2009-2010 5. Aspects fondamentaux du droit de l’accès à l’information au Canada

Précédent   Table des matières   Suivant

 

Dans plusieurs dossiers, notre travail auprès des tribunaux a contribué à l’avancement de l’interprétation d’aspects importants en matière d’accès à l’information. Ces causes et notre participation soulignent l’importance que nous accordons au développement de la jurisprudence dans le domaine de l’accès à l’information et à notre position en faveur d’une saine application de la loi.

L’un des principes fondamentaux de la Loi sur l’accès à l’information est que les décisions relatives à la communication de renseignements doivent être examinées par un organisme indépendant du gouvernement. Le premier niveau d’examen est celui auquel procède le Commissariat à l’information par le biais de ses enquêtes. Le deuxième niveau est celui de la Cour fédérale, après que notre enquête ait été complétée, et ne concerne que les cas de refus d’accès.

Les litiges engagés en vertu de la Loi peuvent l’être dans les cas suivants :

  • Lorsque nous concluons qu’une plainte est fondée et que l’institution ne donne pas suite à notre recommandation de communiquer les renseignements, nous pouvons, avec le consentement du demandeur, adresser une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale.

  • Le plaignant peut, lorsqu’il reçoit notre rapport d’enquête, adresser une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale.

La Loi prévoit également un mécanisme par lequel un tiers peut demander le contrôle judiciaire de la décision d’une institution de communiquer des renseignements que le tiers souhaite retenir.

Nous pouvons également participer à d’autres types d’instances judiciaires :

  • Nous pouvons demander l’autorisation d’intervenir dans des affaires ayant trait à l’accès à l’information.

  • Nous pouvons défendre les compétences ou les pouvoirs de la commissaire.

Cette année, nous avons participé à plusieurs instances judiciaires. En voici un résumé.

Le contrôle des documents

Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), (A-378-08); Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), (A-379-08); Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire à la GRC), (A-413-08); Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Transports), (A-380-08)

2009 CAF 175 (27 mai 2009), 2009 CAF 181 (29 mai 2009) (les juges Richard, Sexton et Sharlow).

Après de longues enquêtes sur les refus de communication opposés par la Défense nationale, Transports Canada, la Gendarmerie royale du Canada et le Bureau du Conseil privé [BCP] concernant les agendas du premier ministre, les agendas d’un ministre et les procès-verbaux et documents associés à des réunions, le commissaire à l’information a demandé à la Cour fédérale de procéder à un contrôle judiciaire des décisions des ministères en question.

Plusieurs appels ont fait suite à la décision rendue par la Cour fédérale. La Cour d’appel fédérale a rejeté les appels du commissaire, mais elle a accueilli celui du procureur général. Nous avons par la suite demandé et obtenu l’autorisation de faire appel des décisions devant la Cour suprême du Canada.

Contexte

Le rapport annuel 2008–2009 fournit un résumé détaillé de ces causes, qui avaient trait aux questions suivantes :

  1. La question du contrôle : Les documents du cabinet d’un ministre (y compris du Cabinet du premier ministre) relèvent-ils d’une institution fédérale?

  2. Les ministres sont-ils considérés comme des « cadres »? Le terme « cadre » tel qu’il est employé dans l’exception à la définition de « renseignements personnels » dans la Loi sur la protection des renseignements personnels englobe-t-il les ministres?

Résumé de la décision de la Cour fédérale

1. La question du contrôle

La Cour fédérale a conclu que les cabinets de ministre sont des entités distinctes des ministères que président les ministres et qu’elles ne constituent pas des « institutions fédérales » au sens de la Loi sur l’accès à l’information. La Cour a reconnu que les ministres et le premier ministre sont les responsables de leurs ministères respectifs, mais qu’ils n’en font pas partie.

Pour déterminer si des documents situés dans le cabinet d’un ministre relèvent d’une institution, la Cour fédérale a énoncé les critères suivants :

  1. Le contenu des documents a-t-il trait aux affaires du ministère?

  2. Les circonstances qui ont donné lieu à la création des documents indiquent-elles que le sous-ministre ou d’autres cadres supérieurs du ministère pourraient en demander et obtenir un exemplaire? Autrement dit, un cadre supérieur autre que le ministre exerce-t-il un certain contrôle ou pouvoir sur les documents en question, ne serait-ce qu’à titre partiel, transitoire ou de fait?

C’est seulement si la réponse est affirmative dans les deux cas que la Cour estimera que les documents relèvent de l’institution.

2. Les ministres sont-ils considérés comme des « cadres »?

Concernant l’application de l’exception relative aux renseignements personnels, la Cour a estimé que les ministres sont des « fonctionnaires publics » au sens de la Loi d’interprétation et de la Loi sur la gestion des finances publiques et qu’ils sont donc des « cadres » pour les besoins de la Loi sur la protection des renseignements personnels. À ce titre, ils ne peuvent pas invoquer l’exception des « renseignements personnels » pour l’information ayant trait à leurs fonctions et responsabilités dans le cadre de l’administration de leur ministère.

Le commissaire à l’information a appelé de la décision de la Cour fédérale concernant la question du contrôle. Le procureur général a déposé un appel incident faisant valoir que les ministres n’étaient pas des « cadres » et que le paragraphe 19(1) était donc applicable.

Enjeux, conclusions et motifs

1. La question du contrôle

La Cour d’appel fédérale a rejeté les appels du commissaire à l’information. Les juges ont confirmé la conclusion selon laquelle les institutions fédérales n’incluaient pas le cabinet du ministre qui les préside.

Tout en admettant la validité de l’argument juridique selon lequel le responsable d’une institution fédérale est, en toute logique et conformément au sens ordinaire des mots, partie intégrante de ladite institution, la Cour a estimé qu’ « il nous semble que la Loi sur l'accès à l'information repose sur une convention bien établie selon laquelle le Cabinet du Premier ministre est une institution fédérale distincte du Bureau du Conseil privé, et que les cabinets des ministres sont des institutions fédérales distinctes des ministères sous l'autorité desquels ils sont placés».

La Cour d’appel s’est dite d’accord avec les deux questions proposées par la Cour fédérale pour déterminer les documents qui, au cabinet d’un ministre, sont des documents relevant d’une institution fédérale. Elle a reconnu que la deuxième question pourrait susciter une certaine spéculation, mais a estimé qu’on pouvait y répondre en tirant des inférences raisonnables des éléments de preuve, ce que la Cour fédérale avait fait.

2. Les ministres sont-ils considérés comme des « cadres »?

La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel incident du procureur général.

La Cour d’appel a conclu que la Cour fédérale avait commis une erreur de droit en important dans la Loi sur la protection des renseignements personnels les définitions de « fonctionnaire public » énoncées dans des lois ayant trait à d’autres sujets (la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi d’interprétation) et en les employant dans un contexte différent.

La Cour a estimé que, comme la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information « repose[nt] sur une convention bien établie selon laquelle le Cabinet du Premier ministre est une institution fédérale distincte du BCP », il s’ensuivait que « si le législateur avait voulu que le premier ministre soit considéré comme un "cadre" du BCP pour l'application de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il l'aurait dit clairement ». La Cour d’appel fédérale s’est également dite d’avis « qu'il irait à l'encontre de l'intention du législateur d'interpréter la Loi sur la protection des renseignements personnels de manière à ce que le premier ministre soit visé par l'expression "cadre d'une institution fédérale"».

Mesures ultérieures

Le 17 décembre 2009, la commissaire à l’information a obtenu l’autorisation d’en appeler des décisions de la Cour d’appel fédérale devant la Cour suprême du Canada. La date provisoire pour l’audition est le 7 octobre 2010.

La production de documents

Société Radio-Canada c. Commissaire à l’information du Canada
(T-1552-09)

Contexte

Nous avons enquêté sur de nombreuses plaintes ayant trait à l’emploi que la SRC fait de l’article 68.1 de la Loi sur l’accès à l’information. L’article dispose que la Loi « ne s’applique pas aux renseignements qui relèvent de la Société Radio-Canada et qui se rapportent à ses activités de journalisme, de création ou de programmation, à l’exception des renseignements qui ont trait à son administration ».

Au cours de nos enquêtes, nous avons insisté pour que la SRC nous communique les documents associés à ces plaintes. Celle-ci a répondu en réitérant que l’article 68.1 excluait ces documents de l’application de la Loi et a prétendu que nous n’avions pas le pouvoir d’y avoir accès.

Le 16 septembre 2009, nous avons signifié à M. Hubert T. Lacroix, président de la SRC, une ordonnance de production exigeant qu’il nous communique ou prenne des dispositions pour qu’on nous communique les documents en question. Le même jour, la SRC a demandé un contrôle judiciaire en contestant notre pouvoir de contraindre la production de documents.

Enjeux

La commissaire à l’information est-elle habilitée à examiner à titre indépendant des documents demandés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, mais que la SRC estime ne pas être assujettie au droit d’accès?

Mesures ultérieures

Les parties ont déposé leurs affidavits et procédé aux contre-interrogatoires. Elles ont également déposé leurs observations écrites. La SRC a déposé une demande d’audience le 23 avril 2010.

Un grand nombre de demandes

Statham c. Société Radio-Canada
(T-782-08), 2009 CF 1028, 13 octobre 2009 (juge de Montigny)

Contexte

Durant les trois premiers mois où elle est devenue assujettie à la Loi sur l’accès à l’information, la SRC a reçu environ 400 demandes de David Statham. Submergée, la SRC n’a pas été en mesure d’y répondre à temps. Par ailleurs, elle n’a pas demandé de prorogations de délai avant l’échéance de 30 jours prévue par la Loi.

Voir la section « Engagement manqués », pour une description détaillée des plaintes qui s’en sont suivies et le résultat de nos enquêtes.

Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire et demandé à la Cour fédérale :

  • d’ordonner au président de la SRC de communiquer les documents demandés en vertu de la Loi et qui n’avaient pas encore été divulgués au moment de la demande de contrôle judiciaire;

  • de déclarer que la SRC avait agi déraisonnablement en ne répondant pas aux demandes conformément aux dispositions de la Loi;

  • de lui accorder des dépens sur une base avocat-client.

Afin de rectifier certaines allégations erronées du requérant, la commissaire à l’information a été ajoutée à titre d’intimée dans l’instance.

Au moment où la Cour fédérale a entendu la demande de contrôle judiciaire, la SRC avait répondu à toutes les demandes d’accès.

Enjeux, conclusions et motifs

La demande a été rejetée aux motifs suivants.

La demande de contrôle judiciaire est-elle sans objet?

Puisque la SRC avait répondu à toutes les demandes d’accès au moment de l’audience, le juge de Montigny a indiqué que l’instance était devenue sans objet. Il n’en a pas moins déclaré qu’il entendrait la cause puisque le requérant avait soulevé des questions susceptibles d’intéresser d’autres plaideurs éventuels et qui n’avaient jamais été abordées auparavant.

Peut-on remédier à un refus présumé par une date d’engagement recommandée par le Commissariat et convenue par une institution gouvernementale?

Le juge de Montigny a bien précisé qu’une institution fédérale comme la SRC ne peut pas remédier à un refus présumé ou le suspendre. Il a cependant ajouté que l’on peut effectivement remédier à un refus présumé si le Commissariat à l’information formule une recommandation énonçant la nouvelle échéance que doit suivre l’institution pour répondre à une demande d’accès :

Cela ne veut cependant pas dire qu’il ne peut être remédié au refus présumé. Il appartient au Commissaire à l’information, une fois qu’il a reçu une plainte de la personne à qui l’on a refusé communication de documents, de faire enquête sur la question et d’établir un rapport.

Selon le juge de Montigny, si le commissaire à l’information a recommandé que l’institution réponde dans un certain délai, le fait que celle-ci n’ait pas respecté l’article 9 de la Loi (et qu’elle soit donc réputée avoir opposé un refus) ne s’applique plus.

Le tribunal est-il habilité à entendre une demande de contrôle judiciaire relativement à un refus présumé en vertu de l’article 41 avant l’expiration de l’échéance recommandée par le Commissariat à l’information?

Selon le juge de Montigny, le tribunal n’avait pas compétence pour instruire une demande en vertu de l’article 41 relativement à un refus présumé tant que l’échéance fixée par le commissaire à l’information dans ses recommandations n’est pas expirée.

Le tribunal est-il habilité à instruire une demande en vertu de l’article 41 s’il n’y a pas de refus de communication réel et continu?

Le juge de Montigny a cité à l’appui de sa conclusion une série de décisions où la Cour a estimé qu’elle n’avait pas compétence pour instruire une demande si, au moment de l’audience, il n’y avait pas de refus de communiquer réel et continu. Le juge a ajouté que, même si la SRC était en position de refus présumé, il n’y avait pas de refus de communiquer réel et continu (ce qui permettrait au tribunal d’invoquer l’article 41) en raison de son engagement à répondre dans un délai entériné par le Commissariat à l’information.

Le tribunal est-il habilité, dans une instance en vertu de l’article 41, à rendre un jugement déclaratoire en l’absence d’un refus de communiquer réel et continu?

Le juge de Montigny a cité à l’appui de sa conclusion des décisions où le refus d’accès est une condition préalable à un jugement déclaratoire (ou autre réparation) dans une instance en vertu de l’article 41 parce que les pouvoirs conférés par les articles 49 ou 50 de la Loi n’entrent en ligne de compte que si le tribunal conclut à un refus de communiquer un document. À cet égard, le juge de Montigny a déclaré : « J’estime également que la Cour n’a pas compétence pour rendre un jugement déclaratoire blâmant la conduite d’une institution fédérale. »

Mesures ultérieures

Le 12 novembre 2009, M. Statham a en appelé de la décision de la Cour fédérale. La SRC et la commissaire à l’information sont parties à cet appel (A-458-09).

La liberté d’expression

Ontario (ministère de la sûreté et sécurité publique) et al. c. Criminal Lawyers’ Association (registre 32172), Cour suprême du Canada, 11 décembre 2008 (en appel de la Cour d’appel de l’Ontario, 2007 ONCA 392).

Il s’agit en l’occurrence d’un appel d’une décision de la Cour d’appel de l’Ontario pour deux motifs :

  • Une disposition de la loi de l’Ontario sur l’accès à l’information porte-t-elle ou non atteinte au droit à la liberté d’expression tel qu’il est garanti par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés?

  • Puisque la primauté de l’intérêt public ne s’applique pas aux exceptions relatives au secret professionnel de l’avocat ou à l’application de la loi, la disposition contrevient-elle au principe constitutionnel de la démocratie?

Le Commissariat à l’information était un intervenant dans cette instance.

La Cour suprême du Canada n’a pas encore rendu sa décision. Voir le résumé de l’affaire dans le rapport annuel 2008–2009.

La sécurité nationale

Kitson c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (T-680-08), 2009 CF 1000, 2 octobre 2009 (le juge en chef Lutfy)

Contexte

La Défense nationale a reçu une demande concernant des renseignements contenus dans des rapports produits par les Forces canadiennes déployées en Afghanistan au cours de l’opération Medusa. Le demandeur voulait plus précisément savoir ce qui suit :

  • Le nombre de prisonniers qu’ont faits les troupes canadiennes en Afghanistan.

  • L’endroit où se trouvaient les prisonniers après leur capture.

  • L’endroit où se trouvaient actuellement les prisonniers.

En réponse, le Ministère a fourni une partie de l’information demandée, mais seulement après avoir prélevé des informations en vertu de l’exception à l’article 15 de la Loi sur l’accès à l’information, qui protège les renseignements associés aux affaires internationales et à la défense nationale.

Le demandeur nous a adressé une plainte. Après une enquête, nous avons conclu que le Ministère avait invoqué l’article 15 à juste titre.

Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale.

Enjeux, conclusions et motifs

Le ministère de la Défense nationale a-t-il bien invoqué l’exception prévue à l’article 15?

La Cour fédérale a estimé que la Défense nationale avait eu raison d’invoquer l’exception prévue à l’article 15.

En l’occurrence, les renseignements prélevés comprenaient des détails sur des incidents importants, communiqués par le biais de la chaîne de commandement des Forces canadiennes au chef d’état-major de la défense et au sous-ministre de la Défense nationale.

Après avoir examiné les renseignements en question, le juge en chef Lutfy a conclu en ces termes : « (…) je ne doute aucunement que les documents désignés par la Défense nationale sont visés par l’exception de l’article 15 ». Il a ajouté : « (…) la communication de ces renseignements en 2007 aurait pu aider l’ennemi des FC en Afghanistan, aurait pu causer un préjudice aux membres des FC et à d’autres personnes dans ce pays et aurait vraisemblablement risqué de porter préjudice à la défense du Canada ou de ses alliés au sens de l’article 15 de la Loi. » Selon le juge en chef, « la décision que la Défense nationale a rendue en 2007 de ne pas communiquer ces renseignements était fondée sur des motifs raisonnables » et « il n’y a pas d’autres renseignements en cause qui auraient pu être prélevés sans poser de problèmes sérieux au sens de l’article 25 de la Loi ».

Les paragraphes 52(2) et 52(3) portent-ils atteinte aux droits et libertés garantis par l’alinéa 2 b ) de la Charte canadienne des droits et libertés ?

Lorsque l’exception prévue à l’article 15 est en jeu lors d’un contrôle judiciaire, le paragraphe 52(2) de la Loi sur l’accès à l’information dispose que les audiences doivent avoir lieu à huis clos (en privé). Par ailleurs, le paragraphe 52(3) donne à l’institution le droit de faire des arguments ex parte, c’est-à-dire en l’absence des autres parties à l’instance.

Au cours de l’audience à huis clos, le tribunal a examiné les documents confidentiels de la Défense nationale pour déterminer ce qui pourrait être communiqué au demandeur. Suite à cette audience, le demandeur a reçu une grande partie des documents, à l’exception des renseignements en cause, et quelques paragraphes.

Une audience a eu lieu en public pour entendre les observations orales des deux parties. La Défense nationale n’a pas demandé que cette audience ait lieu à huis clos et la Cour ne l’a pas ordonné non plus. Lors de cette audience, aucune mention des renseignements en cause n’a été faite.

Le juge en chef Lutfy a fait remarquer que « le fait pour la Cour d’encourager le recours au principe de la publicité des débats en justice n’était pas compatible avec les dispositions obligatoires de l’alinéa [52(2)] ».

Pour y remédier, le juge en chef Lutfy a fait une interprétation atténuante du paragraphe 52(2), estimant que les audiences à huis clos ne sont obligatoires que lorsqu’elles s’appliquent à des observations ex parte prescrites par le paragraphe 52(3). L’« interprétation atténuante » consiste à ignorer les termes de la loi pour la rendre compatible avec la Charte.

Pour faire une interprétation atténuante du paragraphe 52(2), le juge en chef Lutfy s’est appuyé sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S 3. Dans cette affaire, la Cour a conclu qu’il n’est pas « […] loisible au tribunal de tenir une audience publique et, de ce fait, de contrevenir directement à la loi […] À moins que la disposition créant l’exigence impérative ne soit jugée inconstitutionnelle et que, à titre de réparation d’ordre constitutionnel, on ne lui donne une interprétation ‘atténuante’, elle ne saurait être interprétée d’une manière permettant de faire abstraction de son caractère impératif ».

Élaborant à partir de la décision Ruby, le juge en chef Lutfy a également conclu que la seconde partie du paragraphe 52(2) devait faire l’objet d’une interprétation atténuante et ne s’appliquer qu’aux observations ex parte. Il a fait remarquer que cette interprétation ne visait pas « à porter atteinte, de quelque manière que ce soit, au droit du responsable de l’institution fédérale de demander que les audiences ex parte aient lieu dans la région de la capitale nationale ».

La demande de contrôle judiciaire a été rejetée.

La détermination du privilège

Blank c. Canada (Ministre de la Justice) (T-1577-08), 2009 CF 1221, 30 novembre 2009 (le juge de Montigny)

Contexte

M. Blank a demandé au ministère de la Justice du Canada de lui donner accès à toutes les communications relatives aux infractions dont il était accusé à un certain moment. Même après avoir réduit le champ de sa demande, il a été informé par le Ministère qu’il y avait 20 boîtes de documents dans le dossier et qu’il faudrait 200 heures pour y faire des recherches. Le demandeur a accepté de payer les frais de traitement.

Le ministère de la Justice n’a pas répondu à la demande d’accès dans le délai de 30 jours prévu par la loi. Le demandeur nous a adressé une plainte pour retard.

Après des consultations supplémentaires et un examen des documents, le Ministère a communiqué 10 pages de documents. Dans ces pages, pour ce qui est des renseignements qui avaient été prélevés, il a invoqué les exceptions prévues au paragraphe 21(1) et à l’article 23. Cette dernière disposition protège les renseignements assujettis au secret professionnel liant l’avocat et son client.

Lorsque ces pages ont été communiquées, nous avons considéré que la plainte pour retard était réglée. Mais nous estimions que le ministère de la Justice aurait pu traiter la demande dans le délai prévu par la loi. Nous lui avons également fait part de nos préoccupations concernant l’écart entre le nombre de boîtes de documents liés à la demande et le nombre de pages finalement communiquées.

Insatisfait des renseignements obtenus, le demandeur nous a adressé une deuxième plainte, alléguant que le ministère de la Justice n’avait pas communiqué tous les documents relatifs à sa demande et qu’il n’avait pas bien invoqué les exceptions.

Notre enquête sur la deuxième plainte a donné lieu à la communication de 174 pages de documentation. Certains renseignements n’ont cependant pas été communiqués en vertu des exceptions prévues au paragraphe 19(1) et à l’article 23.

Après des examens et des consultations supplémentaires et compte tenu de l’issue d’une cause judiciaire connexe, le ministère de la Justice a finalement remis environ 800 pages de documentation. L’institution a continué de retenir certains renseignements au motif qu’ils étaient assujettis au secret professionnel.

Nous avons fait enquête sur la deuxième plainte et conclu que les exceptions avaient été invoquées à bon droit. Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire.

Enjeux, conclusions et motifs

La demande de contrôle judiciaire a été rejetée pour les motifs suivants.

Le ministère de la Justice a-t-il correctement appliqué l’exception prévue à l’article 23 concernant les documents en question? Avait-t-il renoncé à son droit de revendiquer le privilège?

S’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 R.C.S. 319, le juge de Montigny a expliqué la différence entre le privilège de la consultation juridique et le privilège relatif au litige :

Le privilège de la consultation juridique est absolu et d’une durée indéfinie. Il s’applique aux communications entre l’avocat et son client et suppose la recherche ou l’offre de conseils juridiques destinés à rester confidentiels.

Le privilège relatif au litige prend fin avec le litige qui lui a donné lieu. Il s’applique au moment où la communication en question a été préparée ou obtenue pour « l’objet principal » du litige ou d’un litige raisonnablement anticipé.

Le juge de Montigny a également réitéré le commentaire de la Cour suprême comme quoi il y a souvent, dans un litige, « un risque de chevauchement du privilège de la consultation juridique et du privilège relatif au litige », de telle sorte que certains documents pourraient rester confidentiels en raison du privilège de la consultation juridique même si le privilège relatif au litige n’a plus lieu d’être.

Le juge de Montigny a conclu que tous les documents en question étaient protégés par le privilège de la consultation juridique en vertu de l’article 23, étant donné qu’ils « comport[ai]ent tous une consultation ou un avis juridiques que les deux parties considéraient de nature confidentielle ». Le juge a rappelé que le commissaire à l’information avait conclu dans le même sens.

Le demandeur a fait valoir que le ministère de la Justice avait renoncé à son droit d’invoquer le secret professionnel en raison des observations faites par le procureur de la Couronne lors des procédures criminelles. Après avoir examiné les transcriptions, le juge de Montigny a estimé que « les observations (…) ne signifient aucunement que le défendeur a renoncé, même tacitement, à son droit de revendiquer le privilège avocat-client pour les documents » retenus par le ministère de la Justice.

Le juge de Montigny a également rejeté l’affirmation du demandeur comme quoi que « une fois qu’un document a été obtenu dans le contexte d’une autre demande d’accès, il faut considérer qu’il y a eu à tous égards renonciation au privilège pouvant s’y attacher ». Il a estimé qu’un « document tire parfois son apparence du contexte dans lequel il est trouvé » et que « le libellé particulier d’une demande d’accès doit également être pris en compte ». Selon le juge, « il est donc pour le moins concevable qu’un document donné puisse être jugé communicable dans une demande d’accès et non communicable dans une autre, sans que le pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 23 de la LAI soit pour autant exercé mal à propos ».

C’est pour ces motifs que le juge de Montigny a déclaré que le ministère de la Justice « n’avait pas l’obligation de faire correspondre tous les documents communiqués à la suite d’autres demandes d’accès déposées par le demandeur avec les documents considérés dans la demande d’accès qui est à l’origine de la présente instance ». Selon lui, « chaque demande d’accès doit être traitée comme un exercice distinct et autonome, que l’on accomplira en soignant la manière dont la demande est formulée et orientée ».

Le ministère de la Justice s’est-il conformé à l’ordonnance de fournir des précisions sur les documents qu’il estimait être visés par l’exception ou non pertinents?

La Cour avait ordonné au ministère de la Justice de fournir au demandeur certains renseignements concernant les documents qu’il estimait être visés par l’exception ou sans intérêt. Le juge de Montigny a conclu que le Ministère s’était conformé à l’ordonnance puisqu’il avait communiqué les précisions en question. Il a fait remarquer que cet élément aurait dû être réglé par le biais d’une requête avant l’audition.

Le ministère de la Justice a-t-il manqué à l’obligation de trouver et de traiter tous les documents pertinents et cela était-il délibéré?

Selon le demandeur, le ministère de la Justice a délibérément manqué à l’obligation de trouver et de traiter tous les documents relatifs à sa demande. Le juge de Montigny s’est dit en désaccord et a conclu que le Ministère s’était « donné beaucoup de mal pour localiser et traiter tous les documents intéressant la demande d’accès, même s’il ne fut pas aussi prompt qu’il aurait dû l’être ». Le juge n’a donc pas ordonné au ministère de la Justice de procéder à une nouvelle recherche comme le souhaitait le demandeur.

Le ministère de la Justice a-t-il enfreint la loi, ce qui annulerait l’application de l’article 23?

Selon le demandeur, non seulement le ministère de la Justice n’avait pas communiqué tous les documents auxquels il avait droit, mais sa décision de retenir certains d’entre eux avait été prise par mauvaise foi. Le demandeur estimait également que les documents en question auraient dû lui être communiqués pendant le procès.

Appliquant la norme de la décision raisonnable à la révision des décisions du ministère de la Justice, le juge de Montigny a expliqué qu’il tiendrait compte de la Loi et de la jurisprudence qui oriente son interprétation et son application, plutôt que des lois exigeant la divulgation de renseignements dans le cadre du droit pénal. Il a conclu que le demandeur n’avait pas fourni de preuves concrètes à l’appui de ses allégations à cet égard.

Dates d’expiration

Bronskill c. Ministre du Patrimoine canadien
(T-1680-09)

Contexte

Le journaliste Jim Bronskill a demandé à Bibliothèque et Archives Canada (BAC) de lui fournir les dossiers de sécurité de la GRC recueillis au sujet de Tommy Douglas, personnage historique de premier plan, décédé il y a plus de 20 ans.

BAC a fourni au demandeur des documents qui comportaient de nombreux passages supprimés en vertu des articles 15 et 19 de la Loi sur l’accès à l’information. Le demandeur a porté plainte à cet égard.

Après enquête, nous avons conclu que l’application des exceptions était valable. Le demandeur a demandé un contrôle judicaire, faisant valoir que BAC avait exercé à tort son pouvoir discrétionnaire puisque les documents avaient plus de 70 ans. Il a ajouté que l’intérêt public pour l’importance historique des documents l’emportait largement sur les risques qu’ils pourraient encore représenter aujourd’hui pour la sécurité.

Enjeux

Compte tenu du temps écoulé et de l’intérêt public, le ministre du Patrimoine canadien a-t-il exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire de retenir l’information en vertu des paragraphes 15(1) et 19(1)?

Mesures ultérieures

Les parties ont déposé leurs affidavits respectifs. Elles doivent déposer leurs observations écrites.

La défense nationale

Attaran c. Ministre de la Défense nationale
(T-1679-09)

Contexte

M. Attaran a demandé à la Défense nationale de lui communiquer des documents sur le transfert de détenus en Afghanistan. Le Ministère lui a communiqué certains renseignements, mais en a retenu d’autres en vertu des articles 15, 16, 17 et 19 de la Loi sur l’accès à l’information.

Le demandeur nous a adressé une plainte. Après enquête, nous avons conclu que le ministère de la Défense nationale avait appliqué les exceptions à bon droit.

Le demandeur a demandé un contrôle judiciaire. La commissaire à l’information est une intervenante dans ce dossier afin de déposer un affidavit.

Enjeux

  1. Au cours de notre enquête, le ministère de la Défense nationale était-il en droit d’invoquer d’autres exceptions pour refuser l’accès à des documents en plus de celles qu’il avait déjà invoquées?

  1. Le ministre a-t-il déraisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a refusé de communiquer des documents ou des parties de documents en vertu des articles 15 et 19 de la Loi?

  1. Le demandeur fait valoir que la divulgation en temps opportun des renseignements demandés est une question d’intérêt public et qu’elle est nécessaire à l’exercice de sa liberté d’expression en tant que chercheur en vertu de l’alinéa 2b) de la Charte, et que, par conséquent, elle est également nécessaire à sa capacité de subvenir à ses besoins.

Mesures ultérieures

Les parties ont déposé leurs arguments écrits. Aucune date d’audience n’est encore fixée

Précédent   Table des matières   Suivant
Date de modification :
Déposer une plainte