’autres documents du Cabinet à Terre-Neuve-et-Labrador font l’objet d’une exception; toutefois, la capacité de contrôle du commissaire est limitée quant à la surveillance des documents pour lesquels un certificat est délivré attestant qu’il s’agit de documents officiels du Cabinet. Au Royaume-Uni, la protection met l’accent sur la probabilité que la divulgation porte atteinte au maintien de la convention de la responsabilité collective des ministres de la Couronne ou fasse obstacle à la formulation d’avis et à l’échange de vues libres et sincères aux fins de la délibération ou nuise autrement à la conduite efficace des affaires publiquesNote de bas de page 22.

Ainsi, rendre la Loi applicable aux renseignements confidentiels du Cabinet placerait le Canada dans une situation semblable à celles des provinces canadiennes de même qu’à celle des pays mentionnés plus haut.

L’assujettissement des renseignements confidentiels du Cabinet à la Loi me donnerait accès aux documents contenant des renseignements confidentiels du Cabinet dont le responsable d’une institution refuse la communication. Autrement, je me trouve dans l’impossibilité d’établir de manière objective et indépendante si les documents contiennent bel et bien des renseignements confidentiels du Cabinet.

Avis ou recommandations

Recommandation 9

Le paragraphe 21(2) de la Loi devrait être modifié pour y ajouter une liste de catégories de renseignements qui ne sont pas protégées par l’exception.

Recommandation 10

La période de 20 ans prévue au paragraphe 21(1) de la Loi devrait être réduite à 10 ans.

L’article 21 de la Loi est une exception discrétionnaire permettant aux institutions de refuser la divulgation de documents, datés de moins de 20 ans avant la demande d’accès, qui contiennent des :

  • avis ou de recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre;
  • comptes rendus de consultations ou de délibérations auxquelles ont participé des employés du gouvernement, des ministres ou leur personnel;
  • positions ou plans élaborés aux fins de négociations par le gouvernement du Canada ou en son nom;
  • projets relatifs à la gestion du personnel ou à l’administration des institutions lorsque ces projets n’ont pas encore été mis en œuvre.

Toutefois, le paragraphe 21(2) interdit expressément aux institutions d’invoquer l’alinéa 21(1)b) pour refuser de communiquer ce qui suit :

  • Des documents qui contiennent les motifs ou les comptes rendus de décisions, prises par les institutions dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire ou dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, qui touchent les droits d’une personne;
  • Des rapports établis par des consultants ou des conseillers qui n’étaient pas, au moment où ces rapports ont été établis, des administrateurs, des dirigeants ou des employés d’une institution ou des membres du personnel du ministre.

L’article 21 est l’une des exceptions les plus fréquemment invoquées par les institutions. Selon les données du Secrétariat du Conseil du Trésor, cette exception a été invoquée 11 609 fois en 2018-2019 et dans près du tiers des plaintes de refus reçues au Commissariat.

Il ne fait pas de doute que l’intérêt public requiert que les processus décisionnels et d’élaboration de politiques du gouvernement commandent une certaine protection pour permettre aux fonctionnaires de fournir aux ministres et aux institutions des conseils de manière complète, ouverte et franche. « Le défi est de ne protéger que ce qui doit être protégé dans l’intérêt publicNote de bas de page 23. » Une grande partie des renseignements contenus dans les documents visés à l’article 21 peuvent être rendus publics sans mettre en péril les processus décisionnels ou d’élaboration de politiques des ministres et des institutions. Pourtant, les enquêtes du Commissariat démontrent que les institutions invoquent l’article 21 sans tenir compte de l’objectif de l’exception ni se demander si le refus de communication servirait l’intérêt public.

La Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée en OntarioNote de bas de page 24 contient une liste d’exceptions obligatoires à l’exception relative aux avis et aux recommandations d’un fonctionnaire. Si les renseignements entrent dans l’une de ces catégories, l’accès ne peut être refusé. La Colombie-Britannique dispose d’une disposition semblable.

Une approche plus explicite permettant de recourir à une liste de catégories faciliterait l’application de la Loi. Le ministère de la Justice était aussi de cet avis en 2006 lorsqu’il a affirmé qu’une liste de catégories « peut être utile pour encourager la divulgation de renseignements n’étant ni des avis ni des délibérations. Elle pourrait aider à établir un meilleur équilibre entre la communication des renseignements et l’exemption de ceux méritant encore d’être protégés.Note de bas de page 25 »

À l’instar du Groupe d’étude de l’accès à l’informationNote de bas de page 26 et de la Commissaire LegaultNote de bas de page 27, je recommande d’ajouter au paragraphe 21(2) une liste de renseignements qui ne seraient pas protégés par l’exception. Cette liste devrait particulièrement inclure :

  • les données factuelles qui, par elles-mêmes, ne reflètent pas la nature ou le contenu des avis;
  • les sondages d’opinion;
  • les enquêtes statistiques;
  • les prévisions économiques;
  • les évaluations (p. ex. l’évaluation des biens immobiliers détenus par une institution fédérale);
  • les directives ou lignes directrices à l’intention des employés d’une institution publique
  • l’information que le responsable d’une institution fédérale a évoquée publiquement comme étant le fondement d’une prise de décision ou de la formulation d’une politique.

La période de 20 ans pendant laquelle l’exception est applicable aux documents est nettement trop longue. Elle met un frein supplémentaire à la communication en temps utile des documents relatifs aux activités du gouvernent pour permettre un débat public sur la conduite des institutions.

Les enquêtes du Commissariat démontrent que les institutions sont peu enclines à exercer leur discrétion pour décider de communiquer des documents de moins de 20 ans, et ce, même en l’absence d’un préjudice à l’intérêt public. Bien que l’intervention du Commissariat dans le cadre de ses enquêtes puisse amener les institutions à communiquer de tels documents, le fait d’obliger les demandeurs à déposer une plainte ne constitue pas la manière la plus rapide et efficace de donner accès à des documents qui ne sont plus susceptibles de causer un préjudice. 

Par conséquent, cette période devrait être réduite à 10 ans. Comme le mentionne le rapport du Groupe d’étude de l’accès à l’information, « il est peu probable que de réduire la période de protection de 20 à 10 ans compromette la franchise ou l’intégrité des conseils fournis au gouvernement, la convention de la responsabilité ministérielle ou l’autorité des ministresNote de bas de page 28 ».

Interdictions fondées sur d’autres lois

Recommandation 11

La Commissaire à l’information devrait être consultée lors du processus visant l’ajout de nouvelles interdictions fondées sur d’autres lois à la l’annexe II de la Loi.

Le paragraphe 24(1) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements dont la communication est restreinte par une disposition de l’annexe II de la Loi

Au moment où la Loi a été adoptée en 1983, cette annexe contenait 40 interdictions provenant de 33 lois. Au cours des dernières années, le nombre d’interdictions fondées sur d’autres lois a continué d’augmenter.

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Date de modification

Interdictions

Lois

Version de l’annexe du 2019-06-21 au 2019-08-27

91

63

Version de l’annexe du 2019-06-18 au 2019-06-20

89

62

Version de l’annexe du 2012-07-06 au 2012-09-29

81

60

Version de l’annexe du 2002-12-31 au 2003-05-12

70

52

*L’annexe contient présentement 102 interdictions provenant de 65 lois.

Or, de nombreuses interdictions fondées sur d’autres lois ont été ajoutées sans vraiment faire l’objet d’un débat ou d’un examen approfondi, notamment :

  • des facteurs et motifs justifiant leur ajout à l’annexe II;
  • des effets sur l’accès;
  • de la nécessité de les inclure alors que la Loi accorderait déjà une protection adéquate contre la divulgation.

Compte tenu des conséquences importantes de ces restrictions sur l’accès à l’information, je devrais être consultée lors du processus visant l’ajout de toutes nouvelles interdictions fondées sur d’autres lois. De plus, considérant l’expertise du Commissariat, la consultation permettrait notamment d’assurer que les considérations pertinentes relatives aux incidences sur le droit d’accès auront été adéquatement présentées et prises en considération par le Parlement avant que d’autres interdictions fondées sur d’autres lois ne soient ajoutées.

Primauté de l’intérêt public

Recommandation 12

La Loi devrait inclure une disposition selon laquelle les institutions sont tenues de communiquer les renseignements concernant un risque de préjudice important à la santé publique, à la sécurité publique ou à la protection de l’environnement.

La Loi ne prévoit pas de disposition générale prévoyant la primauté de l’intérêt public. Dans le cas des exceptions discrétionnaires, le responsable d’une institution doit tenir compte de tous les facteurs pertinents, y compris l’intérêt public, lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire de communiquer ou non. Dans le cas des exceptions obligatoires prévues par la Loi, seulement deux paragraphes [19(2) et 20(6)] permettent aux institutions, pour des motifs d’intérêt public, de communiquer des renseignements de tiers ou des renseignements personnels qu’elles seraient autrement tenues de ne pas communiquer.

La Loi, comme elle est actuellement rédigée, ne traite pas de manière adéquate du droit du public à l’information dans des circonstances où la santé et la sécurité de celui-ci pourraient subir un préjudice important. La primauté de l’intérêt public reconnaît l’importance de l’accès du public aux renseignements critiques et urgents détenus par le gouvernement, et l’obligation de ce dernier de fournir ces renseignements sans délai.

Six lois provinciales sur l’accès et la protection des renseignements personnels contiennent des dispositions qui obligent une institution, qu’elle fasse ou non l’objet d’une demande d’accès, à communiquer sans délai les renseignements concernant un risque de préjudice important à la santé publique, à la sécurité publique ou à l’environnementNote de bas de page 29.

Mécanisme de révision indépendant pour la partie II de la Loi sur l’accès à l’information

Recommandation 13

La Loi devrait contenir un mécanisme de révision indépendant pour s’assurer que les institutions respectent les exigences de publication des renseignements énoncés à la partie II de la Loi.

Depuis juin 2019, la Loi comprend une nouvelle partie (soit la partie II) qui exige la publication proactive de renseignements précis étant d’intérêt public, sans qu’il soit nécessaire de présenter une demande d’accès. Ces nouvelles exigences s’appliquent aux ministres, aux institutions fédérales, et depuis juin 2020, au Sénat, à la Chambre des communes et aux entités parlementaires ainsi qu’aux institutions qui appuient les cours supérieures. 

Lors de l’adoption de la partie II, le gouvernement a mentionné que celle-ci se voulait un moyen visant à améliorer la façon dont les renseignements du gouvernement sont fournis aux Canadiens, à rehausser la transparence du gouvernement et à le responsabiliser quant à l’utilisation des fonds publics. Cependant, cette partie de la Loi ne relève pas de ma compétence, et aucun mécanisme de surveillance des obligations en matière de publication proactive n’est présentement prévu par la Loi.

La Loi devrait donc contenir un mécanisme de révision indépendant. Il permettrait de s’assurer que les personnes de même que les institutions visées par la partie II respectent effectivement les exigences de publication des renseignements s’y rattachant.

Autres recommandations

Je profite de l’occasion pour faire les cinq recommandations qui suivent. Même si elles n’ont pas une incidence aussi importante sur le système d’accès à l’information que les recommandations susmentionnées, elles contribueront à l’améliorer.

Recommandation 14

Le pouvoir de publication de la Commissaire à l’information devrait être étendu aux décisions qu’elle rend à la suite de demandes d’autorisation prévues à l’article 6.1 de la Loi.

Recommandation 15

Le délai de publication prévu au paragraphe 37(3.2) de la Loi devrait être abrogé.

Depuis juin 2019, je peux publier les comptes rendus des conclusions tirées à l’issue de mes enquêtes, y compris les ordonnances rendues et/ou les recommandations que je formule. La publication est importante puisqu’elle permet notamment aux institutions et aux parties plaignantes de connaître la position du Commissariat sur l’application de la Loi et sur les obligations des institutions en matière d’accès. Par ailleurs, ce pouvoir de publication n’est pas prévu pour les décisions que je rends à la suite de demandes d’autorisation prévues à l’article 6.1 de la Loi.

Le fait que la Loi ne prévoit pas explicitement la publication de mes décisions à la suite de demandes d’autorisation en vertu de l’article 6.1 prive ainsi les institutions et les parties plaignantes des avantages relatifs à la publication décrite plus haut. Ce pouvoir de publication devrait donc être étendu à ces décisions afin qu’elles servent de précédents pour les institutions et les parties plaignantes.

De plus, selon le paragraphe 37(3.2) de la Loi, les comptes rendus ne peuvent être publiés avant l’expiration des délais impartis pour l’exercice d’un recours en révision devant la Cour fédérale. Les parties plaignantes, et dans certains cas les institutions, doivent exercer leur recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables après la date du compte rendu. Si ces derniers n’exercent pas de recours, les tiers et le Commissaire à la protection de la vie privée peuvent, dans des circonstances précises, exercer un recours en révision dans les 10 jours ouvrables suivants.

À mon avis, cette période d’attente pour la publication des comptes rendus n’est pas nécessaire. Les comptes rendus peuvent être publiés qu’un recours en révision ait été déposé ou non. L’objectif d’une telle période d’attente n’est pas clair; il est difficile de comprendre en quoi consisterait le préjudice si les comptes rendus étaient publiés avant l’expiration du délai imparti pour l’exercice d’un tel recours. Le délai de publication prévu au paragraphe 37(3.2) de la Loi devrait donc être abrogé.

Recommandation 16

Le paragraphe 63(2) de la Loi devrait être modifié pour autoriser la Commissaire à l’information à faire part des éléments de preuve touchant la perpétration par quiconque d’une infraction fédérale ou provinciale.

Recommandation 17

Le paragraphe 63(2) de la Loi devrait être modifié pour autoriser la Commissaire à l’information à faire part à l’autorité compétente des éléments de preuve touchant la perpétration d’une infraction fédérale ou provinciale.

Le paragraphe 63(2) impose deux limites à mon pouvoir discrétionnaire de communiquer des renseignements concernant des éléments de preuve touchant à la perpétration d’infractions fédérales ou provinciales. 

  • La première limite prévoit que ces renseignements peuvent être communiqués uniquement au procureur général du Canada, alors que, en vertu du paragraphe 47(2) de la Loi, la Cour fédérale peut communiquer des renseignements à l’autorité compétente.

Rien ne semble justifier cette limite. Ainsi, le paragraphe 63(2) de la Loi devrait être modifié pour m’autoriser à faire part à l’autorité compétente des éléments de preuve touchant la perpétration d’une infraction fédérale ou provinciale.

  • La seconde limite m’empêche de communiquer des renseignements touchant à la perpétration d’une infraction par une personne qui n’est pas un administrateur, un dirigeant ou un employé d’une institution fédérale.

Le fait de ne permettre la communication que lorsqu’il s’agit d’un administrateur, d’un dirigeant ou d’un employé d’une institution fédérale met certaines personnes à l’abri d’une communication de renseignements qui se rapportent à la perpétration d’une infraction. C’est, entre autres, le cas des personnes avec qui les institutions ont conclu un contrat, des consultants et des conseillers qui ne sont pas des administrateurs, des dirigeants ou un employé, et celui du personnel politique. Le rapport spécial de la Commissaire Legault de 2011 illustre bien l’effet de cette limiteNote de bas de page 30.

Lorsque je détiens des renseignements qui, à mon avis, peuvent constituer des éléments de preuve relatifs à la perpétration d’infractions, je devrais être en mesure d’en faire part aux autorités compétentes sans égard au lien que la personne susceptible d’avoir perpétré l’infraction peut avoir avec une institution fédérale. Le paragraphe 63(2) de la Loi devrait donc être modifié pour m’autoriser à faire part de ces éléments de preuve touchant la perpétration par quiconque d’une infraction fédérale ou provinciale.

Recommandation 18

L’avis au tiers prévu à l’article 36.3 de la Loi devrait être abrogé.

Les modifications apportées à la Loi en juin 2019 donnent aux tiers deux occasions distinctes de me présenter des observations au cours de l’enquête.

  • Lorsque j’ai l’intention d’ordonner ou de recommander la communication de renseignements susceptibles d’être visés à l’article 20, les tiers doivent avoir la possibilité de présenter des observations s’il est possible de les joindre sans difficulté [alinéa 35(2)c)];
  • Lorsque j’ai l’intention d’ordonner la communication de renseignements susceptibles d’être visés à l’article 20, je dois faire tous les efforts raisonnables pour donner aux tiers un avis écrit de cette intention. Les tiers ont alors le droit de me présenter de nouveau des observations dans le délai imparti par la Loi [article 36.3].

La seconde occasion n’est pas essentielle pour accorder aux tiers l’équité procédurale à laquelle ils ont droit. En effet, la Loi prévoit déjà un processus détaillé qui leur garantit l’équité procédurale et leur permet de s’opposer à la divulgation de renseignements :

  1. Je dois donner aux tiers l’occasion de présenter des observations en vertu de l’alinéa 35(2)c) de la Loi;
  2. Je dois transmettre mon compte rendu aux tiers dans la mesure où ces derniers pouvaient et ont présenté des observations en vertu de l’alinéa 35(2)c);
  3. La réception de mon compte rendu ouvre la voie à une demande de révision devant la Cour fédérale, si la partie plaignante et l’institution n’ont pas exercé leur droit de recours en révision [paragraphe 41(3)];
  4. Si la partie plaignante ou l’institution ont exercé leur droit de recours, les tiers ont le droit de comparaître comme partie à l’instance ainsi que de soulever et de faire trancher les questions qu’ils auraient fait valoir s’ils avaient eux-mêmes exercé un recours [paragraphes 41.2(1) et (2)].

La possibilité qui est accordée aux tiers à l’article 36.3 constitue une étape supplémentaire dans le processus d’enquête du Commissariat, qui, par le fait même, le ralentit. Puisqu’elle n’est pas nécessaire afin de leur garantir l’équité procédurale, l’avis au tiers prévu à l’article 36.3 de la Loi devrait donc être abrogé.

Conclusion

J’espère que le contenu du présent document saura contribuer à déterminer les enjeux et à guider les discussions sur la révision de l’accès à l’information. C’est avec intérêt que mon équipe et moi suivrons l’évolution de cet exercice, qui, je l’espère, sera effectué rapidement et efficacement. Sachez que je serai heureuse de poursuivre les discussions en la matière et de vous faire part de l’expertise du Commissariat relativement aux divers sujets qui seront soulevés.

Annexe

Liste des recommandations

Recommandation 1

La Loi devrait prévoir la durée maximale des consultations qui sont nécessaires pour donner suite à une demande d’accès.

Recommandation 2

Les organismes auxquels le gouvernement a imparti la prestation de programmes, qui fournissent des services gouvernementaux ou qui exercent des activités de nature gouvernementale devraient être assujettis à la partie I de la Loi.

Recommandation 3

Les cabinets du premier ministre et des ministres devraient être assujettis à la partie I de la Loi.

Recommandation 4

La Loi devrait permettre aux responsables des institutions fédérales de donner accès à des renseignements personnels lorsque leur communication ne constitue pas une atteinte injustifiée à la vie privée.

Recommandation 5

La Loi devrait permettre aux responsables des institutions fédérales de donner accès aux renseignements personnels d’une personne décédée à son conjoint ou à ses proches parents pour des motifs de compassion.

Recommandation 6

La Loi devrait permettre la communication des coordonnées d’affaires ou professionnelles d’une personne.

Recommandation 7

Les renseignements confidentiels du Cabinet devraient être assujettis à la Loi.

Recommandation 8

La Commissaire à l’information devrait avoir accès aux documents contenant des renseignements confidentiels du Cabinet dont le responsable d’une institution refuse la communication.

Recommandation 9

Le paragraphe 21(2) de la Loi devrait être modifié pour y ajouter une liste de catégories de renseignements qui ne sont pas protégées par l’exception.

Recommandation 10

La période de 20 ans prévue au paragraphe 21(1) de la Loi devrait être réduite à 10 ans.

Recommandation 11

La Commissaire à l’information devrait être consultée lors du processus visant l’ajout de nouvelles interdictions fondées sur d’autres lois à l’annexe II de la Loi.

Recommandation 12

La Loi devrait inclure une disposition selon laquelle les institutions sont tenues de communiquer les renseignements concernant un risque de préjudice important à la santé publique, à la sécurité publique ou à la protection de l’environnement.

Recommandation 13

La Loi devrait contenir un mécanisme de révision indépendant pour s’assurer que les institutions respectent les exigences de publication des renseignements énoncés à la partie II de la Loi.

Recommandation 14

Le pouvoir de publication de la Commissaire à l’information devrait être étendu aux décisions qu’elle rend à la suite de demandes d’autorisation prévues à l’article 6.1 de la Loi.

Recommandation 15

Le délai de publication prévu au paragraphe 37(3.2) de la Loi devrait être abrogé.

Recommandation 16

Le paragraphe 63(2) de la Loi devrait être modifié pour autoriser la Commissaire à l’information à faire part des éléments de preuve touchant la perpétration par quiconque d’une infraction fédérale ou provinciale.

Recommandation 17

Le paragraphe 63(2) de la Loi devrait être modifié pour autoriser la Commissaire à l’information à faire part à l’autorité compétente des éléments de preuve touchant la perpétration d’une infraction fédérale ou provinciale.

Recommandation 18

L’avis au tiers prévu à l’article 36.3 de la Loi devrait être abrogé.


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