Ingenium – Musées des sciences et de l’innovation du Canada (Re), 2024 CI 11

Date : 2024-03-28

Numéro de dossier du Commissariat : 5820-01373

Numéro de dossier de l’institution : A-200-0130-20-100

Sommaire

La partie plaignante allègue qu’Ingenium – Musées des sciences et de l’innovation du Canada (Ingenium) a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’article 14 (affaires fédérales-provinciales), de l’alinéa 16(1)c) (déroulement d’enquêtes), de l’alinéa 18b) (compétitivité des institutions fédérales ou négociations des institutions fédérales), de l’alinéa 18d) (intérêts financiers du gouvernement) et du paragraphe 19(1) (renseignements personnels) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande d’accès visait des documents relatifs au prêt d’objets pour l’exposition « Autopsie d’un meurtre ». L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

L’application du paragraphe 19(1) pour refuser de communiquer les signatures n’est plus visée par la plainte.

Au cours de l’enquête, Ingenium a décidé de ne plus invoquer l’alinéa 16(1)c) pour refuser de communiquer des renseignements. Ingenium a également décidé de communiquer des renseignements qu’il avait refusé de communiquer en vertu des alinéas 18b) et18d), et a fourni des renseignements supplémentaires pour aider la partie plaignante à interpréter les documents reçus. À la suite de ces démarches, les alinéas 18b) et 18d) et le paragraphe 19(1) n’étaient plus en cause.

Au cours de l’enquête, Ingenium a invoqué l’alinéa 68c) (documents déposés par d’autres personnes ou organisations externes dans certaines institutions). Cette exclusion a été appliquée en parallèle à l’article 14 pour refuser de communiquer des photographies.

Ingenium n’a pas démontré que l’information satisfaisait à tous les critères de l’alinéa 68c). En outre, Ingenium n’a pas démontré que les renseignements satisfaisaient à tous les critères de l’article 14, notamment que la communication des renseignements pourrait vraisemblablement nuire à la conduite des affaires fédérales-provinciales.

La Commissaire à l’information a ordonné à Ingenium de communiquer les documents. Ingenium a avisé la Commissaire qu’il donnerait suite à l’ordonnance.

La plainte est fondée.

Plainte

[1]      La partie plaignante allègue qu’Ingenium – Musées des sciences et de l’innovation du Canada (Ingenium) a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’article 14 (affaires fédérales-provinciales), de l’alinéa 16(1)c) (déroulement d’enquêtes), de l’alinéa 18b) (compétitivité des institutions fédérales ou négociations des institutions fédérales), de l’alinéa 18d) (intérêts financiers du gouvernement) et du paragraphe 19(1) (renseignements personnels) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande d’accès visait des documents relatifs au prêt d’objets pour l’exposition « Autopsie d’un meurtre ». L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

[2]      Au cours de l’enquête, la partie plaignante a estimé qu’il n’était plus nécessaire que le Commissariat à l’information enquête sur le refus de communiquer les signatures en vertu du paragraphe 19(1) (renseignements personnels) de la Loi.

Enquête

[3]      Lorsqu’une institution refuse de communiquer des renseignements en vertu d’une exception ou d’une exclusion, il lui incombe de démontrer que ce refus est justifié.

[4]      Le 18 novembre 2022, au cours de l’enquête, Ingenium a communiqué des renseignements qu’il avait initialement refusé de communiquer en vertu des alinéas 18b) et 18d). Ingenium a reconnu que ces renseignements n’étaient pas visés par une exception en vertu de la Loi. De plus, le 23 janvier 2023, Ingenium a fourni des renseignements supplémentaires pour aider la partie plaignante à interpréter les documents reçus. À la suite de ces démarches, les alinéas 18b) et 18d) et le paragraphe 19(1) n’étaient plus en cause.

[5]      Au cours de l’enquête, Ingenium a décidé de ne plus se fonder sur le l’alinéa 16(1)c) pour refuser de communiquer les renseignements.

[6]      Au cours de l’enquête, Ingenium a également affirmé que les renseignements en cause (les images qui se trouvent aux pages 95, 141, 155 et 182) étaient exclus de l’application de la Loi en vertu de l’alinéa 68c) (documents déposés par d’autres personnes ou organisations externes dans certaines institutions). Cette exclusion a été appliquée en parallèle à l’article 14 pour refuser de communiquer des photographies qui ont été prises dans le cadre d’une candidature pour le Prix Excellence de la Société des musées du Québec (Prix Excellence) et dans le cadre de constats d’état.

[7]      Quand le Commissariat lui a demandé des observations supplémentaires concernant les raisons pour lesquelles ces images satisfont aux critères de l’article 14 et de l’alinéa 68c), Ingenium a refusé de répondre aux questions précises qui lui ont été posées.

Alinéa 68c) : documents déposés par d’autres personnes ou organisations externes au Musée national des sciences et de la technologie

[8]      En vertu de l’article 68, le droit d’accès prévu à la partie I de la Loi ne s’applique pas aux documents déposés au Musée national des sciences et de la technologie par des personnes ou organisations extérieures aux institutions fédérales ou pour ces personnes ou organisations.

Les renseignements sont-ils exclus de l’application de la Loi?

[9]      Selon le site Web de l’Institut canadien de conservation, un constat d’état est un document écrit qui décrit en détail l’état d’un objet d’après un examen minutieux. Il expose l’état physique de l’objet, tout changement qui peut surgir pendant que l’objet est exposé ou prêté et toute restriction faisant en sorte qu’il peut continuer d’être exposé ou non. En l’espèce, les constats d’état semblent faire partie de l’entente de prêt entre Ingenium et la Société du Vieux-Port de Montréal et/ou entre Ingenium et le Musée de la civilisation à Québec (le Musée) concernant l’exposition « Autopsie d’un meurtre ».

[10]    Pour corroborer son affirmation selon laquelle les renseignements en cause sont exclus de l’application de la Loi en vertu de l’alinéa 68c), Ingenium a déclaré que les documents en question lui ont été fournis par le Musée au nom du Bureau du coroner, et aucun de ces deux organismes n’est une institution fédérale au sens de la Loi. Les photographies ont été prises par le personnel d’Ingenium pour documenter les artéfacts empruntés dans le cadre de l’exposition et ont ensuite été placées dans les constats d’état. Ingenium affirme donc que ces images ainsi que les artéfacts sont visés par l’alinéa 68c) de la Loi et que, selon la décision Philipps c. Canada (Bibliothécaire et Archiviste), 2006 CF 1378 (Phillips), les images ne peuvent pas être communiquées à une personne qui fait une demande en vertu de la Loi.

[11]    Je ne suis pas convaincue que les photographies des documents/artéfacts constituent les documents/artéfacts eux-mêmes. Dans la décision Phillips, le demandeur voulait avoir accès aux documents du fonds Bloomfield et la Cour était d’accord que ceux-ci étaient exclus de l’application de la Loi en vertu de l’alinéa 68c). Cette décision est différente des faits dans l’affaire qui nous occupe. En l’espèce, la partie plaignante ne souhaite pas avoir accès aux documents/artéfacts eux-mêmes, mais à des documents relatifs à leur prêt pour une exposition en particulier, notamment des constats d’état et une candidature pour le Prix Excellence. Par conséquent, les faits sur lesquels reposent la décision Philipps se distinguent de ceux dans le cadre de la présente enquête et la décision n’appuie pas la position d’Ingenium selon laquelle les photographies sont exclues de l’application de la Loi en vertu de l’alinéa 68c).

[12]    En outre, l’application par Ingenium de l’alinéa 68c) n’est pas cohérente et aucune justification n’a été fournie pour expliquer cette incohérence. Ingenium a indiqué que des images en particulier étaient exclues de l’application de la Loi. Cette distinction semble se fonder sur le fait que ces images illustraient des documents/artéfacts liés à des restes humains. Je note cependant qu’Ingenium n’a pas affirmé que les autres images parmi les documents pertinents dans le cadre de la demande étaient exclues de l’application de la Loi. Ingenium semble donc considérer que seules ces images n’étaient pas visées par le droit d’accès prévu par la Loi, mais n’a pas expliqué pourquoi celui-ci n’était pas applicable aux autres images. En l’absence de cette distinction, je conclus que l’application par Ingenium n’est pas cohérente et qu’elle était donc incorrecte.

[13]    Je conclus que les constats d’état, qui comprennent des images d’artéfacts (c.-à-d. des restes humains), sont des documents opérationnels et ne constituent pas des documents/artéfacts déposés à Ingenium au sens de l’alinéa 68c).

[14]    La personne qui a préparé la candidature pour le Prix Excellence a résumé et décrit l’exposition, et fourni des photographies de celle-ci ainsi que des lettres d’appui et des exemples de communiqués de presse à son sujet. Le fait que des photographies aient été fournies dans la candidature indique que celles-ci ne sont pas en soi des documents/artéfacts déposés par une organisation extérieure aux institutions fédérales au sens de l’alinéa 68c). Ce fait indique plutôt que les photos sont des documents institutionnels assujettis à la Loi

[15]    Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les renseignements ne sont pas exclus de l’application de la Loi parce qu’ils ne satisfont pas aux critères de l’alinéa 68c).

[16]    Puisque les renseignements ne satisfont pas aux critères de cette exclusion, j’ai aussi examiné si Ingenium avait correctement appliqué l’article 14 relativement à ces mêmes renseignements pour en refuser la communication.

 Article 14 : affaires fédérales-provinciales

[17]    L’article 14 permet aux institutions de refuser de communiquer des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à la conduite des affaires fédérales-provinciales.

[18]    Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • la divulgation des renseignements pourrait nuire à la conduite des affaires fédérales-provinciales du gouvernement du Canada (par exemple, des renseignements sur des consultations ou des délibérations fédérales-provinciales ou sur la stratégie ou les tactiques du gouvernement du Canada liées à la conduite des affaires fédérales-provinciales, comme le prévoient les alinéas 14a) et b));
  • il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.

[19]    Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.

L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?

[20]    Ingenium a appliqué l’article 14 pour refuser de communiquer des images qui se trouvaient dans une candidature pour le Prix Excellence (page 95) et dans des constats d’état préparés par Ingenium (pages 141, 155 et 182).

[21]    Ingenium a expliqué qu’il avait refusé de communiquer les renseignements après avoir consulté le Musée. Bien que les documents et les artéfacts aient déjà été exposés au public dans le cadre de l’exposition « Autopsie d’un meurtre », ces documents et artéfacts ainsi que les images connexes sont maintenant à accès restreint et ne sont plus disponibles dans les collections en ligne du Musée. Ingenium a informé le Commissariat qu’en 2018, le Musée avait consulté le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale du ministère de la Sécurité publique, et il a été décidé que la communication de ces artéfacts au public contrevenait aux articles 4 et 5 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (Charte québécoise). La Commission d’accès à l’information du Québec (CAI) a ensuite conclu que la communication de ces images contrevenait à la loi québécoise sur la protection des renseignements personnels ainsi qu’à la Charte québécoise.

[22]    Ingenium soutenait que la divulgation des photographies pourrait vraisemblablement nuire à la conduite des affaires fédérales-provinciales, particulièrement en ce qui a trait à l’échange de documents entre les institutions assujetties aux différentes lois régissant la communication de documents. Ingenium soutenait également que la divulgation pourrait vraisemblablement causer des préjudices en entravant et contredisant l’approche provinciale en matière de protection de la vie privée. Enfin, Ingenium était d’avis qu’il n’avait pas le pouvoir de communiquer ces images. Il affirmait que, en tant qu’entité fédérale, en communiquant ces images, il entraverait et contredirait directement les affaires provinciales liées à la protection de la vie privée du Québec et nuirait à la conduite des affaires fédérales-provinciales.

[23]    Comme mentionné dans la décision Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), 1992 CanLII 2414 (CF), [1993] 1 CF 427, la partie qui veut refuser de communiquer un document doit établir, au moyen d’une preuve claire et directe, qu’il aura un risque vraisemblable que la communication de renseignements donnés entraîne un préjudice : « Plus les preuves et témoignages sont spécifiques et concluants, plus forte est la

défense de la confidentialité. Plus les preuves et témoignages sont généraux, plus il serait difficile pour la Cour de conclure au lien entre la divulgation de documents donnés et le préjudice invoqué. » 

[24]    Dans la décision Criminal Trial Lawyers’ Association c. Canada (Justice), 2020 CF 1146, au para 59, le juge a également souligné ce qui suit : « Il ne suffit pas à la directrice de l’AIPRP d’affirmer que la divulgation porterait préjudice aux relations [fédérales-provinciales-territoriales], sans preuve précise à l’appui. »

[25]    Ingenium n’a pas indiqué quel préjudice en particulier la communication des images pourrait causer à la conduite des affaires fédérales-provinciales. Ingenium a fait référence à une incidence potentielle sur l’échange de documents entre les organisations, mais n’a pas donné d’explication plus détaillée ni établi de lien avec les affaires fédérales-provinciales. De même, pour établir que les critères de l’article 14 sont satisfaits, il ne suffit pas de mentionner que la communication peut nuire aux affaires fédérales-provinciales, sans fournir de preuve pour illustrer la nature de ce préjudice. Enfin, l’affirmation d’Ingenium selon laquelle il n’est pas autorisé à divulguer les images dont la communication a été refusée n’est pas convaincante. La preuve démontre que les photos ont été prises afin de créer des documents institutionnels et aucune preuve n’a été fournie pour appuyer l’affirmation selon laquelle l’utilisation subséquente par Ingenium de cette information était restreinte.

[26]    Outre ce qui précède, Ingenium n’a pas indiqué la probabilité que le préjudice se produise. L’article 14 exige que l’institution démontre que la communication des renseignements en cause entraîne vraisemblablement un préjudice. Les observations présentées par Ingenium au Commissariat ne mentionnent pas ce point.  

[27]    Ingenium n’a pas démontré que la communication des images pourrait vraisemblablement nuire à la conduite des affaires fédérales-provinciales. Par conséquent, je conclus que les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’article 14.

Observation

[28]    Au cours de l’enquête, Ingenium a mentionné plusieurs affaires devant la CAI qui permettaient à une institution de refuser de communiquer des documents similaires, au motif que les renseignements étaient considérés comme des renseignements personnels en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (loi québécoise).

[29]    Bien que cela puisse être le cas en vertu de la loi québécoise, les faits en l’espèce et la Loi fédérale, à laquelle sont assujetties les institutions fédérales, dont Ingenium, ne me permettent pas d’arriver aux mêmes conclusions. La disposition équivalente de la Loi, à savoir l’article 19 (renseignements personnels), n’a été invoquée que pour les signatures qui se trouvent dans le dossier et non pour les photographies elles-mêmes. Quoiqu’il en soit, le paragraphe 19(1) [et, par renvoi, les alinéas 3i) et m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels], exclut les renseignements concernant une personne décédée depuis plus de vingt ans de la définition de « renseignements personnels ». Les renseignements personnels qui ne concernent pas une personne identifiable ne sont pas non plus protégés en vertu du paragraphe 19(1). J’ai déjà conclu, dans le dossier 2022 CI 36, que les photos relatives à l’exposition « Autopsie d’un meurtre » ne satisfont pas aux critères du paragraphe 19(1).

[30]    Ingenium a également renvoyé à une décision de la CAI dans laquelle il a été établi que des photographies contrevenaient aux articles 4 (dignité) et 5 (vie privée) de la Charte québécoise (voir 2022 QCCAI 25). Dans cette affaire, la personne qui a présenté la demande souhaitait consulter l’« Album des causes célèbres », qui contenait des photos des cadavres nus de femmes et d’enfants, et dans lequel figuraient des renseignements personnels permettant d’identifier des gens, comme les prénoms et noms des défunts ainsi que la date de leur décès.

[31]    Bien qu’Ingenium ne soulève pas directement un argument fondé sur la Charte, la dignité humaine et la vie privée sont des valeurs importantes qui sous-tendent de nombreux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (Charte), à savoir l’article 7 (droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne), l’article 11 (droits d’un inculpé) et l’article 12 (protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités). Contrairement à la Charte québécoise, la dignité et la vie privée ne sont pas en soi des droits garantis par la Charte [voir Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 (CanLII), [2000] 2 RCS 307, para 77-78, 80]. Néanmoins, je suis dans l’obligation de considérer les valeurs qui sous-tendent la Charte lorsque j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour rendre une ordonnance en vertu de la Loi. Par conséquent, je dois d’abord établir si ma décision engage et limite une protection en vertu de la Charte. Si c’est le cas, je dois évaluer proportionnellement la valeur sous-tendant la Charte par rapport aux objectifs législatifs pertinents.

[32]    En l’espèce, Ingenium soutenait qu’il ne pouvait pas renoncer aux droits fondamentaux des individus concernés. Lorsqu’elle a évalué si les défunts ont droit aux protections prévues par la Charte, la Cour d’appel fédérale a déclaré que les droits découlant de la Constitution sont de nature personnelle et qu’ils disparaissent avec la personne qui en est titulaire [Canada (Procureur général) c. Vincent Succession, 2005 CAF 272, au para 14]. En outre, les cours ont statué que les droits protégés par la Charte sont des droits de nature personnelle qui ne peuvent être revendiqués par quelqu’un d’autre que la personne qui en est titulaire [Wilson Estate v. Canada (Attorney General) (1996), 1996 CanLII 2417 (BC SC), 25 B.C.L.R. (3d) 181 (B.C.S.C.), au para 26 – décision en anglais seulement].

[33]    De plus, la Cour d’appel fédérale a récemment statué qu’une valeur consacrée par la Charte ne peut pas être plus vaste que le droit qui la sous-tend [Sullivan v. Canada (Attorney General), 2024 FCA 7 (CanLII), au para 11 – décision en anglais seulement; voir aussi Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, [2020] 3 RCS 426]. Comme il est mentionné ci-dessus, il n’y a pas de droit clair et absolu à la dignité ou à la vie privée en vertu de la Charte et il est difficile de voir en quoi les articles 7, 11, 12 ou toute autre disposition de la Charte s’appliqueraient dans les circonstances pour justifier le refus de respecter le droit d’accès de la personne qui a fait la demande.

[34]    Puisque les droits garantis par la Charte ne s’appliquent pas aux défunts et comme la valeur consacrée par la Charte ne peut pas être plus vaste que le droit lui-même, je conclus que les protections prévues par la Charte ne sont pas engagées ou limitées en l’espèce. Cependant, dans l’éventualité où j’aurais tort, je soupèserai les valeurs consacrées par la Charte en cause par rapport aux objectifs législatifs que je dois respecter.

[35]    Contrairement à l’affaire pour laquelle la CAI avait conclu que la divulgation des photographies dans l’« Album de causes célèbres » contreviendrait à la Charte québécoise, les photographies en l’espèce ne représentent pas les défunts dans leur état le plus vulnérable et intime, comme la nudité, des images d’autopsies ou des photos d’horribles scènes de crime. Les photographies en l’espèce ne sont pas objectivement repoussantes. Elles ne sont pas choquantes, épouvantables, horribles ou gratuites. Elles illustrent les artéfacts sur une table ou sont des photographies de l’exposition dans le cadre de laquelle les artéfacts étaient exposés au public.

[36]    Les photographies en l’espèce ne montrent pas les défunts d’une manière intime, compromettante, embarrassante ou dégradante qui pourrait être irrespectueuse ou déshonorante à leur égard. Elles ont plutôt été prises à des fins de collecte de données. L’exposition visait à éduquer et à informer, dans l’intérêt public.

[37]    Compte tenu de la nature et de l’objectif des photographies, je conclus que mon ordonnance aurait une incidence minimale sur le droit à la dignité et à la vie privée des défunts.

[38]    En outre, la limite de vingt ans prévue dans la Loi sur la protection des renseignements personnels concernant les renseignements personnels des personnes décédées minimise la gravité de toute violation de leur droit à la vie privée, dans les circonstances. Cette loi et la Loi sur l’accès à l’information doivent être lues de concert, car elles « forment un code homogène dont les dispositions complémentaires peuvent et doivent être interprétées de façon harmonieuse » [Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, [2003] 1 RCS 66, au para 22]. Le droit à la vie privée n’est pas absolu et le Parlement a estimé qu’il convenait de limiter le droit à la vie privée des personnes décédées, car le besoin de protection diminue vraisemblablement avec le temps après le décès d’une personne, ce qui accroît le droit d’accès. Le fait que le droit à la vie privée des défunts ne soit plus protégé vingt ans après leur décès me permet également de conclure que mon ordonnance a une incidence minimale sur leurs droits à cet égard.

[39]    Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Sullivan, une valeur consacrée par la Charte ne peut pas être utilisée pour invalider les dispositions législatives que je suis tenue de respecter (Sullivan, supra, au para 12). Par conséquent, en l’absence d’une contestation judiciaire fructueuse de la limite de vingt ans prévue par la Loi (et, par extension, la Loi sur la protection des renseignements personnels), je dois accorder la priorité aux objectifs législatifs plutôt qu’aux droits des défunts, dans les circonstances.

[40]    Enfin, afin de donner tout son sens au droit d’accès, qui est de nature quasi constitutionnelle, la Cour d’appel fédérale a déclaré que : « [l]a communication est la règle générale et l’exemption, l’exception, et c’est à ceux qui réclament l’exemption de prouver leur droit à cet égard » [Rubin c. Canada (Ministre des Transports) (C.A.), 1997 CanLII 6385 (CAF), [1998] 2 CF 430, citant 1988 CanLII 5656 (CAF)]. Ingenium n’a pas démontré qu’il était autorisé à refuser la communication en vertu de la Loi.

[41]    Une fois que je suis arrivée à la conclusion qu’une institution n’était pas autorisée à refuser la communication, je peux rendre toute ordonnance que je juge appropriée. Afin de donner tout son sens au droit d’accès garanti par les articles 2 et 4 de la Loi, je ne vois aucune autre option raisonnable que d’ordonner la communication des documents dont la communication avait été illégalement refusée.

[42]    Compte tenu de ce qui précède, j’aurais quand même ordonné à Ingenium de communiquer les documents.

Résultat

[43]    La plainte est fondée.

Ordonnances et recommandations

J’ordonne à la directrice du Musée des sciences et de la technologie de communiquer les documents.

Rapport et avis de l’institution

Le 19 décembre 2023, j’ai transmis mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.

Le 29 janvier 2024, la directrice du Musée des sciences et de la technologie m’a avisée qu’Ingenium donnerait suite à l’ordonnance. Elle a informé le Commissariat qu’elle avait fait part de son intention de divulguer les renseignements au Musée de la Civilisation à Québec et au Bureau du Coroner (Québec), et que la communication des documents pourrait être retardée si ces parties intentaient un recours judiciaire. Elle m’a également informée qu’elle communiquerait les documents à la partie plaignante dans un délai de 30 jours suivant la réception du présent compte rendu.

Révision devant la Cour fédérale

Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Lorsque la Commissaire à l’information rend une ordonnance, l’institution a également le droit d’exercer un recours en révision. Quiconque exerce un recours en révision doit le faire dans un délai de 35 jours ouvrables suivant la date du présent compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ce délai, toute ordonnance rendue prend effet le 36e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.

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