Transports Canada (Re), 2025 CI 10
Date : 2025-02-19
Numéro de dossier du Commissariat : 5823-00735
Numéro de la demande d’accès : A-2020-00062
Sommaire
La partie plaignante allègue que Transports Canada, en réponse à une demande d’accès, a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu du paragraphe 19(1) (renseignements personnels), de l’alinéa 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers) et de l’alinéa 20(1)c) (pertes ou profits financiers d’un tiers) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande vise des copies de tous les rapports d’enquête sur des accidents mortels en milieu de travail ferroviaire préparés par Transports Canada depuis janvier 2000. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.
Les parties n’ont pas démontré que certains renseignements satisfaisaient aux critères des exceptions appliquées. Bien qu’un tiers affirme que l’article 23 (secret professionnel de l’avocat et privilège relatif à un litige) s’applique aussi aux renseignements qui le concernent, il ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que les critères de l’exception étaient satisfaits.
La Commissaire à l’information a ordonné à Transports Canada de communiquer certains renseignements pour lesquels les parties n’avaient pas démontré que les critères des exceptions étaient satisfaits. Transports Canada a avisé la Commissaire qu’il donnerait suite à l’ordonnance. La plainte est fondée.
Plainte
[1] La partie plaignante allègue que Transports Canada, en réponse à une demande d’accès, a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu du paragraphe 19(1) (renseignements personnels), de l’alinéa 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers) et de l’alinéa 20(1)c) (pertes ou profits financiers d’un tiers) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande vise des copies de tous les rapports d’enquête sur des accidents mortels en milieu de travail ferroviaire préparés par Transports Canada depuis janvier 2000.
[2] L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.
Enquête
[3] Lorsqu’une institution refuse de communiquer des renseignements, y compris les renseignements des tiers, il incombe à ces tiers et/ou à l’institution de démontrer que ce refus est justifié.
[4] Le Commissariat à l’information a demandé des observations au Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée (le CFCP), à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN), à Transports Canada, au commissaire à la protection de la vie privée du Canada et à la partie plaignante. Il a reçu des observations de toutes les parties et je les ai prises en considération pour tirer mes conclusions.
Paragraphe 19(1) : renseignements personnels
[5] Le paragraphe 19(1) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements personnels.
[6] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements concernent une personne, c’est-à-dire un être humain, et non une société;
- il y a de fortes possibilités que la divulgation de ces renseignements permette d’identifier cette personne;
- les renseignements ne sont pas assujettis à une des exceptions prévues aux alinéas 3j) à 3m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels applicables à la définition de « renseignements personnels » (p. ex. les coordonnées professionnelles des fonctionnaires).
[7] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors se demander si les circonstances suivantes (énumérées au paragraphe 19(2)) existent :
- la personne concernée par les renseignements consent à leur divulgation;
- les renseignements sont accessibles au public;
- la communication des renseignements serait conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[8] Lorsqu’une ou plusieurs de ces circonstances existent, le paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[9] Je conviens que les documents demandés contiennent une quantité importante de renseignements personnels concernant des individus identifiables. Ces renseignements satisfont aux critères du paragraphe 19(1) et comprennent les noms, titres et coordonnées d’employés de tiers ainsi que des renseignements personnels concernant les victimes (par exemple : expérience de travail, date de naissance, blessures subies). Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, sont considérés comme étant personnels s’ils concernent un individu et s’ils permettent d’identifier l’individu ou rendent possible son identification. « Les renseignements seront des renseignements concernant un individu identifiable lorsqu’il y a de fortes possibilités que l’individu puisse être identifié par l’utilisation de ces renseignements, seuls ou en combinaison avec des renseignements d’autres sources. » [Gordon c. Canada (Santé), 2008 CF 258, para 34].
[10] En ce qui concerne les renseignements dans les dépositions de témoins et les sommaires de dépositions, et la question de savoir si les renseignements concernent des individus identifiables, Transports Canada a fourni des observations détaillées affirmant qu’il avait considéré le risque de réidentification relativement à ces renseignements.
[11] Conformément à l’alinéa 35(2)d), le Commissariat à l’information a consulté le Commissariat à la protection de la vie privée (CPVP) pour établir si les renseignements factuels dans les sommaires et les dépositions de témoins constituent des renseignements personnels, et s’il y a de fortes possibilités que les témoins puissent être identifiés à partir de ces renseignements s’ils sont divulgués.
[12] En ce qui a trait à la question de savoir si les renseignements factuels pourraient être considérés comme étant davantage au sujet du travail effectué qu’au sujet d’un individu, le CPVP était d’accord avec le Commissariat à l’information que même les renseignements factuels au sujet des circonstances entourant les décès sont des renseignements factuels concernant un individu. Bien que je convienne que les faits concernant les actions effectuées par des individus constituent des renseignements personnels à leur sujet, je constate que certains des faits dont Transports Canada a refusé la communication ne concernent aucun individu. Il ne s’agit pas de renseignements personnels, car ils concernent la météo, l’endroit, l’équipement et d’autres questions non personnelles, et ne révèlent rien au sujet des opinions ou des actions d’individus.
[13] Je note que, bien que certains des renseignements non communiqués soient les mêmes que ceux qui étaient en cause dans ma décision Transports Canada (Re), 2023 CI 38, dans ce cas, les renseignements de la victime pouvaient être communiqués parce que le plus proche parent avait donné le consentement, mais en l’espèce, ce consentement n’avait pas été donné lorsque la demande d’accès a été présentée.
[14] Enfin, je dois me pencher sur la question de savoir si les renseignements restants dans les sommaires et les dépositions de témoins, qui sont, selon moi, des renseignements personnels, concernent des individus identifiables. Contrairement aux documents en cause dans ma décision Transports Canada (Re), 2023 CI 38, les victimes sont identifiables à partir des renseignements communiqués par Transports Canada, et aucun consentement n’a été obtenu d’un proche parent. Une autre différence importante, en l’espèce, est que certains renseignements ont également été communiqués, comme le moment où ont eu lieu des entrevues et les titres des personnes interrogées, ce qui accroît les possibilités d’identifier les individus. Compte tenu des documents en question et des observations que j’ai reçues du CPVP et de Transports Canada, je conclus qu’il n’est pas possible de communiquer davantage de renseignements sans qu’il y ait de fortes possibilités de réidentifier les individus.
[15] Je conclus que les renseignements dont la communication a été refusée satisfont aux critères du paragraphe 19(1), sauf ceux qui étaient de nature factuelle et qui peuvent raisonnablement être prélevés des renseignements personnels.
L’institution a-t-elle exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire quant à sa décision de communiquer ou non l’information?
[16] Étant donné que Transports Canada était d’avis que les renseignements satisfaisaient aux critères du paragraphe 19(1), il était tenu d’exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 19(2) afin de décider de communiquer ou non les renseignements lorsqu’au moins l’une des circonstances décrites au paragraphe 19(2) existait au moment de la réponse.
[17] Transports Canada a démontré ce qui suit :
- Il n’était pas raisonnable de demander le consentement aux individus, dans les circonstances, compte tenu de l’âge des documents et du nombre d’individus concernés;
- Il s’est demandé si la communication serait justifiée conformément à n’importe quel alinéa du paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais a conclu qu’elle ne le serait pas.
[18] Je conclus que les circonstances énoncées aux alinéas 19(2)a) et 19(2)c) n’existaient pas lorsque Transports Canada a répondu à la demande d’accès.
[19] En vertu de l’alinéa 19(2)b), Transports Canada aurait été tenu d’exercer son pouvoir discrétionnaire si certains des renseignements personnels étaient accessibles au public. Transports Canada a indiqué que, à part les cas où les noms et âges de certaines des victimes sont publics, les renseignements publics pertinents n’étaient pas du même type ou avaient fait l’objet de fuites plutôt que d’une communication intentionnelle.
[20] Je ne suis pas d’accord avec l’évaluation de Transports Canada quant aux renseignements qui sont accessibles au public, car le Commissariat a fourni à Transports Canada des sources d’information en ligne, outre les noms et âges de certaines victimes, qui m’apparaissent être les mêmes que les renseignements non communiqués.
[21] Je conclus que les circonstances énoncées à l’alinéa 19(2)b) existaient lorsque Transports Canada a répondu à la demande d’accès. Ainsi, Transports Canada était tenu d’exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire afin de décider de communiquer ou non les renseignements. Pour ce faire, il devait prendre en considération tous les facteurs pertinents pour ou contre la communication.
[22] Transports Canada a indiqué qu’il communiquerait les noms et âges des victimes qui sont accessibles au public, mais n’a pas mentionné les autres renseignements publics susmentionnés.
[23] Je conclus que Transports Canada n’a pas pris en considération tous les facteurs pertinents en décidant de ne pas communiquer les renseignements accessibles au public. Par conséquent, l’exercice du pouvoir discrétionnaire par Transports Canada n’était pas raisonnable.
Alinéa 20(1)b) : renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers
[24] L’alinéa 20(1)b) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels fournis à une institution fédérale par un tiers (c’est-à-dire une entreprise privée ou une personne, et non pas le demandeur d’accès).
[25] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements sont financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;
- les renseignements sont de nature confidentielle;
- le tiers a fourni les renseignements à une institution fédérale;
- le tiers a toujours traité les renseignements comme étant confidentiels.
[26] De plus, lorsque ces critères sont satisfaits, le paragraphe 20(6) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer les renseignements pour des raisons de santé publique ou de sécurité publique, ou pour protéger l’environnement, lorsque les deux circonstances suivantes (énumérées au paragraphe 20(6)) existent :
- la divulgation des renseignements serait dans l’intérêt public;
- l’intérêt public dans la divulgation est nettement supérieur à toute répercussion financière sur le tiers, à toute atteinte à la sécurité de ses ouvrages, réseaux ou systèmes, à sa compétitivité ou à toute entrave aux négociations contractuelles ou autres qu’il mène.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[27] Transports Canada a appliqué l’alinéa 20(1)b) aux renseignements suivants :
- un extrait d’un Guide du mécanicien de locomotive 8960 du CN et des renseignements connexes (pages 19 et 21 des documents);
- le coût assumé par le CFCP pour réparer des wagons endommagés (page 64 des documents);
- des observations dans le cadre d’une analyse d’un livret moteur par le CFCP (pages 258-261 des documents);
- la position du CFCP en réponse à une recommandation (pages 294 et 296 des documents);
- certains détails d’un rapport sur le décès d’un employé du CN à Gutah, en Colombie-Britannique, le 28 novembre 2012 (pages 1069 et 1072-1077 des documents).
[28] Je conviens que le coût des réparations est un renseignement financier. Je conviens également que certains des renseignements non communiqués concernent des données, des procédures et des processus propres à un tiers, et sont donc des renseignements commerciaux ou techniques, ce qui satisfait au premier critère de l’exception. Ces renseignements comprennent des extraits de manuels d’utilisation et d’avis système, des enregistrements de données et des descriptions de l’équipement et des processus en place.
[29] En ce qui concerne la position du CFCP en réponse à une recommandation (pages 294 et 296), je ne suis pas d’avis qu’il s’agit de renseignements de nature financière, commerciale, scientifique ou technique. Les renseignements non communiqués ne révèlent pas quelles mesures que le CFCP entendait prendre.
[30] Le deuxième critère de l’alinéa 20(1)b) exige que les renseignements soient confidentiels, selon une norme objective. Par conséquent, une partie qui affirme que les renseignements sont confidentiels en vertu de l’alinéa 20(1)b) doit établir que chacune des conditions suivantes a été satisfaite :
- le contenu du document est tel que les renseignements qu’il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;
- les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués;
- les documents doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l’exige ou parce qu’ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d’une relation de confiance entre l’administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d’une relation qui n’est pas contraire à l’intérêt public, et que la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l’intérêt public. [Voir Air Atonabee Ltd. (f.a.s. City Express) c. Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. no 453]; voir aussi Merck Frosst Canada Ltd. c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, para 133.]
[31] Certains des renseignements non communiqués étaient effectivement accessibles au public.
[32] Dans la mesure où les renseignements non communiqués ont été rendus publics dans le cadre de rapports du Bureau de la sécurité des transports, de la communication intentionnelle par le gouvernement, de la communication par le CN et de procédures judiciaires, je ne suis pas convaincue que ces parties des renseignements accessibles au public sont objectivement confidentielles. Bien que le CN et le CFCP s’opposent au fait que les renseignements en cause soient caractérisés comme publics, Transports Canada était d’accord avec mon évaluation, à savoir que certains des renseignements en cause étaient accessibles au public, soit ceux dont la communication avait été refusée aux pages 19, 21, 1069 et 1072-1077.
[33] Je ne suis pas non plus convaincue que certains des renseignements en cause ont été communiqués avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués. Les documents en cause ont été communiqués dans le cadre de l’enquête menée par Transports Canada, en vertu du Code canadien du travail, sur le décès d’employés qui se sont produits en milieu de travail ou pendant que ceux-ci travaillaient. Les paragraphes 144(5) et (5.01) du Code semblent réduire l’assurance raisonnable de confidentialité quant aux renseignements obtenus dans l’exercice des activités prévues à l’article 141. Ces dispositions permettent la publication ou la communication de ce type de renseignements si le chef est convaincu qu’il y va de l’intérêt de la santé et de la sécurité au travail ou de l’intérêt public.
[34] Dans ses observations, le CN soutenait que la confidentialité est prévue par le Code canadien du travail. Le paragraphe 144(3) du Code est énuméré à l’annexe II de la Loi sur l’accès à l’information. Il s’agit d’une exception obligatoire qui requiert que Transports Canada refuse de communiquer des secrets de fabrication ou de commerce recueillis dans le cadre d’une enquête. Transports Canada n’a pas invoqué le paragraphe 24(1) et n’a présenté aucune observation à l’appui de cette exception. Le CN n’a pas non plus fourni d’observations expliquant en quoi les renseignements non communiqués constituent des secrets de fabrication ou de commerce.
[35] Dans ses observations au Commissariat à l’information, le CFCP a affirmé que, vu les circonstances limitées dans lesquelles l’information peut être communiquée en vertu du Code canadien du travail, il y a une attente raisonnable que les renseignements demeurent en grande partie confidentiels. Bien que je comprenne la position du CFCP, il convient de noter qu’il y a des circonstances, comme la communication dans l’intérêt public, dans lesquelles les renseignements recueillis en vertu du Code peuvent être communiqués. Par conséquent, je ne suis pas d’avis que les parties ont fourni des éléments de preuve suffisants pour établir que ces dispositions sont un facteur déterminant contribuant à une attente raisonnable de confidentialité.
[36] Par conséquent, je crois que le simple fait d’invoquer le Code canadien du travail ne suffit pas pour démontrer une attente de confidentialité, même si cela peut laisser supposer qu’il y a une attente accrue. Si l’intention du Parlement avait été que l’article 144 du Code assure la confidentialité de tous les renseignements recueillis par Transports Canada durant ses enquêtes, selon moi, l’annexe II de la Loi sur l’accès à l’information aurait offert une plus vaste protection, au-delà des secrets de fabrication ou de commerce.
[37] Je ne suis pas convaincue que certains renseignements ont été communiqués dans le cadre d’une relation entre le tiers et Transports Canada et que la confidentialité des renseignements favorise l’intérêt public. Certains des renseignements se rapportent à des questions de sécurité. Lorsque c’est le cas, la communication confidentielle de ce type de renseignements peut avoir une incidence négative sur l’intérêt public.
[38] Compte tenu de ce qui précède, il n’a pas été établi que le deuxième critère de l’alinéa 20(1)b) est satisfait, à part en ce qui concerne le coût des réparations et les renseignements techniques, qui satisfont aux critères de la confidentialité objective.
[39] Pour ce qui est du troisième critère de l’alinéa 20(1)b), je constate que certains des renseignements en cause n’ont pas été fournis à une institution fédérale par un tiers. Bien que les documents aient été préparés en tenant compte d’observations concernant les opérations de tiers et, dans certains cas, avec des renseignements fournis par des tiers, cela ne suffit pas pour considérer que les renseignements en cause ont été « fournis par » ces tiers. La jurisprudence ayant trait à l’alinéa 20(1)b) a régulièrement fait la distinction entre des renseignements fournis par un tiers et des observations indépendantes qui ont été faites selon des renseignements qui ont été fournis [voir, p. ex. : Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, para 152-158; Canada (Transports) c. Air Transat A.T. Inc., 2019 CAF 286, para 71-81].
[40] Les parties des documents en cause qui pourraient être considérées comme ayant été fournies par un tiers se limitent aux renseignements qui provenaient directement d’un tiers, sans qu’y soit ajouté d’évaluation, d’observation ou de commentaire de la part des fonctionnaires de Transports Canada, comme des citations directes de procédures de sécurité et des détails qui n’auraient pas pu être observés par l’enquêteur. Je conclus que l’analyse et les conclusions de l’enquêteur aux pages 1072-1075 ne satisfont pas à ce critère.
[41] Enfin, pour ce qui est du dernier critère de l’alinéa 20(1)b), compte tenu des observations déjà fournies à Transports Canada par les tiers, de façon générale, il semblerait que le CN et le CFCP ont toujours traité ces renseignements comme étant confidentiels, sauf lorsque le CN a volontairement rendu les renseignements publics ou a fourni un témoignage ou un élément de preuve révélant les renseignements en cause.
[42] Les tiers et Transports Canada n’ont pas montré que des renseignements en particulier, à part les renseignements financiers et techniques aux pages 64 et 258-261, satisfont à l’ensemble des quatre critères de l’exception. Par conséquent, je conclus que seuls les renseignements aux pages 64 et 258-261 satisfont aux critères de l’alinéa 20(1)b).
Alinéa 20(1)c) : pertes ou profits financiers d’un tiers
[43] L’alinéa 20(1)c) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement d’avoir une incidence financière importante sur un tiers (c’est-à-dire une entreprise privée ou un particulier, et non pas le demandeur d’accès) ou de nuire à sa compétitivité.
[44] Pour invoquer cette exception relativement aux pertes ou profits financiers d’un tiers, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- la divulgation des renseignements pourrait causer des pertes ou profits financiers appréciables pour le tiers;
- il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.
[45] Pour invoquer cette exception relativement à la compétitivité, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- la divulgation des renseignements pourrait nuire à la compétitivité du tiers;
- il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.
[46] Lorsque ces critères sont satisfaits et que le tiers auquel les renseignements se rapportent consent à leur divulgation, le paragraphe 20(5) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.
[47] De plus, lorsque ces critères sont satisfaits, le paragraphe 20(6) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer les renseignements pour des raisons de santé publique ou de sécurité publique, ou pour protéger l’environnement, lorsque les deux circonstances suivantes (énumérées au paragraphe 20(6)) existent :
- la divulgation des renseignements serait dans l’intérêt public;
- l’intérêt public dans la divulgation est nettement supérieur à toute répercussion financière sur le tiers, à toute atteinte à la sécurité de ses ouvrages, réseaux ou systèmes, à sa compétitivité ou à toute entrave aux négociations contractuelles ou autres qu’il mène.
[48] Toutefois, les paragraphes 20(2) et 20(4) interdisent expressément aux institutions d’invoquer l’alinéa 20(1)c) pour refuser de communiquer des renseignements qui contiennent les résultats d’essais de produits ou d’essais d’environnement effectués par une institution fédérale ou en son nom, sauf si ces essais ont été effectués moyennant paiement pour un particulier ou un organisme autre qu’une institution fédérale.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[49] Transports Canada a refusé de communiquer des renseignements relatifs au CN, en vertu de l’alinéa 20(1)c), aux pages 1074-1075 des documents.
[50] Le CN a indiqué que la communication de l’analyse et des conclusions de l’enquêteur pourrait être préjudiciable. Le CN affirme que la communication pourrait faire en sorte qu’il soit perçu comme responsable de l’accident. En l’espèce, Emploi et Développement social Canada a porté accusation contre le CN. Par conséquent, ce dernier a eu l’occasion de fournir publiquement sa propre analyse de l’incident et ses propres conclusions. Cela semblerait réduire tout préjudice causé par la communication de renseignements similaires dans ce rapport. Bien qu’interrogé à ce sujet, le CN n’a pas abordé cette question dans ses observations.
[51] Je note que les tribunaux se sont montrés sceptiques à l’égard des arguments relatifs aux malentendus de la part du public, parce que de tels arguments pourraient miner l’objectif fondamental de la législation quant à l’accès à l’information – qui est de donner au public l’accès à l’information afin qu’il puisse l’évaluer, et non de protéger le public de l’information [voir Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, para 224].
[52] Le CN a affirmé que le préjudice ne découlerait pas d’un malentendu, mais du fait que les conclusions de l’inspecteur seraient interprétées comme si elles attribuaient la responsabilité au CN. Dans ses observations, ce dernier a cité les conclusions dans l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (2013 TSSTC 5). Le préjudice identifié par le CN semble concerner sa réputation et le fait que la communication des renseignements pourrait vraisemblablement mener à un litige contre lui.
[53] En ce qui a trait au préjudice à la réputation du CN, l’argument de ce dernier repose sur des suppositions et n’est pas appuyé par des éléments de preuve. Dans une décision subséquente à celle citée par le CN, après avoir considéré le bien-fondé de la question, le membre du tribunal a divulgué l’entièreté du libellé de la directive. Malgré cela, le CN n’a pas démontré qu’un préjudice qui en découlait.
[54] Quant à la question du litige, à part les cas où il y a suffisamment d’éléments de preuve à l’appui, les tribunaux ont statué que l’alinéa 20(1)c) « ne devait pas, à l’origine, viser les frais judiciaires et les dommages‑intérêts » [Janssen-Ortho Inc. c. Canada (Santé), 2005 CF 1633, para 54; Hutton c. Canada (Ministre des Ressources naturelles), 1997 CanLII 5581, para 3). Je ne suis pas convaincue que les renseignements se rapportant au CN satisfont aux critères de l’exception, car le CN n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de sa position.
[55] Dans ses observations, le CN faisait référence aux protections prévues à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, mais il n’a pas fourni suffisamment de détails pour établir en quoi cela était lié aux critères de cette exception ou d’une autre exception.
[56] Transports Canada n’a pas appliqué l’alinéa 20(1)c) aux documents relatifs au CFCP, mais ce dernier a invoqué cette exception dans ses observations. Le CFCP a fait une affirmation similaire à celle du CN, à savoir que la communication pourrait être préjudiciable du fait qu’elle entraînerait des conséquences judiciaires.
[57] Le CFCP a aussi indiqué que les renseignements concernant [traduction] « des questions relatives au personnel pourraient être utilisées par des concurrents pour causer un désavantage et un préjudice à CPKC », mais n’a pas précisé quels renseignements de ce type pourraient être utilisés contre le CFCP et de quelle manière. En outre, il est difficile de voir en quoi les renseignements concernant le CFCP concernent des « questions relatives [à son] personnel ».
[58] Pour que l’alinéa 20(1)c) s’applique, il doit y avoir un lien clair et direct entre la communication de renseignements précis et un risque de préjudice bien au-delà de la simple possibilité ou conjecture [voir Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, para 197, 206].
[59] Aucune explication n’a été fournie afin de démontrer que la communication risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou des profits financiers ou de nuire à la compétitivité d’un tiers. Par conséquent, Transports Canada et les tiers n’ont pas démontré un lien clair et direct entre la communication des renseignements en cause et un risque de préjudice au sens de l’alinéa 20(1)c) qui est bien au-delà de la simple possibilité ou conjecture.
[60] Tout lien avec ce type de préjudice serait vraisemblablement atténué par le fait que certains des renseignements sont accessibles au public, alors que les tiers n’ont pas indiqué que cela leur a été préjudiciable.
[61] Par conséquent, je conclus que les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’alinéa 20(1)c).
L’institution a-t-elle exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire quant à sa décision de communiquer ou non l’information?
[62] Étant donné que Transports Canada était d’avis que les renseignements satisfaisaient aux critères des alinéas 20(1)b) et c), il était tenu d’exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire afin de décider de communiquer ou non les renseignements pour des raisons d’intérêt public concernant la santé ou la sécurité publiques, ou la protection de l’environnement, lorsque les deux circonstances décrites au paragraphe 20(6) existaient au moment de la réponse.
[63] Transports Canada a présenté des observations détaillées sur ce point, indiquant notamment que la communication ne serait pas dans l’intérêt public si elle empêchait les tiers de présenter ouvertement des rapports à Transports Canada. Je conclus que la position de Transports Canada sur ce point est raisonnable.
[64] Je conclus que les circonstances énoncées au paragraphe 20(6) n’existaient pas lorsque Transports Canada a répondu à la demande d’accès. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner la question ayant trait au pouvoir discrétionnaire.
Article 23 : secret professionnel de l’avocat et privilège relatif à un litige
[65] L’article 23 permet aux institutions de refuser de communiquer des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire lorsque l’information concerne des avis juridiques donnés à un client. L’article 23 permet aussi aux institutions de refuser de communiquer des renseignements protégés par le privilège relatif au litige lorsque l’information a été préparée ou recueillie aux fins d’un litige.
[66] Pour invoquer cette exception relativement au secret professionnel de l’avocat, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- l’information consiste en une communication entre un avocat ou un notaire et son client;
- cette communication concerne directement les consultations ou les avis juridiques, y compris tous les renseignements nécessaires échangés en vue de l’obtention d’avis juridiques;
- les communications et les conseils sont destinés à être confidentiels.
[67] Pour invoquer cette exception relativement à un litige, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements ont été préparés ou recueillis dans le but principal d’un litige;
- le litige est en cours ou peut être raisonnablement appréhendé.
[68] Le privilège relatif au litige prend fin généralement lorsque le litige est terminé, sauf lorsqu’un litige connexe est en instance ou est raisonnablement appréhendé.
[69] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions (à qui appartient le privilège) doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[70] Transports Canada n’a pas appliqué l’article 23 aux documents; cependant, le CFCP a soulevé cette exception dans ses observations. Le CFCP soutenait que le reste des renseignements en cause étaient soit le résultat d’une communication entre un client et un avocat, soit des renseignements relatifs à un litige en instance ou envisagé ou créés principalement dans ce but.
[71] Bien que ses avocats aient possiblement participé à l’interrogation des témoins et aux communications avec Transports Canada, le CFCP n’a pas démontré en quoi la communication révélerait le contenu de communications visant directement l’obtention d’avis juridiques. Si les avis échangés par le CFCP et ses avocats se trouvent dans les documents, le CFCP semblerait avoir renoncé au privilège en divulguant cet échange à Transports Canada.
[72] En ce qui concerne l’affirmation du CFCP selon laquelle le privilège relatif à un litige s’applique également, il n’a pas indiqué de litige en instance ou appréhendé ni tenté de préciser quels documents ont été préparés ou recueillis dans le but principal d’un litige.
[73] Transports Canada a indiqué que, à son avis, l’article 23 ne peut pas s’appliquer aux renseignements en cause.
[74] Par conséquent, je conclus que les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’article 23.
Résultat
[75] La plainte est fondée.
Ordonnances
J’ordonne à la ministre des Transports ce qui suit :
- Communiquer les renseignements dont la communication a été refusée en vertu du paragraphe 19(1) qui sont de nature factuelle, ne se rapportent pas à un individu et peuvent raisonnablement être prélevés des renseignements personnels;
- Exercer de nouveau son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 19(2)b) pour décider de communiquer ou non les renseignements personnels accessibles au public;
- Communiquer les renseignements dont la communication a été refusée en vertu des alinéas 20(1)b) et 20(1)c), à part ceux aux pages 64 et 258-261 ainsi que ceux auxquels s’applique aussi, selon mes conclusions, le paragraphe 19(1).
Rapport et avis de l’institution
Le 17 janvier 2025, j’ai transmis à la ministre des Transports mon rapport dans lequel je présentais mes ordonnances.
Le 17 février 2025, la gestionnaire, Accès à l’information et protection des renseignements personnels, m’a avisée que Transports Canada donnerait suite à mes ordonnances.
Révision devant la Cour fédérale
Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Lorsque la Commissaire à l’information rend une ordonnance, l’institution a également le droit d’exercer un recours en révision. La partie plaignante et/ou l’institution doivent exercer un recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables suivant la date du présent compte rendu. Si celles-ci n’exercent pas de recours, les tiers et le commissaire à la protection de la vie privée peuvent exercer un recours en révision dans les 10 jours ouvrables suivants. Quiconque exerce un recours en révision doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ces délais, toute ordonnance rendue prend effet le 46e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.
Autres destinataires du compte rendu
Conformément au paragraphe 37(2), le présent compte rendu a été envoyé au CFCP, au CN et au commissaire à la protection de la vie privée du Canada.