Stratégie de déclassification pour les documents relatifs à la sécurité nationale et au renseignement

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par Wesley Wark

Le 12 février 2020

 

Avant-propos de Caroline Maynard

En tant que Commissaire à l’information du Canada, mon rôle est d’enquêter sur les plaintes au sujet de la façon dont les institutions fédérales traitent les demandes en vertu de la Loi sur l’accès à l’information du Canada et y répondent. Un autre volet de mon mandat consiste à fournir des conseils et de l’information aux parlementaires et d’assurer une surveillance indépendante des pratiques d’accès à l’information au gouvernement fédéral, tout en collaborant avec les institutions pour garantir qu’elles respectent leurs obligations en vertu de la Loi.

L’année dernière, on m’a invitée à organiser et à animer un groupe d’experts lors du Sommet du Partenariat pour un gouvernement à Ottawa, en mai 2019. Ce groupe d’experts, intitulé La déclassification des documents gouvernementaux : un moyen d’améliorer la transparence, réunissait d’éminents spécialistes provenant du Royaume-Uni, des États-Unis ainsi que de Bibliothèque et Archives Canada pour discuter d’un sujet qui, sans être au cœur de mon mandat, m’intéresse. C’est surtout parce que l’absence d’un système de déclasssification au Canada a une incidence croissante sur le travail de mon commissariat.

Mon commissariat a actuellement plus de 5 000 plaintes en inventaire. Près de 20 % de cette charge de travail sont des plaintes relatives à de l’information sur la sécurité nationale demandée au moyen de demandes d’accès à l’information. Sur ce nombre, les enquêtes sur les refus, dans le cadre desquelles nous examinons le caractère raisonnable de la recherche effectuée ou si les exceptions ont été appliquées correctement, comprennent environ 45 000 pages de renseignements classifiés. Cependant, on nous a dit que d’autres documents liés aux enquêtes sur les plaintes administratives, pour lesquelles le gouvernement n’a pas encore répondu aux demandes d’accès, pourraient représenter des millions de pages classifiées supplémentaires. Bref, le travail que ce type de dossiers exige est immense.

Si nous avions un bon système de déclassification et de révision des documents historiques liés à la sécurité nationale et au renseignement, beaucoup de ces dossiers auraient été déclassifiés et envoyés à nos archives nationales, et seraient maintenant disponibles pour les chercheurs et autres personnes qui en demandent l’accès. Mais comme le Canada ne dispose pas d’un tel système de déclassification, les documents demeurent à l’institution originale et personne n’y a accès, sauf au moyen d’un système d’accès à l’information qui ne convient pas à cette fin. C’est pourquoi je voulais entamer une discussion et trouver des idées pour aider le Canada à s’attaquer à ce problème.

À la suite des excellents échanges entre les membres du groupe d’experts sur leurs cadres respectifs, le professeur Wesley Wark, de l’Université d’Ottawa, qui a assisté à la séance comme rapporteur, a rédigé le document qui suit. Celui-ci propose des pistes possibles pour l’établissement d’une stratégie de déclassification visant les documents relatifs à la sécurité nationale et au renseignement ainsi qu’une approche que pourrait adopter le Canada.   

Je tiens à remercier les experts qui ont pris part à la séance, dont les noms figurent ci-dessous. Leur apport ce jour-là a permis d’entamer une discussion que j’espère voir se poursuivre au cours des prochains mois.

Je suis heureuse de vous présenter le document qui en résulte et je vous invite à prendre connaissance des recommandations qu’il contient. J’accorderai la priorité aux recommandations 1, 3 et 13, car je crois que ce sont celles dont l’incidence sur le système d’accès à l’information est la plus directe et immédiate. C’est en collaborant et nous engageant tous ensemble à assurer l’ouverture que nous pourrons renforcer la confiance envers la démocratie et nos institutions. Explorons donc les façons dont nous pouvons maximiser nos chances de succès.


Les membres du groupe d’experts du PGO sur La déclassification des documents gouvernementaux : un moyen d’améliorer la transparence

Paulette Dozois
Archiviste principale/chef d’équipe des blocs d’examen
Bibliothèque et Archives Canada

Daniel German
Archiviste principal
Bibliothèque et Archives Canada

Nate Jones
Directeur du Freedom of Information Act Project
Archives de la sécurité nationale
Université George Washington

David J. Mengel
Directeur adjoint
Centre national de déclassification
Archives nationales des États-Unis

Malcolm Todd
Responsable des politiques
Archives nationales du Royaume-Uni

 

1. Pourquoi la déclassification est-elle importante?

Au cours des années qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001, la politique nationale de sécurité canadienne reposait sur la compréhension de la nécessité d’assurer l’application de pratiques démocratiques tout en protégeant le Canada contre les menaces à notre démocratie. Ce message était contenu dans la toute première stratégie de sécurité nationale publiée par le gouvernement du Canada en avril 2004. Il comprenait des énoncés comme ceux-ci :

« Il est essentiel que le gouvernement ait l’aide et l’appui de tous les Canadiens pour que cette approche à la sécurité soit efficace. »

« Il est en outre essentiel que nous nous assurions d’avoir mis en place des mécanismes de surveillance et d’examen efficaces afin d’éviter que, en voulant protéger une société ouverte, on érode par inadvertance les libertés et les valeurs que nous sommes déterminés à défendreNotes de bas de page1. »

Des déclarations officielles plus récentes sur la politique nationale en matière de sécurité et de renseignement abondent dans le même sens en reconnaissant explicitement la nécessité pour la collectivité de la sécurité et du renseignement d’être plus transparente et plus ouverte au sujet de ses pratiques de sorte qu’elle bénéficie de l’appui et de la compréhension des Canadiens.

Dans un discours prononcé en décembre 2018 à Toronto par David Vigneault, le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), cette corrélation a été exprimée directement :

« De plus, nous visons à être plus transparents au sujet de notre travail, dans la mesure où nous pouvons l’être compte tenu du secteur d’activité dans lequel nous évoluons. En informant les Canadiens des menaces auxquelles nous sommes confrontés, nous espérons en faire nos partenaires dans la mise en place de mesures de protection contre ces menacesNotes de bas de page2. »

Dans le même ordre d’idées, le ministre de la Sécurité publique de l’époque, Ralph Goodale, a expliqué la raison pour laquelle le gouvernement avait annoncé un engagement de transparence en matière de sécurité nationale, en faisant remarquer que :

« Les Canadiens doivent être au courant de ce que le gouvernement fait pour protéger la sécurité nationale, comment le gouvernement accomplit cette tâche et pourquoi c’est important. Fournir des renseignements aux Canadiens sur les mesures que prend le gouvernement pour protéger leur sécurité nationale est essentiel afin de montrer que le gouvernement défend leurs valeursNote de bas de page3. »

Si l’on ne s’efforce pas d’atteindre ce degré de légitimité démocratique, on risque de voir apparaître des divisions démocratiques, de perdre l’appui du public, d’affaiblir l’engagement politique envers la collectivité du renseignement, de provoquer des problèmes de moral au sein des organismes de sécurité et de renseignement, voire de connaître la multiplication des pratiques de sécurité qui contreviennent aux normes et aux lois canadiennes.

Les promesses et les engagements politiques à l’appui du maintien des connaissances du public sont établis dans le contexte de la sensibilisation et de l’intérêt accrus du public au Canada à l’égard des questions de sécurité nationale et de renseignement, qui s’inspirent eux-mêmes d’un nouveau contexte de sécurité et des changements profonds qui se sont produits depuis les attentats du 11 septembre 2001.

Permettre aux Canadiens de mieux connaître et comprendre l’histoire des pratiques du Canada en matière de sécurité nationale et de renseignement est une voie importante pour assurer la réalisation des objectifs de responsabilisation démocratique, de transparence et de légitimité. La création d’une mémoire historique forte nécessite de nouvelles approches, notamment en ce qui concerne la déclassification de documents historiques importants concernant la sécurité nationale et le renseignement au Canada. Cela promet de nombreux avantages potentiellement majeurs. Une solide stratégie de déclassification pour les documents liés à la sécurité nationale et au renseignement doit être considérée comme un moyen de contribuer aux objectifs de responsabilisation, de transparence et de pratiques démocratiques, tout en offrant des avantages en matière d’amélioration du rendement à la collectivité de la sécurité et du renseignement elle-même.

En plus de contribuer de façon générale à un gouvernement ouvert, à la transparence et à la responsabilisation, la déclassification et la diffusion publique de documents historiques importants sur la sécurité nationale et le renseignement au Canada offrent des avantages potentiels plus précis :

  • Maintenir la mémoire collective de la collectivité fédérale de la sécurité et du renseignement
  • Offrir des documents sur les leçons retenues axés sur des preuves pour aider à améliorer le rendement
  • Aider au recrutement et à la formation des nouveaux arrivants dans la collectivité fédérale de la sécurité et du renseignement
  • Assurer le respect des normes éthiques, juridiques et culturelles au sein du système de sécurité et de renseignement
  • Aider à éduquer le public canadien sur la nature, la nécessité et les défis d’un système de sécurité et de renseignement
  • Aider à maintenir un large consensus public sur la nécessité d’un système de renseignement souverain pour appuyer les exigences canadiennes en matière de sécurité, conformément aux valeurs canadiennes
  • Combler la « dimension manquante » de notre compréhension historique du rôle du renseignement canadien à l’appui de la politique relative à la politique étrangère, la défense et la sécurité nationale du Canada

En plus de ces avantages fondés sur des principes, il pourrait y avoir un résultat pratique important pour le travail du Commissariat à l’information. En effet, des progrès importants dans la déclassification des documents historiques concernant la sécurité nationale et le renseignement pourraient être bénéfiques au Commissariat en réduisant la pression sur le système d’accès et le processus de plainte, en permettant une utilisation maximale des ressources du Commissariat et en maintenant l’intégrité du régime de la Loi sur l’accès à l’information (la Loi).

Le Commissariat à l’information, qui a pour mandat d’enquêter sur les plaintes relatives aux demandes d’accès à l’information et de surveiller le régime de la Loi, peut jouer un rôle clé en aidant le gouvernement fédéral et les Canadiens à profiter de certains de ces avantages pratiques et fondés sur des principes, surtout dans le contexte du débat à venir sur un examen complet de la Loi, qui devrait commencer à l’été 2020.

2. Quelques faits saillants sur l’accès

Avant la création de la première Loi sur l’accès à l’information du Canada, la diffusion publique par le gouvernement fédéral de l’information qui relevait de lui était entièrement discrétionnaire. Des dispositions étaient en place, grâce à des directives du Cabinet, pour la classification des enregistrements du gouvernement (désignations sécuritaires), rendus publics pour la première fois grâce au Rapport de la commission royale d’enquête sur la sécurité de 1969, et pour la déclassification de presque tous les documents du gouvernement fédéral après 30 ans (la « règle des trente ans ») et leur transfert aux Archives nationales (le nom à l’époque), mais sans promesse d’accès public systémique. Cette pratique de déclassification et de transfert a été énoncée dans la Directive du Cabinet 46, approuvée en juin 1973. Le principe de la confidentialité administrative est resté primordialNote de bas de page4.

L’avancée mondiale de la législation sur la liberté de l’information, en particulier l’adoption de la Freedom of Information Act (FOIA) des États-Unis en 1966, a suscité un intérêt pour la création d’une loi similaire au Canada. La protection des droits au Parlement a amené le gouvernement à produire un livre vert en juin 1977, dans lequel étaient discutées les options pour concevoir une version canadienne de la FOIA. Un projet de loi sur l’accès à l’information et un projet de loi sur la protection des renseignements personnels ont été présentés au Parlement en juillet 1980Note de bas de page5.

La Loi a ensuite été adoptée par le Parlement et a reçu la sanction royale en 1983. Une disposition de la Loi prévoyait qu’un examen complet devait être entrepris dans les trois ans suivant sa promulgation, une exigence inhabituelle à son époque. Le Comité permanent de la justice et du solliciteur général a procédé à l’examen et a publié son rapport en mars 1987, intitulé Une question à deux volets : comment améliorer le droit d’accès à l’information tout en renforçant les mesures de protection des renseignements personnelsNote de bas de page6.

Un chapitre du rapport de grande envergure du Comité se concentre sur le régime des exceptions. Les exceptions étaient qualifiées d’« élément le plus important de toute mesure législative sur l’accès à l’information… ». On prévoyait des révisions majeures dans la rédaction des exceptions dans la Loi, disant que cela était considéré comme vital « afin de maintenir la crédibilité de la loi ». Les recommandations du Comité étaient que toutes les exceptions devraient être discrétionnaires et fondées sur une norme d’atteinte raisonnable, qui doit être définie comme un « préjudice considérableNote de bas de page7 ». Ces recommandations ont permis de déceler des problèmes réels et persistants dans la législation sur l’accès à l’information, mais les gouvernements successifs n’y ont pas donné suite, jusqu’à aujourd’hui.

Quinze ans plus tard, un groupe de travail du Conseil du Trésor a été constitué pour effectuer son propre examen du régime d’accès à l’information. Le groupe de travail, présidé par Andrée Delagrave et composé de membres provenant exclusivement de ministères et d’organismes fédéraux, a présenté son rapport en juin 2002Note de bas de page8. Bien qu’il ait été constitué juste avant les attentats du 11 septembre 2001, son rapport a été achevé à la suite des changements majeurs imposés au Canada dans le domaine de la sécurité nationale et du renseignement.

Le groupe de travail a adopté une approche prudente et déférente à l’égard de la question des exceptions et de la déclassification des documents, ce qui n’est peut-être pas surprenant compte tenu de l’époque et de la composition du groupe. Il a rejeté les conseils d’experts externes et les études qu’il a lui-même commandées, qui préconisaient la réimposition d’une règle d’expiration sur la déclassification et le transfert des documents, et n’a pas estimé que les documents sensibles deviendraient nécessairement moins sensibles avec le temps, même après 30 ans. Bien qu’il ait appuyé l’idée d’un examen en bloc des documents historiques fondé sur la compréhension du contexte historique et sur ce qu’il appelle une « gestion du risque éclairée », le groupe de travail s’est contenté de suggérer que les Archives nationales jouent un rôle de premier plan dans l’élaboration d’un système d’examen en bloc. Il a reconnu qu’une initiative d’examen en bloc nécessiterait des ressources supplémentairesNote de bas de page9.

En ce qui concerne les pouvoirs du Commissariat à l’information, le groupe de travail a recommandé que le Commissariat ait un mandat de sensibilisation du grand public à la Loi, que le Commissariat publie régulièrement des résumés des demandes d’accès, et que le Commissariat ait le mandat clair de conseiller les institutions fédérales sur les nouvelles lois, politiques et directives, sur l’application de la Loi et sur les pratiques exemplairesNote de bas de page10. Toutes ces recommandations auraient élargi le rôle du commissaire à l’information, mais aucune n’a encore été intégrée à la réforme de la Loi.

Toutefois, la pression en faveur d’un changement a persisté. Une décision importante de la Cour fédéraleNote de bas de page11 a été marquante. Celle-ci a entendu une plainte déposée par Jim Bronskill de la Presse canadienne concernant le traitement des parties caviardées du dossier de sécurité sur l’ancien politicien canadien Tommy Douglas. Le juge principal de la Cour fédérale, Simon Noël, dans sa décision de près de 100 pages au sujet de cette plainte, avait beaucoup de choses importantes à dire au sujet du traitement des demandes d’accès à des dossiers concernant la sécurité nationale autrefois sensibles.

Le juge Noël a commenté la nécessité d’établir un processus de déclassification des documents historiques, de comprendre les avantages de l’accès public aux documents historiques, de reconnaître que la sensibilité des documents sur la sécurité nationale diminue au fil du temps et d’exercer un meilleur jugement discrétionnaire quant à la divulgation des documents historiques et importants, particulièrement dans le contexte de l’application de l’exception relative à la sécurité nationale prévue à l’article 15 de la LoiNote de bas de page12.

D’autres appels au changement ont suivi ces dernières années. En mars 2015, dans un rapport spécial présenté au Parlement, intitulé « Viser juste pour la transparence : recommandations pour moderniser la Loi sur l’accès à l’information », la commissaire à l’information de l’époque, Suzanne Legault, a demandé une révision du régime des exceptions, soutenant qu’un système modèle comporterait des exceptions :

  • fondées sur un critère subjectif;
  • discrétionnaires;
  • limitées dans le temps;
  • assujetties à la primauté de l’intérêt public;
  • soumises à un examen indépendantNote de bas de page13.

Certaines réformes provisoires ont été mises en place. Le gouvernement a présenté des révisions à la Loi en juin 2017 (projet de loi C-58) qui ont finalement été adoptées en juin 2019Note de bas de page14. Cependant, le projet de loi C-58 ne visait pas à modifier les exceptions dans la Loi ni à introduire des dispositions concernant la déclassification ou le transfert de documents. Les changements plus substantiels devront attendre l’achèvement de l’examen complet de la Loi promis.

La commissaire à l’information actuelle, Caroline Maynard a indiqué aux sénateurs que nous pouvons apprendre beaucoup de l’histoire de notre engagement à l’égard de la Loi, qui remonte à 1983, ainsi que des études antérieures et des suggestions de réforme qui ont été émisesNote de bas de page15. Ces documents doivent être bien utilisés lors de tout futur examen complet de la Loi. Le Commissariat à l’information est très bien placé pour jouer le rôle de ressource centrale afin de veiller à ce que les efforts déployés dans le passé pour tirer des leçons de la Loi et la rendre plus conforme aux objectifs sous-jacents de la responsabilité démocratique ne soient pas oubliés.

3. Un moment opportun?

La question de la déclassification des documents et du déclassement des documents d’importance historique est rarement au centre des discussions sur les pratiques d’ouverture du gouvernement, les principes de transparence et la fonction du régime d’accès.

Il en est ainsi malgré le fait que les documents sur la sécurité nationale et le renseignement se trouvent au cœur même des tensions entre les grands principes de l’accès à l’information énoncés pour la première fois lorsque la Loi sur l’accès à l’information est entrée en vigueur en 1983, et la nécessité de protéger les renseignements de nature délicate dans l’application de la politique de sécurité. Le sort des documents sur la sécurité nationale et le renseignement est sans doute le problème le plus délicat auquel est confronté le régime canadien d’accès à l’information et que nous n’avons pas réussi à résoudre de façon satisfaisante au cours des quelque 35 dernières années.

Le Commissariat à l’information est directement touché par ce problème non résolu. Dans son allocution d’ouverture pour un groupe d’experts sur la « déclassification des documents gouvernementaux » tenue lors du récent Sommet mondial sur le partenariat pour un gouvernement ouvert à Ottawa, la commissaire à l’information, Caroline Maynard, a souligné que son commissariat, à ce moment-là, devait traiter 3 600 plaintes concernant la divulgation d’information en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Au moins 20 pour cent de ce total se rapporte à des documents contenant des renseignements relatifs à la sécurité nationale (donc 720 plaintes)Note de bas de page16.

Mme Maynard a indiqué que, de ce nombre, 110 plaintes font actuellement l’objet d’une enquête par le Commissariat sur des expurgations dans des documents ayant un contenu historique lié à la sécurité nationale (c.-à-d. des documents qui ont déjà été transférés à Bibliothèque et Archives Canada ou qui auraient dû l’être, car ils ont une valeur archivistique plutôt qu’opérationnelle)Note de bas de page17. Chaque enquête sur une plainte peut être complexe, longue et exigeante en ressources, et les résultats sont intrinsèquement imprévisibles.

La commissaire à l’information a fait valoir dans ses observations que le Canada n’a pas de véritable stratégie en matière de déclassification des documents relatifs à la sécurité nationale.

La réalisation d’une telle stratégie serait bénéfique pour le travail du Commissariat à l’information, en allégeant la pression sur le système de plaintes; elle renforcerait le régime d’accès à l’information, notamment en réorientant la réflexion sur le secret des documents et l’application des exceptions prévues par la Loi, et contribuerait aux priorités du gouvernement en matière d’ouverture, de transparence et de légitimité démocratique en ce qui concerne les pratiques de sécurité nationale.

Une confluence de circonstances permet de croire qu’il y a une possibilité de faire mieux connaître ce problème et de trouver des solutions. Ces circonstances comprennent l’engagement continu du gouvernement fédéral à l’égard des principes de transparence gouvernementale, qui transcende les lignes de parti; son engagement dans le Partenariat pour un gouvernement ouvert, avec les pratiques de rapport et de consultation publique que cela implique; l’adoption récente de la Loi sur l’accès à l’information révisée, y compris le pouvoir de rendre des ordonnances pour le Commissariat à l’information; la promesse d’un examen complet de la Loi sur l’accès à l’information qui débutera au plus tard en juin 2020; l’engagement du gouvernement fédéral pour la transparence en matière de sécurité nationale, énoncé pour la première fois en juin 2017; le désir des organismes de sécurité et de renseignement de mieux faire connaître leur travail au public grâce à des initiatives de transparence; et des indications, surtout sous forme de réponses au livre vert sur la sécurité nationale publié par le gouvernement en 2016, de pressions renouvelées du public pour une plus grande transparence en matière de sécurité nationale et de renseignement, y compris le document historique.

Comme la présidente du Conseil du Trésor l’a déclaré à la fin mai 2019 en réponse à une pétition présentée au Parlement, le gouvernement a apporté d’importants changements à la Loi sur l’accès à l’information, s’est engagé à divulguer de façon proactive les documents gouvernementaux (le principe « ouvert par défaut ») et entreprendra le premier examen complet de la Loi sur l’accès à l’information. Dans sa lettre, la présidente du Conseil du Trésor s’est engagée à continuer de travailler avec « les parlementaires, la commissaire à l’information et le commissaire à la protection de la vie privée, les groupes autochtones et d’autres intervenants dans le but de renforcer l’ouverture et la transparence du gouvernement, notamment lors du premier examen complet de la LoiNote de bas de page18 ».

Le Commissariat à l’information jouera un rôle important dans l’examen et a l’occasion d’amorcer le débat avec, entre autres, des propositions concrètes pour faire progresser la déclassification systémique des documents gouvernementaux, en particulier ceux qui ont trait à la sécurité nationale et au renseignement.

4. Mise à profit de l’engagement de transparence en matière de sécurité nationale

L’Engagement de transparence en matière de sécurité nationale a été rendu public en même temps que le dépôt au Parlement, en juin 2017, du projet de loi C-59 sur le cadre de sécurité nationaleNote de bas de page19.

Au-delà de l’énoncé initial en juin 2017 des six principes qui guideront l’engagement, il y a peu d’information publique disponible sur la façon dont la transparence en matière de sécurité nationale sera concrétisée.

L’Engagement de transparence en matière de sécurité nationale est géré par une petite équipe de Sécurité publique Canada. Un haut fonctionnaire de Sécurité publique (le sous-ministre délégué Dominic Rochon) copréside maintenant un comité consultatif sur la transparence en matière de sécurité nationale, ce qui, espérons-le, témoigne d’un désir de faire avancer cet engagement.

Malgré le passage de plus de deux ans et l’absence d’information publique sur la mise en œuvre, l’Engagement de transparence en matière de sécurité nationale peut encore être prometteur. Les principes énoncés dans cet engagement peuvent être considérés comme un levier potentiel dans le cadre des initiatives de déclassification des documents relatifs à la sécurité nationale.

Il y a deux raisons de voir l’engagement comme un levier potentiel. La première découle de la justification générale de l’engagement, qui se lit comme suit :

« […] les citoyens doivent savoir ce que fait le gouvernement pour assurer la sécurité nationale, comment il le fait et pourquoi il estime important de le faire. »

Bien que ce raisonnement soit exprimé au présent, avec l’implication que l’engagement porte sur la politique actuelle de sécurité nationale, les six principes vont au-delà de la présence véhiculée par le raisonnement.

On peut affirmer que des principes spécifiques parmi les six énumérés donnent à l’engagement une dimension à la fois historique et prospective. En particulier, le deuxième principe sur la transparence de l’information est prometteurNote de bas de page20.

Il se lit comme suit :

« Dans toute la mesure du possible, les ministères et les organismes aideront et appuieront les Canadiens qui souhaitent accéder à de l’information touchant la sécurité nationale, à condition que l’intérêt national, l’efficacité des opérations ou la sécurité d’une personne ne soit pas compromis. »

Ces réserves sont, bien entendu, sujettes à interprétation. D’autres précisions (minimales) fournies dans la déclaration sur l’engagement de transparence indiquent que :

« Les renseignements ne devraient être traités comme étant de nature délicate que lorsque les intérêts du Canada sont en jeu – dans les cas où la divulgation pourrait nuire à la sécurité nationale ou à nos relations – ou lorsqu’ils renferment des renseignements personnels. »

Bien que cet argument d’exclusion s’harmonise en gros avec le régime des exceptions relatives à l’accès, on peut toujours soutenir que l’esprit de l’Engagement de transparence en matière de sécurité nationale offre une ouverture. Le deuxième principe pourrait être utilisé pour appuyer les arguments en faveur d’un processus systémique de déclassification et de divulgation des documents historiques relatifs à la sécurité nationale et au renseignement, conformément aux arguments plus généraux selon lesquels l’accès du public aux documents historiques est un élément important de la responsabilisation démocratique.

5. Le Plan d’action pour un gouvernement ouvert : réalité et potentiel

Le Canada a élaboré sa première stratégie de « gouvernement ouvert » sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper en 2011, et s’est joint au Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO) en avril 2012. L’adhésion au PGO exige des États qu’ils produisent des plans d’action sur une base semestrielle, en tenant compte d’engagements structurés dans le cadre d’un ou de plusieurs des « grands défis » du PGO. Le gouvernement canadien a produit une série de plans de ce type, le premier couvrant les années 2012-2014. Le plus récent, publié en décembre 2018 à la suite de consultations publiques, couvre les années 2018-2020.

Les engagements concernant la réforme de l’accès à l’information et la déclassification des documents fédéraux sont parsemés dans les plans d’action successifs, qui ont généralement une portée très large. Aucun des plans d’action à ce jour ne fait précisément référence aux documents sur la sécurité nationale et le renseignement et à leur déclassification.

Le premier plan d’action (2012-14) parlait d’augmenter l’accès aux documents détenus par Bibliothèque et Archives Canada et de supprimer les restrictions à l’accès à ces documents « chaque fois que ce sera possible ». Ce plan a également promis la publication d’une nouvelle politique obligatoire sur les procédures de classification des documents uniformes « afin d’ainsi réduire le nombre de documents classifiés à l’avenir ». Il prévoyait aussi des mesures « afin de rendre progressivement accessibles les documents gouvernementaux classifiés déjà archivés [...]Note de bas de page21 ».

Le deuxième plan d’action (2014-2016) reprenait certains des engagements pris précédemment concernant l’amélioration de l’efficacité du système d’accès et la facilitation de l’accès aux documents fédéraux archivés. La diffusion proactive de données et d’information est « le point de départ de toutes les autres activités du gouvernement ouvert ». Le deuxième plan d’action promettait la création d’une « nouvelle bibliothèque virtuelle en ligne permettant de préserver et d’améliorer l’accès aux documents d’archives ou historiquesNote de bas de page22 ».

Dans ses commentaires sur le plan d’action 2014-2016, la commissaire à l’information de l’époque, Suzanne Legault, a préconisé un processus de déclassification systémique pour les documents du gouvernementNote de bas de page23.

Dans le rapport de fin d’exercice du PGO pour 2014-2016, l’accent a été mis sur les leçons alors tirées de la mise en œuvre des engagements du gouvernement en matière de transparence. Les principales leçons énoncées dans le premier rapport d’autoévaluation comprenaient la nécessité d’une forte participation du public, l’importance d’établir des directives et des normes que les organismes du gouvernement fédéral pourraient suivre pour élaborer des initiatives de gouvernement ouvert, et les obstacles créés par le fait que les ressources financières et humaines sont limitées. Le rapport d’étape du PGO a également fait ressortir une prise de conscience – « nous avons appris que la quantité de transformation culturelle et de processus requise dans l’environnement de travail du gouvernement du Canada est supérieure à ce que nous croyions au départNote de bas de page24 ».

Le troisième plan d’action (2016-2018) comprenait des engagements à revoir la Loi sur l’accès à l’information dans le cadre d’un processus à deux étapes et à créer un nouveau comité du Cabinet sur « l’ouverture et la transparence des affaires d’ÉtatNote de bas de page25 ». L’examen complet de la Loi sur l’accès à l’information a été reporté à l’été 2020, soit deux ans plus tard que prévu initialement. Cet examen fait suite à la sanction royale donnée au projet de loi C-58, qui modifie la Loi sur l’accès à l’information, en juin 2019.

Le comité du Cabinet a siégé pendant une période relativement courte, fusionnant avec le comité des Affaires parlementaires en août 2016, puis éliminé complètement de la liste des comités à la suite d’une restructuration en août 2018.

Au fur et à mesure que les plans d’action ont pris de l’ampleur, et avec une hausse correspondante de nombre d’engagements (22 au total pour le plan d’action 2016‑2018), le volume des rapports d’autoévaluation de fin d’exercice a augmenté. Le rapport d’autoévaluation de 2014-2016 tenait sur 5 pages; celui de 2016-2018 en comptait 65.

Le rapport d’évaluation de fin d’exercice de 2016-2018 comprenait une référence à la réforme de la Loi, notant que :

« Le gouvernement du Canada s’est engagé à moderniser la Loi sur l’accès à l’information. Il s’agit d’une tâche complexe. Pour se préparer à la nouvelle loi et tenter de répondre aux commentaires des intervenants, on nous a rappelé encore une fois que les modifications à la Loi doivent être rédigées soigneusement de manière à établir un équilibre entre un gouvernement plus ouvert et d’autres valeurs démocratiques importantes, telle que la protection de la vie privée des citoyens, l’impartialité et l’objectivité de la fonction publique et l’indépendance de l’appareil judiciaireNote de bas de page26. »

Notons qu’il n’y avait là aucune mention de la nécessité d’équilibrer les objectifs de transparence du gouvernement et les considérations de sécurité, car la Loi est « modernisée ».

Le rapport de fin d’exercice de 2016-2018 a également commenté l’initiative d’examen en bloc de Bibliothèque et Archives Canada, en soulignant que cela a nécessité l’examen de plus de 11 millions de pages de documents gouvernementaux archivés et l’ouverture de 10,5 millions de ces pages. On n’a pas mentionné le fait que l’examen en bloc exclut de son champ d’application les documents sur la sécurité nationale et le renseignementNote de bas de page27.

La version la plus récente du Plan d’action pour un gouvernement ouvert couvre les années 2018-2020. Encore une fois, le gouvernement présente un large éventail d’engagements (10), d’arguments à l’appui et de plans d’exécutionNote de bas de page28.

Même si, conformément aux plans d’action précédents, on ne mentionne pas particulièrement les documents sur la sécurité nationale et le renseignement, il y a une discussion sur un engagement qui vise à améliorer la Loi (engagement 7). Parmi les éléments de cet engagement, mentionnons la réitération de la promesse d’entreprendre un examen complet de la Loi à compter d’un an après la sanction royale du projet de loi C-58 (modifications provisoires) à la Loi. Entre autres promesses, soulignons que l’examen prendra en compte le régime des exceptions et exclusions, se penchera sur des façons d’améliorer la rapidité des réponses aux demandes, et étudiera le potentiel des nouvelles technologies pour aider à l’application de la Loi.

Dans une lettre adressée au président du Conseil du Trésor au sujet du Plan d’action 2018-2020, la commissaire à l’information a exprimé une certaine déception « quant à la portée limitée des engagements du Plan concernant l’accès à l’information, et quant à savoir s’ils reflètent le programme de transparence de votre gouvernement ». En tant que coprésidente du comité directeur du PGO, elle a encouragé le gouvernement « à être plus ambitieux dans ses engagements et à faire preuve d’un leadership réel et transformateur sur ce frontNote de bas de page29 ».

Le processus du Plan d’action pour un gouvernement ouvert peut être important pour établir les priorités, pour respecter sa promesse d’engagement public et pour essayer de mesurer les progrès. Les plans d’action successifs et les rapports d’auto-évaluation peuvent facilement se perdre dans la rhétorique. Le format des rapports semestriels et des engagements précis liés aux « grands défis » énoncés à l’externe, qui a été mis au point par le PGO, peut avoir un effet bénéfique sur la planification à long terme et sur l’orientation stratégique globale, mais seulement si les engagements sont respectés.

Le Plan d’action pour un gouvernement ouvert pourrait servir de plateforme à l’avenir pour des appels à l’action spécifiques concernant le traitement des documents sur la sécurité nationale et le renseignement. Pour que cela se produise, les questions de sécurité nationale et de renseignement doivent être abordées de façon systématique dans les discussions du PGO. Cela pourrait avoir une incidence importante sur le débat interne au Canada.

6. Directives du Conseil du Trésor ayant une incidence sur la déclassification des documents sur la sécurité nationale et le renseignement

Le 1er juillet 2019, le Conseil du Trésor a institué une nouvelle « Directive sur la gestion de la sécuritéNote de bas de page30 ». Cette directive a remplacé un certain nombre de directives et de documents de normes de sécurité antérieurs. Elle a des répercussions importantes et inquiétantes sur la déclassification des documents sur la sécurité nationale et semble être en contradiction philosophique avec l’orientation d’autres politiques gouvernementales, notamment l’engagement de transparence en matière de sécurité nationale.

Pour comprendre ces répercussions inquiétantes, il faut comparer la nouvelle directive avec la Norme de sécurité relative à l’organisation et l’administration, une politique du SCT qui était en vigueur entre le 1er juin 1995 et le 1er juillet 2019Note de bas de page31.

La nouvelle directive utilise un langage simple, « au besoin », pour traiter des questions de déclassement des marques de sécurité sur les documents, indiquant que la catégorie de sécurité appliquée à un document peut être déclassée lorsque « le préjudice attendu est réduit ». Il y est également question d’augmenter la classification de sécurité d’un document lorsque le préjudice attendu est accruNote de bas de page32.

La nouvelle directive ne contient aucune orientation concernant la déclassification automatique, le traitement des demandes d’accès, le transfert des documents à Bibliothèque et Archives Canada ou toute circonstance particulière entourant l’examen systémique des documents détenus par le Centre de la sécurité des télécommunications et le SCRS aux fins de la déclassification ou du déclassement des renseignements classifiés.

Tout cela contraste nettement avec la Norme de sécurité relative à l’organisation et l’administration (1995-2019), qui a été remplacée et qui contenait des directives sur toutes ces questions.

En particulier, la nouvelle directive ne reprend pas le libellé de l’ancienne norme en ce qui concerne la reconnaissance de la perte de sensibilité des documents au fil du temps, une construction essentielle à l’appui de la déclassification. La norme précédente indiquait :

« Les renseignements doivent être classifiés ou désignés seulement pour la période pendant laquelle ils doivent être protégés; par la suite, ils seront déclassifiés ou déclassésNote de bas de page33. »

La norme précédente reconnaissait explicitement deux facteurs importants :

  1. que les informations classifiées perdent de leur sensibilité avec le temps;
  2. que le processus de déclassification des documents qui ont cessé d’être de nature délicate au fil du temps « contribue à assurer l’intégrité globale du système de sécurité et permet de communiquer rapidement et sans formalité les renseignements que demande le publicNote de bas de page34 ».

Le fait que l’ancienne norme n’ait peut-être jamais produit les perspectives ou les effets visés est matière à discussion, mais l’absence d’une telle marche à suivre dans la nouvelle directive constitue un obstacle important au changement.

De plus, la nouvelle directive ne reprend pas les consignes de l’ancienne norme sur la déclassification automatique, selon lesquelles une date d’expiration automatique de 10 ans devrait s’appliquer aux documents dont le niveau de sécurité est égal ou inférieur à Secret.

Pire encore, la nouvelle directive supprime également le libellé précédent concernant le traitement des demandes d’accès à l’information. Le libellé rappelait que toute décision de refuser la communication totale ou partielle d’un document faisant l’objet d’une demande d’AIPRP « doit reposer uniquement sur les dispositions pertinentes » des deux lois en vigueur au moment où la demande est présentée et non pas sur la classification ou désignation sécuritaire du document.

Le libellé de la nouvelle directive ne fait qu’embrouiller la question :

« Du point de vue de la confidentialité, la catégorisation de sécurité de l’information tient compte des critères de dispense et d’exclusion de la Loi sur l’accès à l’information ou de la Loi sur la protection des renseignements personnels afin de garantir qu’aucune ressource n’est destinée à protéger de l’information pouvant être rendue publiqueNote de bas de page35. » 

La nouvelle directive ne contient pas non plus de directives sur la nécessité pour les ministères d’examiner leurs guides de classification de l’information à la lumière des examens périodiques des résultats des demandes d’AIPRP.

Elle omet également toute référence à la nécessité pour les ministères d’élaborer des accords avec BAC « afin de déclassifier ou déclasser les renseignements de nature délicate confiés aux Archives ».

Dans l’ensemble, la nouvelle directive affaiblit considérablement les mesures incitatives pour la déclassification et la diffusion de documents historiques de sécurité nationale. La nouvelle directive va donc à l’encontre de l’acceptation des principes de gouvernement ouvert, de la réforme de la Loi sur l’accès à l’information, de l’engagement envers la transparence en matière de sécurité nationale et de la reconnaissance générale de la nécessité de s’assurer que le public voit les activités de sécurité nationale comme étant légitimes.

Les entraves à l’accès aux documents historiques sur la sécurité nationale que présente la nouvelle directive du SCT devraient être prises en compte dans la prochaine révision complète de la Loi sur l’accès à l’information.

7. La Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada et la Loi sur l’accès à l’information : voies et problèmes de déclassification

Deux lois importantes régissent l’accès du public aux documents du gouvernement fédéral, soit la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada et la Loi sur l’accès à l’information.

La Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada date de 2004, année où les Archives nationales du Canada et la Bibliothèque nationale ont été fusionnéesNote de bas de page36. La loi est relativement brève. Son préambule décrit la fonction de BAC comme étant « la mémoire permanente de l’administration fédérale » et une source de « savoir permanent accessible à tous ».

Le paragraphe 13(1) est la principale disposition de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada qui éclaire la pratique actuelle du transfert et de la déclassification des documents :

« Le transfert, sous la garde ou la responsabilité de l’administrateur général, des documents fédéraux ou ministériels qui, à son avis, présentent un intérêt historique ou archivistique s’effectue selon les accords convenus à cet effet entre lui-même et le responsable des documentsNote de bas de page37. »

La Loi ne contient aucune exigence en matière de transfert ou de délai de transfert de documents.

Le bibliothécaire et archiviste n’est que vaguement décrit comme un conseiller en ce qui concerne la gestion de l’information gouvernementale, au paragraphe 8(1) :

« conseiller les institutions fédérales sur la gestion de l’information qu’elles produisent et utilisent et leur fournir des services à cette finNote de bas de page38. »

La Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada ne contient aucune exigence quant à la conservation obligatoire des documents gouvernementaux et n’accorde aucun pouvoir au bibliothécaire et archiviste à cet égard.

Si l’objectif de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada consiste à soutenir l’idée d’une banque de mémoire nationale, la Loi sur l’accès à l’information a été conçue pour aider les citoyens à accéder à cette « mémoire nationale » de façon à soutenir et à renforcer la responsabilité démocratique.

La Loi sur l’accès à l’information a été promulguée pour la première fois en 1983. Une récente série de modifications à celle-ci a été proposée dans le projet de loi C‑58, qui a reçu la sanction royale en juin 2019. Le résumé législatif du projet de loi C-58 préparé par la Bibliothèque du Parlement est utile et permet de retracer l’historique de la loi et des révisions adoptéesNote de bas de page39.

Le libellé de l’objet de la Loi a été modifié par le projet de loi C-58. Il indique maintenant ce qui suit :

« La présente loi a pour objet d’accroître la responsabilité et la transparence des institutions de l’État afin de favoriser une société ouverte et démocratique et de permettre le débat public sur la conduite de ces institutionsNote de bas de page40. »

La Loi révisée conserve le libellé original qui indique que la Loi sur l’accès à l’information vise à :

« compléter les modalités d’accès aux documents de l’administration fédérale; elle ne vise pas à restreindre l’accès aux renseignements que les institutions fédérales mettent normalement à la disposition du grand publicNote de bas de page41. »

La question du statut et de la nature des « procédures existantes » n’est pas clarifiée dans la loi, pas plus que la notion de « normalement disponible », en particulier dans la mesure où elle pourrait s’appliquer aux documents historiques. Depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur l’accès à l’information originale, il est devenu clair que la pratique consistant à traiter la communication de documents après une période déterminée de 30 ans (la « règle des trente ans ») a été invalidée et remplacée par l’exigence de traiter tous les documents relatifs à la sécurité nationale et au renseignement au moyen de demandes d’accès à l’information individuelles et autonomes.

Les modifications proposées dans le projet de loi C-58 ne changent pas fondamentalement la pratique actuelle en ce qui concerne la question des documents relatifs à la sécurité nationale et au renseignement ou de leur déclassification. L’accès public aux documents sur la sécurité nationale et le renseignement continue d’être largement déterminé par les demandes individuelles présentées en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et l’application des catégories d’exceptions précisées dans cette loi. Ces catégories d’exceptions n’ont pas fait l’objet d’un examen depuis l’adoption initiale de la loi en 1983.

Les principales exceptions qui s’appliquent aux documents sur la sécurité nationale et le renseignement comprennent les suivantes :

Article 13 – Renseignements obtenus à titre confidentiel 

Dans la « Directive provisoire concernant l’administration de la Loi sur l’accès à l’information » du Conseil du Trésor (5 mai 2016), l’exception prévue à l’article 13 est classée comme obligatoire et n’est pas fondée sur un critère subjectifNote de bas de page42. Il y a toutefois un élément discrétionnaire théorique en jeu. Énoncé au paragraphe 13(2) de la Loi sur l’accès à l’information, il fait en sorte que la communication discrétionnaire soit permise lorsque l’organisme d’origine y consent ou rend l’information publique. Les efforts déployés pour obtenir le consentement portent rarement fruit, surtout lorsqu’il s’agit de documents sur la sécurité et le renseignement dont le droit de regard est détenu par un service étranger. La divulgation basée sur le fait que la partie d’origine a rendu l’information publique demande de la recherche et une connaissance des pratiques de l’entité d’origine. Le manque de ressources et d’expertise peut nuire au processus, et ce, encore une fois, d’autant plus lorsqu’il est question d’agences étrangères de sécurité et de renseignement.

Paragraphe 15(1) – Affaires internationales et défense

Le paragraphe 15(1) constitue une autre importante catégorie d’exception qui s’applique habituellement aux documents sur la sécurité nationale et le renseignement. L’exception est discrétionnaire et devrait être fondée sur un critère de préjudice.

Le paragraphe indique ce qui suit :

« Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à la prévention ou à la répression d’activités hostiles ou subversives...Note de bas de page43 »

La Loi donne un certain nombre d’exemples de ce qui pourrait entrer dans le champ d’application de l’exception, sous réserve que l’institution établisse le préjudice décrit dans les premiers mots de l’exceptionNote de bas de page44.

Article 21 – Avis, etc.

En général, cette exception protège les processus d’élaboration des politiques et de prise de décisions du gouvernement, y compris la politique sur la sécurité nationale et le renseignement. Il s’agit d’une exception discrétionnaire avec un délai de 20 ans, soit une caractéristique inhabituelle pour la LoiNote de bas de page45. Il n’y a pas de critère de préjudice à appliquer, même si le préjudice est habituellement un facteur pertinent à prendre en considération dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

Ensemble, les exceptions prévues par la Loi peuvent constituer un obstacle considérable à l’accès public aux documents et à la fonction de « mémoire nationale » de ces documents, surtout lorsque ces derniers sont caviardés et qu’ils sont fragmentés par le processus de réponse aux demandes individuelles présentées en vertu de la Loi.

Si l’on considère la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada et la Loi sur l’accès à l’information dans leur ensemble, les problèmes suivants sont évidents :

  1. l’absence de toute exigence légale de créer et de préserver les documents gouvernementaux;

  2. l’absence de délais pour le transfert des documents fédéraux à Bibliothèque et Archives Canada;

  3. l’absence de limites concernant la date d’expiration ou de déclassement des documents et leur diffusion publique;

  4. l’absence d’une autorisation légale accordée au bibliothécaire et archiviste concernant l’application des délais de transfert des documents et les pouvoirs de déclassification;

  5. la nature déférente des exceptions prévues par la Loi, qui n’exigent sans doute pas l’application d’un critère de préjudice sérieux et n’accordent aucune importance à la primauté de l’intérêt public ou à l’évaluation de l’intérêt public. La pratique consistant à appliquer des exceptions n’impose pas la reconnaissance de l’importance historique des documents ou le fait que la nature délicate des documents diminue avec le temps. Tous ces éléments devraient être inclus dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire, mais il n’y a aucune garantie quant à la façon dont ils peuvent être évalués et aucun levier réel n’est prévu pour lutter contre la possibilité d’abus ou d’une culture du secret.

Dans une lettre envoyée au président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pendant l’examen du projet de loi C-58 par ce comité, la commissaire à l’information a répondu aux sénateurs qui lui demandaient son avis sur les éléments de la Loi qui devraient être révisés dans le cadre de l’examen complet promis de la Loi. Les suggestions de la commissaire comprenaient notamment la prise en considération d’une obligation légale de créer et de préserver des documents, de s’attaquer à la « culture du retard » dans le traitement des demandes d’accès, de rendre les exclusions qui s’appliquent aux documents confidentiels du Cabinet plus précises, et de réexaminer les exceptions de longue date qui s’appliquent aux documents en vertu de la LoiNote de bas de page46.

Mme Maynard a fait valoir dans sa lettre que :

« La plupart des exceptions prévues par la Loi sont aussi vieilles que la Loi elle-même et elles n’ont pas été revues de façon significative depuis 35 ans. Les exceptions ne prennent pas en compte les attentes de la société à l’égard de la transparence, ni la technologie moderne, ni les pratiques actuelles propres au gouvernement ouvertNote de bas de page47. »

Mme Maynard a également indiqué aux sénateurs que :

« Le Commissariat à l’information dispose de 35 ans de données sur l’application de ces exceptions et sur ce qui fonctionne ou non, et il serait ravi de fournir ces renseignements durant le deuxième volet de l’examenNote de bas de page48. »

Ces renseignements seraient très utiles pour appuyer une approche à réforme de la Loi axée sur la preuve. Ils gagneraient encore plus d’importance si les données du Commissariat étaient disponibles dans une forme synthétisée qui permettrait d’analyser des aspects précis de la législation, comme l’application de l’exception prévue au paragraphe 15(1) au fil du temps.

De façon plus générale, la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada et la Loi, autant individuellement qu’ensemble, ne reconnaissent pas l’importance de préserver un document historique complet et cohérent. La Loi produit en fait le contraire, puisqu’elle donne un aperçu fragmenté et décousu de l’histoire (lorsqu’elle en donne un) reposant sur des demandes de documents individuelles. BAC reçoit les documents et les catalogues en groupes cloisonnés qu’elle crée conformément aux dépositaires des ministères et organismes individuels.

Il est intrinsèquement difficile de dresser un tableau historique complet en se fiant aux procédures existantes de BAC et à la Loi. Les histoires officielles et la publication de séries spéciales de documents accompagnés d’un récit historique pourraient largement combler certaines de ces lacunes. Cette pratique a été adoptée de façons importantes par l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni, nos partenaires clés du Groupe des cinq. De telles possibilités ont été soulignées lors des discussions parrainées par le Commissariat et présidées par la commissaire, au Sommet mondial du PGO, à Ottawa, en mai 2019.

8. Apprendre des pratiques exemplaires

Au cours des quatre dernières années, d’importants changements ont été apportés au système d’examen de la collectivité canadienne de la sécurité et du renseignement. Notamment, on a créé le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement de sécurité, un nouvel Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement et des pouvoirs de surveillance pour un nouveau commissaire au renseignement. Ces changements découlent du débat politique entourant la politique de sécurité nationale au Canada et servent à reconnaître que le système canadien d’examen de la sécurité nationale et du renseignement n’a pas réussi à se moderniser ou à tenir sa promesse initiale de faire du Canada un chef de file mondial parmi les démocraties. Les changements ont été intégrés dans une nouvelle législation adoptée en 2017 et en 2019 (projets de loi C-22 et C-59, respectivement).

Pour que des progrès semblables soient réalisés par le régime canadien d’accès à l’information, dont la date d’origine se rapproche des premières tentatives d’examen de la sécurité au Canada (la Loi sur le SCRS [1984], qui a donné lieu au Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité), le même ensemble de stimulants sera nécessaire. Il faudra engager un vigoureux débat politique et il faudra reconnaître que la façon de faire est rebattue, est désuète et ne permet pas au Canada de maintenir son rang de chef de file mondial.

En envisageant de nouvelles structures, politiques et lois pour la surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, le gouvernement a accordé une attention particulière aux pratiques exemplaires et à l’expérience de nos proches partenaires du renseignement dans le Groupe des cinq (États-Unis, Royaume-Uni, Australie et Nouvelle-Zélande) et de l’OTAN. La loi qui a créé le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement s’est inspirée étroitement d’une loi semblable du Royaume-Uni, qui a créé l’Intelligence and Security Committee. Les pratiques d’examen dans le Groupe des cinq ont été exploitées lors de la création des nouveaux organismes d’examen et de surveillance prévus dans le projet de loi C-59.

En même temps, le gouvernement était déterminé à créer un nouveau système de sécurité nationale et d’examen qui serait ambitieux, innovateur et capable d’être reconnu comme un chef de file mondial.

Un intérêt similaire doit animer les discussions actuelles et futures sur les changements à apporter au régime d’accès à l’information. De même, il sera important de tirer des leçons des pratiques exemplaires et de l’expérience de nos partenaires dans le Groupe des cinq. Ces derniers sont tous des démocraties ayant des versions de la législation sur la liberté de l’information et des engagements à maintenir des archives vivantes des documents gouvernementaux accessibles au public. Tous ont lutté pour trouver des moyens d’assurer la déclassification des documents et leur transfert vers des dépôts nationaux, et tous se sont efforcés de trouver un juste équilibre, dans leurs systèmes d’accès et de liberté de l’information, entre les principes de garantie de l’accès du public aux documents et la nécessité de protéger la sécurité.

Un examen détaillé des pratiques exemplaires parmi nos partenaires dans le Groupe des cinq va au-delà de la portée de ce document. Les fonctionnaires du Commissariat à l’information du Canada ont une certaine connaissance des régimes qui régissent les documents chez nos alliés. Il serait possible d’en tirer parti en collaboration avec les ministères et organismes du gouvernement fédéral.

De toute évidence, les récents changements apportés à la pratique par nos alliés méritent une attention particulière au Canada, afin de voir ce que nous pouvons apprendre et appliquer dans un contexte canadien. Parmi ces changements, trois seront brièvement présentés; tous devraient faire l’objet d’une étude analytique plus approfondie.

Le premier changement est la réduction, au Royaume-Uni, de la période de transfert pour les documents gouvernementaux. Dans le nouveau système actuellement mis en œuvre, les documents seraient placés aux Archives nationales du Royaume-Uni à Kew conformément à une règle de 20 ans, remplaçant la règle de 30 ans qui était autrefois la norme, avant la Loi, au CanadaNote de bas de page49.

Le deuxième changement a eu lieu aux États-Unis, au début de la présidence Obama, après la publication du décret 13526. Il s’agissait d’une tentative importante et ambitieuse de redéfinir la manipulation des documents dans le système du gouvernement américain, et de prévoir leur déclassification automatique après 25 ans et leur transfert à la National Archives and Records Administration. Un éventail étroitement restreint de documents, principalement liés à la sécurité, demeure hors de la portée du régime de déclassification automatique et fait l’objet d’un traitement spécial en vertu de la Freedom of Information Act (B1, Information classifiée pour protéger la sécurité nationale)Note de bas de page50.

Un troisième changement a eu lieu en Australie, où le régime d’accès aux documents produits par les organismes australiens de sécurité et de renseignement demeure restreint, mais où le gouvernement australien a décidé d’investir dans la commande et la publication d’une série d’histoires indépendantes et officielles de principaux éléments de la collectivité australienne, notamment l’ASIO (Australian Security Intelligence Organisation) et la DSD (Defence Signals Directorate)Note de bas de page51.

Ces efforts méritent d’être examinés plus en profondeur pour les besoins du Canada. Mais ils constituent des réponses de nos alliés à un problème commun, celui de la transparence et de la responsabilité accrues des systèmes de sécurité et d’information par la préservation des documents gouvernementaux, leur transfert aux archives nationales et la transparence publique.

9. Idées pour l’avenir

Une stratégie de déclassification et de diffusion de documents de sécurité nationale et de renseignement historiques s’aligne sur les engagements du gouvernement du Canada en ce qui concerne le gouvernement ouvert, la responsabilité démocratique, l’apprentissage de leçons et la transparence en matière de sécurité nationale.

Pour aller de l’avant avec la déclassification des documents sur la sécurité nationale et le renseignement de façon systémique, il est impératif de justifier l’intérêt public et d’être appuyé par les partenaires pertinents du gouvernement. Bien entendu, il y a de nombreuses demandes concurrentes pour la mise en œuvre d’une philosophie de « gouvernement ouvert » et il est nécessaire d’attirer l’attention sur le problème des documents historiques.

Le Commissariat à l’information, conformément à son mandat, souhaite fortement que la Loi sur l’accès à l’information puisse être un instrument efficace de transparence, notamment en ce qui concerne les documents historiques de nature délicate.

L’intérêt public comporte trois volets.

Le volet le plus important consiste à renforcer la confiance du public dans le travail de la collectivité de la sécurité et du renseignement et à mieux le comprendre en ouvrant les documents historiques pour permettre l’épanouissement de la recherche, l’essor de la documentation publique, l’amélioration de la mémoire historique et la compréhension des principaux facteurs de continuité et de changement en matière de sécurité nationale.

Le Canada a une histoire riche et importante dans le domaine de la sécurité nationale, dont une grande partie demeure inconnue en raison du manque d’accès systémique aux documents d’archives. La documentation canadienne sur la sécurité nationale et le renseignement a pris un sérieux retard par rapport à celle de nos principaux homologues dans le Groupe des cinq.

Un deuxième élément de l’argument est que la collectivité de la sécurité et du renseignement elle-même profite de la disponibilité d’une solide mémoire historique de ses institutions et de son travail. La préservation de la mémoire institutionnelle peut contribuer au recrutement, à la formation, au rendement, à l’apprentissage de leçons et au maintien de cultures internes solides.

Un troisième élément est qu’une stratégie efficace de déclassification des documents sur la sécurité nationale et le renseignement peut à la fois faciliter la fonction d’enquête du Commissariat à l’information, en réduisant le fardeau que pose la nécessité de résoudre une multitude de plaintes individuelles, et aider les ministères et organismes fédéraux à concevoir un système efficace de gestion des documents.

La déclassification des documents sur la sécurité nationale et le renseignement pose les questions clés suivantes :

Comment doit-on comprendre les exceptions à la déclassification? En particulier, comment définir un critère de préjudice, comment exercer et gérer le pouvoir discrétionnaire et comment calculer la diminution de la sensibilité des documents au fil du temps?

Quand les documents sur la sécurité nationale et le renseignement devront-ils être déclassifiés? En supposant qu’il soit nécessaire d’établir une norme universelle et obligatoire en remplacement de la pratique actuelle fragmentée, quel type de norme de temps devrait être mis en place?

Comment les documents sur la sécurité nationale et le renseignement devront-ils être déclassifiés? Dans ce cas, il faut établir un équilibre plus solide, plus axé sur la transparence, entre le critère de préjudice discrétionnaire appliqué aux exceptions en vertu de la Loi et les considérations que sont l’intérêt public et la diminution de la sensibilité au fil du temps?

Qui doit être l’autorité de contrôle pour la déclassification? La question clé ici est de savoir si le pouvoir de déclassification doit relever des ministères et organismes gouvernementaux individuels ou, de façon centralisée, de Bibliothèque et Archives Canada. Une autre option consisterait à se demander quels types de partenariats entre BAC et les ministères et organismes fédéraux pourraient être optimaux.

Comment le public et le gouvernement peuvent-ils tirer le maximum d’avantages de la déclassification des documents sur la sécurité nationale et le renseignement? Ces avantages doivent-ils comprendre l’investissement dans les histoires officielles pour la diffusion publique et la création de séries de documents publiables avec les récits qui les accompagnent?

Chacune des questions ci-dessus est complexe. Ensemble, elles ont entravé les efforts de réforme passés. Cependant, il est possible d’apporter des réponses pratiques avec une volonté suffisante, des modifications nécessaires aux lois et aux règlements, des ressources suffisantes et un changement de culture toujours important et continu, qui s’enracinent dans l’évolution des mentalités et le renforcement de la formation.

Pour ce qui est de la façon de contrer la résistance au changement et d’apaiser les inquiétudes au sujet de la divulgation de documents de sécurité nationale et de renseignement, il importe de mentionner le mémoire présenté au Parlement par un ancien haut fonctionnaire, Mel Cappe, au sujet du projet de loi C-58. M. Cappe, un ancien greffier du Conseil privé, a insisté sur la nécessité de définir clairement les justifications de l’intérêt public concernant la divulgation des documents gouvernementaux et de protéger les secrets qui méritent vraiment d’être protégés. Il s’exprime en ces termes :

« Je recommande fortement au Comité de bien définir les fonctions et les catégories d’information qui doivent demeurer secrètes afin de protéger l’intérêt public, puis de rendre tout le reste accessible au public. Cependant, l’accessibilité des renseignements non protégés dépend en grande partie du secret d’autres types de renseignements. »

Cela pourrait être considéré comme un cadre stratégique qui permettrait d’aller de l’avant, puisqu’il met l’accent sur la déclassification, le transfert, la préservation et l’ouverture des documents publics, ainsi que sur une définition renouvelée et mise à jour de ce qui constitue des secrets.

Une approche stratégique pour la déclassification pourrait, en tenant compte des points de discussion soulevés dans le présent document, comprendre les éléments suivants :

  1. Dans le cadre du prochain examen complet de la Loi, les intervenants, dont le Commissariat à l’information, devraient être invités à présenter des arguments en faveur de la révision des catégories d’exceptions prévues dans la Loi, en particulier les articles 13, 15 et 21.
  2. Dans le cadre de l’examen complet de la Loi, les intervenants, dont le Commissariat à l’information, devraient être invités à présenter à BAC des arguments concernant la création, la préservation et le transfert des documents gouvernementaux.
  3. Des discussions devraient avoir lieu avec BAC et le SCT concernant la faisabilité d’un nouveau système pour le transfert des documents sur la sécurité nationale et le renseignement provenant des ministères et organismes fédéraux. Une réflexion pourrait être menée sur la question de savoir si les documents sur la sécurité nationale et le renseignement devraient être automatiquement transférés entre les mains de BAC après une période déterminée (10, 15, 20 ans?). Cette exigence devrait-elle être inscrite dans la loi et ne pas être assujettie, comme c’est le cas actuellement, à des protocoles d’accord individuels (non transparents) entre BAC et les ministères et organismes fédéraux? Faudrait-il instituer un mécanisme de responsabilisation pour les exceptions à un protocole de transfert?
  4. Une réflexion devrait être menée pour savoir si les documents sur la sécurité nationale et le renseignement entre les mains et sous le contrôle de BAC pourraient être déclassifiés par les fonctionnaires délégués de BAC. L’autorité finale devrait-elle revenir à BAC?
  5. BAC pourrait établir des priorités de déclassification reflétant les jugements sur l’importance historique et l’intérêt public. Ces priorités pourraient être établies en consultation avec un groupe consultatif indépendant composé d’historiens spécialistes et d’autres personnes, comme c’est la coutume aux États-Unis. Les priorités de déclassification devraient également être discutées avec le Commissariat à l’information à la lumière de l’expérience de celui-ci en matière de plaintes concernant ces catégories de documents.
  6. Le Commissariat à l’information devrait entamer des discussions avec la Sécurité publique sur la possibilité de lier l’Engagement de transparence en matière de sécurité nationale à la divulgation proactive des documents historiques en vertu du deuxième principe de cet engagement.
  7. Le Commissariat devrait prendre part, aux côtés d’autres intervenants, à des discussions avec le SCT afin d’obtenir un énoncé révisé et éclairé dans les directives de gestion de la sécurité du SCT en ce qui concerne les contrôles de sécurité de la gestion de l’information.
  8. Le Commissariat à l’information devrait contribuer à favoriser une discussion avec les fonctionnaires du BCP, dont le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement, concernant l’idée de produire des études spéciales, des documents publics et des histoires officielles qui mettent en lumière l’évolution du système canadien de sécurité et de renseignement.
  9. Le Commissariat à l’information devrait discuter avec les fonctionnaires du Bureau du vérificateur général du Canada de la valeur potentielle d’une vérification systémique du régime de la Loi comme contribution à l’examen complet de celle-ci.
  10. Le Commissariat à l’information devrait envisager de produire une étude analytique portant sur la nature des plaintes liées aux documents sur la sécurité nationale et le renseignement depuis 2001 et leur règlement; cette étude devant comprendre une analyse des tendances. Cette étude pourrait apporter une contribution importante à l’examen complet de la Loi qui aura lieu prochainement.
  11. Le Commissariat à l’information devrait envisager de réunir un groupe consultatif informel d’intervenants ayant de l’expérience relativement à la Loi et aux documents sur la sécurité nationale pour discuter d’une stratégie de déclassification dans le contexte général d’une éventuelle réforme de la Loi.
  12. Le gouvernement fédéral devrait commander et publier une étude analytique des pratiques exemplaires actuelles en matière de déclassification et de communication des documents sur la sécurité nationale et le renseignement, notamment au moyen des processus de la Freedom of Information Act apparentée à notre Loi, en se concentrant sur nos partenaires dans le Groupe des cinq.
  13. Le Commissariat devrait encourager le Secrétariat du Conseil du Trésor à inclure un engagement de déclassification des documents historiques importants sur la sécurité nationale et le renseignement dans la prochaine version du Plan d’action pour un gouvernement ouvert.
  14. Le Commissariat à l’information devrait continuer de favoriser, de concert avec le SCT, l’inclusion de discussions sur la déclassification et l’accès public aux documents historiques sur la sécurité nationale et le renseignement dans le cadre de la conférence du Sommet annuel du PGO.
  15. Le Commissariat à l’information, en collaboration avec d’autres intervenants, devrait encourager le gouvernement à s’engager à créer un portail central pour la publication des documents importants en matière de sécurité nationale et de renseignement, qu’ils soient communiqués par divulgation proactive ou par suite de demandes en vertu de la Loi. La fonction de recherche de Canada ouvert pour les demandes de la Loi traitées est un outil utile, mais limité. Il permet une recherche des demandes individuelles traitées, mais lorsqu’une demande traitée est trouvée, le chercheur doit alors faire une demande informelle pour obtenir une copie des documents communiqués, ce qui retarde davantage le processus, alourdit le fardeau des unités d’accès et perpétue un système de documents atomisés, détenus individuellement et fracturés. Les documents publiés dans le cadre de l’accès à l’information devraient être considérés comme des documents publics.

De telles idées, avancées dans l’intérêt du public, pourraient contribuer à l’examen prochain de la Loi, aider le gouvernement à concrétiser ses engagements en matière d’ouverture et de transparence dans le domaine de la sécurité nationale, renforcer le travail du Commissariat à l’information et aider ce dernier à s’engager auprès des intervenants et du public dans l’esprit de la modernisation du régime canadien d’accès à l’information.

Principales sources pour cette étude
(indiquées par ordre de référence dans le texte)

Chambre des communes, Examen de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels : rapport du Comité permanent et de la justice et du solliciteur général, mars 1987.

Gouvernement du Canada, Groupe d’étude de l’accès à l’information, Accès à l’information : comment mieux servir les Canadiens, juin 2002, archivé 

Bronskill c. Canada (Patrimoine canadien), 2011 CF 983 (CanLII), [2013] 2 RCF 563 

Commissariat à l’information du Canada, rapport spécial au Parlement, Viser juste pour la transparence : recommandations pour moderniser la Loi sur l’accès à l’information, mars 2015, voir notamment le chapitre 4, « Encourager une divulgation maximale » 

Projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information […] 

Bibliothèque du Parlement, Résumé législatif du projet de loi C-58, publication no 42-1-C58-F, révisée le 1er août 2018 

Sécurité publique Canada, Engagement de transparence en matière de sécurité nationale 

Plan d’action du Canada pour un gouvernement ouvert 2012-2014 

Plan d’action du Canada pour un gouvernement ouvert 2014-2016

Rapport d’auto évaluation en fin de parcours du Plan d’action pour un gouvernement ouvert 2014-2016

Le troisième Plan biannuel dans le cadre du Partenariat pour un gouvernement ouvert (2016-2018) 

Rapport d’auto-évaluation de fin de parcours du troisième Plan biannuel dans le cadre du Partenariat pour un gouvernement ouvert 2016-2018 

Plan d’action national du Canada pour un gouvernement ouvert de 2018-2020 

Commissaire à l’information du Canada, lettre à l’honorable Scott Brison, président du Conseil du Trésor, 18 septembre 2018, exemplaire gracieusement fourni par le Commissariat à l’information du Canada.

Secrétariat du Conseil du Trésor, Directive sur la gestion de la sécurité, 1er juillet 2019 

Secrétariat du Conseil du Trésor, Norme de sécurité relative à l’organisation et l’administration, annulée, 28 juin 2019 

Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada 

Secrétariat du Conseil du Trésor, Directive provisoire concernant l’administration de la Loi sur l’accès à l’information 5 mai 2016 

Lettre de la commissaire à l’information à l’honorable Serge Joyal, sénateur, président, Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, 1er novembre 2018, exemplaire gracieusement fourni par le Commissariat à l’information du Canada.

Commissariat à l’information du Canada, Objectif transparence : la cible ratée – Recommandations pour améliorer le projet de loi C-58 […] 

Lettre de Mel Cappe au Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes sur le projet de loi C-58, en date du 1er novembre 2017 


Notes de bas de pages

Notes de bas de page 2
Notes de bas de page 3

Note de bas de page3 Ministre de la Sécurité publique, communiqué de presse, 2 juillet 2019 

Notes de bas de page 4

Note de bas de page4 Bibliothèque du Parlement, David Johansen, « Droit d’accès aux informations que détient le gouvernement fédéral », Bulletin d’actualité 79-5F, 15 août 1979, révisé le 30 juillet 1982

Notes de bas de page 5
Notes de bas de page 6

Note de bas de page6 Chambre des communes, Examen de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels : rapport du Comité permanent et de la justice et du solliciteur général, mars 1987

Notes de bas de page 7

Note de bas de page7 ibidem. Voir le chapitre 3 du rapport, « Exceptions et documents confidentiels du cabinet : le refus de communication », notamment les pages 23 et 24

Notes de bas de page 8

Note de bas de page8 Gouvernement du Canada, Groupe d’étude de l’accès à l’information, Accès à l’information : comment mieux servir les Canadiens, juin 2002, archivé h

Notes de bas de page 9

Note de bas de page9 ibidem, chapitre 8, « Répondre aux besoins d’information des Canadiens par d’autres moyens que la Loi », p. 146-148

Notes de bas de page 10

Note de bas de page10 ibidem, chapitre 6, « Garantir la conformité : le processus de recours – Mandat du commissaire à l’information », p. 96-100

Notes de bas de page 11

Note de bas de page11 Bronskill c. Canada (Patrimoine canadien), 2011 CF 983 (CanLII), [2013] 2 RCF 563

Notes de bas de page 12
Notes de bas de page 13

Note de bas de page13 Commissariat à l’information du Canada, rapport spécial au Parlement, Viser juste pour la transparence : recommandations pour moderniser la Loi sur l’accès à l’information, mars 2015, voir notamment le chapitre 4, « Encourager une divulgation maximale » 

Notes de bas de page 14

Note de bas de page14 Projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information […]; voir aussi la Bibliothèque du Parlement, Résumé législatif du projet de loi C-58, publication no 42-1-C58-F, révisée le 1er août 2018 

Notes de bas de page 15
Notes de bas de page 16

Note de bas de page16 Notes d’allocution préparées pour la commissaire à l’information, De-classification of Government Records : Supporting Democracy and Renewing Trust, remises le 31 mai 2019, exemplaire gracieusement fourni par le Commissariat à l’information du Canada

Notes de bas de page 17
Notes de bas de page 18
Notes de bas de page 19

Note de bas de page19 Sécurité publique Canada, Engagement de transparence en matière de sécurité nationale

Notes de bas de page 20
Notes de bas de page 21
Notes de bas de page 22
Notes de bas de page 23

Note de bas de page23 Lettre de la commissaire à l’information au président du Conseil du Trésor sur le Plan d’action du Canada 2.0, 5 novembre 2014, exemplaire gracieusement fourni par le Commissariat à l’information du Canada

Notes de bas de page 24
Notes de bas de page 25
Notes de bas de page 26
Notes de bas de page 27
Notes de bas de page 28
Notes de bas de page 29

Note de bas de page29 Commissaire à l’information du Canada, lettre à l’honorable Scott Brison, président du Conseil du Trésor, 18 septembre 2018, exemplaire gracieusement fourni par le Commissariat à l’information du Canada

Notes de bas de page 30

Note de bas de page30 Secrétariat du Conseil du Trésor, Directive sur la gestion de la sécurité, 1er juillet 2019 

Notes de bas de page 31

Note de bas de page31 Secrétariat du Conseil du Trésor, Norme de sécurité relative à l’organisation et l’administration, annulée, 28 juin 2019 

Notes de bas de page 32

Note de bas de page32 Secrétariat du Conseil du Trésor, Directive sur la gestion de la sécurité, section de E.2 à E.2.2.2.2 

Notes de bas de page 33

Note de bas de page33 Secrétariat du Conseil du Trésor, Norme de sécurité relative à l’organisation et l’administration, annulée, 28 juin 2019, section 12.1 

Notes de bas de page 34

Note de bas de page34 Secrétariat du Conseil du Trésor, Norme de sécurité relative à l’organisation et l’administration, annulée, 28 juin 2019, section 12.1 

Notes de bas de page 35

Note de bas de page35 Secrétariat du Conseil du Trésor, Directive sur la gestion de la sécurité, annexe J, J.2.2.6 

Notes de bas de page 36
Notes de bas de page 37

Note de bas de page37 ibidem, paragraphe 13(1)

Notes de bas de page 38

Note de bas de page38 ibidem, paragraphe 8(1)

Notes de bas de page 39

Note de bas de page39 Bibliothèque du Parlement, Résumé législatif du projet de loi C-58, publication no 42-1-C58-F, révisée le 1er août 2018 

Notes de bas de page 40
Notes de bas de page 41
Notes de bas de page 42
Notes de bas de page 43
Notes de bas de page 44

Note de bas de page44 ibidem, de l’alinéa 15(1)a) à 15(1)i)

Notes de bas de page 45

Note de bas de page45 Ibidem, article 21

Notes de bas de page 46

Note de bas de page46 Lettre de la commissaire à l’information à l’honorable Serge Joyal, sénateur, président, Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, 1er novembre 2018, p. 9, exemplaire gracieusement fourni par le Commissariat à l’information du Canada

Notes de bas de page 47
Notes de bas de page 48
Notes de bas de page 49

Note de bas de page49 Archives nationales du Royaume-Uni, 20-year rule 

Notes de bas de page 50
Notes de bas de page 51

Note de bas de page51 The Official History of the Australian Security Intelligence Organisation (ASIO) est une série en trois tomes qui couvre la période de 1945 à 1989. Le premier tome, « The Spy Catchers: The Official; History of ASIO, 1949-1963 » a été écrit par David Horner, et les deux autres tomes, par John Blaxland; pour ce qui est de l’histoire officielle de l’Australian Signals Directorate (ASD), voir Georgia Hitch, « Australian Signals Directorate emerges from the shadows to commission history of itself », ABC News, 8 juillet 2019

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