Trans Mountain Corporation (Re), 2023 CI 01

Date : 2023-01-09
Numéro de dossier du Commissariat : 5820-04082
Numéro de dossier de l’institution : ATIA.01.012.2020

Sommaire

La partie plaignante allègue que Trans Mountain Corporation (TMC) a erronément répondu à une demande d’accès en invoquant le paragraphe 10(2) de la Loi sur l’accès à l’information et en indiquant que, si des documents existaient, ils ne seraient pas communiqués en vertu du paragraphe 16(2) (faciliter la perpétration d’une infraction) de la Loi. La plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi. TMC n’a pu démontrer qu’elle satisfaisait aux critères lui permettant d’invoquer le paragraphe 10(2), ni que les documents répondant à la demande, s’ils existaient, seraient visés au paragraphe 16(2) de la Loi. Plus précisément, l’enquête du Commissariat à l’information a révélé que l’existence de certains documents répondant à une partie de la demande avait déjà été confirmée par TMC dans le cadre d’une réponse précédente à une demande presque identique. Par conséquent, TMC n’a pu démontrer que l’existence ou l’absence de documents en soi est une information qui justifie le refus de communication en vertu de la Loi. La Commissaire à l’information a ordonné à la présidente-directrice générale de TMC de fournir une nouvelle réponse à la partie plaignante qui confirme ou nie l’existence de documents répondant à la demande dans les 30 jours suivant la prise d’effet de l’ordonnance et, si de tels documents existent, de fournir l’accès à ceux-ci, à moins que l’accès aux renseignements qu’ils contiennent, ou à une partie de ceux-ci, puisse être refusé ou doive l’être en vertu d’une ou de plusieurs dispositions précises de la partie 1 de la Loi. TMC a avisé la Commissaire qu’elle donnerait suite à l’ordonnance, mais que cela se ferait au plus tard le 31 mai 2023. La plainte est fondée.

Plainte

[1]      La partie plaignante allègue que Trans Mountain Corporation (TMC) a erronément répondu à une demande d’accès en invoquant le paragraphe 10(2) de la Loi sur l’accès à l’information et en indiquant que, si des documents existaient, ils ne seraient pas communiqués en vertu du paragraphe 16(2) (faciliter la perpétration d’une infraction) de la Loi. La plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

Enquête

Paragraphe 10(1) : refus de communication

[2]      Le paragraphe 10(1) exige que les institutions, lorsqu’elles refusent de communiquer les documents demandés, en tout ou en partie, avisent la personne qui a fait la demande de ce qui suit, selon la situation :

  • les documents n’existent pas;
  • les dispositions précises en vertu desquelles la communication est refusée;
  • les dispositions précises de la Loi en vertu desquelles la communication pourrait raisonnablement être refusée si les documents existaient.

[3]      L’avis doit également préciser que la personne qui a fait la demande a le droit de déposer une plainte auprès de la Commissaire à l’information à propos de cette réponse.

Paragraphe 10(2) : confirmer l’existence ou non d’un document

[4]      Le paragraphe 10(2) permet aux institutions, lorsqu’elles donnent une réponse en vertu du paragraphe 10(1), de refuser de confirmer si un document existe ou non.

[5]      Pour ce faire, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • la question de l’existence de documents est en soi une information qui justifie le refus de communication en vertu de la Loi;
  • dans l’éventualité où des documents répondraient à la demande, ils pourraient raisonnablement faire l’objet d’une exception en vertu de dispositions précises de la Loi.

[6]      Lorsque ces deux circonstances existent, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles refusent de confirmer l’existence ou non des documents.

Paragraphe 16(2) : faciliter la perpétration d’une infraction

[7]      Le paragraphe 16(2) permet aux institutions de refuser de communiquer des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de faciliter la perpétration d’une infraction.

[8]      Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • la divulgation des renseignements (par exemple, des renseignements sur les méthodes ou les techniques criminelles, ou des détails techniques sur les armes, comme le prévoient les alinéas 16(2)a) à c)), pourrait faciliter la perpétration d’une infraction;
  • il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.

[9]      Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.

Question préliminaire

[10]    En réponse à la demande, TMC a invoqué le paragraphe 10(2) pour ne pas confirmer ou nier l’existence de documents pertinents. Elle a par la suite mentionné que, si des documents existaient, ils seraient visés par l’exception prévue à l’alinéa 16(2)c) de la Loi.

[11]    TMC a fait valoir dans ses observations que la Loi et la jurisprudence pertinente n’exigent pas qu’elle démontre que « la question de l’existence de documents est en soi une information qui justifie le refus de communication en vertu de la Loi ». Elle a plutôt décrit le paragraphe 10(2) comme étant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et a précisé que, à son avis, elle avait raisonnablement exercé ce pouvoir en estimant que la question de l’existence de documents en réponse à la demande est en soi une information qui devrait raisonnablement faire l’objet d’un refus de communication et que, si des documents répondaient à la demande, ils pourraient raisonnablement faire l’objet d’une exception en vertu de dispositions précises de la Loi.

[12]    Je ne suis pas d’accord avec la manière dont TMC décrit le paragraphe 10(2). Dans l’affaire Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589, la Cour d’appel fédérale a examiné la nature du paragraphe 16(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels (l’équivalent du paragraphe 10(2) de la Loi sur l’accès à l’information). Elle a précisé que l’emploi du terme anglais « may » dans cette disposition assure le pouvoir de refuser de confirmer l’existence de documents, mais il n’entraîne pas implicitement l’octroi d’un pouvoir discrétionnaire (paragraphes 50 à 59). Le paragraphe 10(2) ne constitue pas une exception au droit d’accès, et l’utilisation sans restrictions du paragraphe 10(2) est contraire au droit d’accès quasi constitutionnel. Je suis donc d’avis que la jurisprudence exige qu’une institution démontre que 1) la question de l’existence de documents est en soi une information qui justifie le refus de communication en vertu de la Loi et 2) que, si des documents répondaient à la demande, ils pourraient raisonnablement faire l’objet d’une exception en vertu de dispositions précises de la Loi.

[13]    Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que TMC n’a pas démontré que le recours au paragraphe 10(2) est justifié.

[14]    À titre subsidiaire, dans l’éventualité où mon interprétation du paragraphe 10(2) serait erronée, comme il est expliqué ci-dessous, je suis aussi d’avis que TMC n’a pas démontré que le recours au paragraphe 10(2) constituait un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire.

L’existence ou l’absence de documents est-elle en soi une information qui justifie le refus de communication en vertu de la Loi?

[15]    Au cours de l’enquête, la partie plaignante a fourni des éléments de preuve établissant que l’existence de certains documents répondant à une partie de la demande avait déjà été confirmée par TMC en avril 2019 dans le cadre d’une réponse précédente à une demande presque identique. Ces éléments de preuve démontraient que la demande précédente visait à obtenir exactement le même type de renseignements, mais elle concernait une période limitée (c’est-à-dire de 2018 à avril 2019 par rapport à 2018 à mars 2021), et qu’elle a donné lieu à la communication de certaines parties de documents d’enquête.

[16]    Étant donné que TMC a déjà reconnu l’existence de documents visés par la demande, je suis d’avis qu’il n’est maintenant pas justifié pour TMC de refuser de confirmer ou de nier l’existence de tout document répondant à la demande.

[17]    Dans le but d’expliquer sa réponse incohérente à la demande actuelle, TMC a déclaré que, depuis avril 2019, elle a adopté une politique générale qui consiste à ni confirmer ni nier l’existence de documents créés relativement à des personnes ou à des groupes ou de documents recueillis dans le cadre de son programme de sécurité, parce qu’autrement elle révélerait la mesure dans laquelle elle est au fait des activités illégales d’une personne ou d’un groupe, ce qui, en revanche, risquerait vraisemblablement de faciliter la perpétration d’une infraction [paragraphe 16(2)].

[18]    La position de TMC pose problème, car la demande, telle qu’elle est formulée, ne se limite en aucun cas aux documents se rapportant à son programme de sécurité; qui plus est, les documents dont TMC reconnaît l’existence et qui sont visés par la demande relèvent déjà du domaine public.

[19]    La situation est donc tout à fait différente des affaires concernant des demandes d’accès et de renseignements personnels adressées au Service canadien du renseignement de sécurité et à d’autres institutions chargées de mener des enquêtes sur des activités criminelles. Dans ces cas, les tribunaux ont accepté que l’adoption de politiques générales qui consistent à ni confirmer ni nier l’existence de certains types de renseignements soit justifiée si la communication de ces renseignements devait révéler des renseignements sur ce qui fait ou ne fait pas partie d’une enquête.

[20]    En l’espèce, compte tenu de la portée de la demande, rien ne permet de conclure que l’existence ou non de documents répondant à la demande révélerait des renseignements sur ce qui fait ou ne fait pas partie d’une enquête, de sorte à engendrer une attente raisonnable de préjudice prévu au paragraphe 16(2).

Dans l’éventualité où des documents répondraient à la demande, pourraient-ils raisonnablement faire l’objet d’une exception en vertu de dispositions précises de la Loi?

[21]    TMC fait valoir que, si des documents répondaient à la demande, ils pourraient raisonnablement faire l’objet d’une exception en vertu du paragraphe 16(2), car leur communication risquerait vraisemblablement de faciliter la perpétration d’une infraction. Elle affirme plus précisément que les documents, s’ils existaient, contiendraient des renseignements sur les « méthodes ou techniques criminelles » utilisées par les personnes et groupes nommés et qu’ils contiendraient aussi de manière générale les sources d’information de TMC, ses techniques d’enquête, ses tactiques d’observation, ses méthodes d’analyse et ses évaluations en matière de vulnérabilité. Selon TMC, ces renseignements fourniraient aux personnes une feuille de route sur la façon dont elle mène ses enquêtes et décèle les activités illégales. Enfin, TMC affirme que, puisque les personnes nommées ont été déclarées coupables d’infractions à l’égard de son organisation, il existe des éléments de preuve historiques uniques et convaincants qui suggèrent clairement que les renseignements recherchés seraient en fait utilisés pour faciliter la perpétration d’une infraction.

[22]    Le paragraphe 16(2) est une exception fondée sur le préjudice, où l’institution doit démontrer la probabilité que ce dernier se produise. L’institution doit démontrer qu’il existe beaucoup plus qu’une simple possibilité qu’un préjudice soit causé, bien qu’il ne soit pas nécessaire d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice se produira effectivement. Comme il a déjà été mentionné, la partie plaignante a déjà obtenu des documents caviardés du même type que ceux demandés dans la demande actuelle. TMC n’a toutefois pas établi, dans ses observations, de lien entre la communication précédente et la perpétration d’une quelconque activité illégale. En fait, suivant la communication de documents de même nature, les préjudices décrits au paragraphe 16(2) ne se sont pas produits. Compte tenu de ce qui précède, il est difficile d’imaginer comment les documents répondant à la demande, s’ils existaient, pourraient raisonnablement faire l’objet d’une exception en vertu du paragraphe 16(2), et ce, dans leur intégralité.

[23]    De plus, la demande est formulée en termes généraux (c.-à-d. [traduction] « la totalité des dossiers, des enregistrements audio, des messages textes, des séances d’information sur la sécurité, des documents, des rapports ou de la correspondance en la possession de TMC qui font référence à [personnes nommées] ») et ne se limite pas aux documents détenus par le programme de sécurité. Cela mine l’affirmation selon laquelle, si des documents répondant à la demande existaient, ils seraient tous des documents d’enquête qui pourraient raisonnablement faire l’objet d’une exception en vertu du paragraphe 16(2).

[24]    Compte tenu de ce qui précède, j’estime que TMC n’a pas démontré comment tous les documents répondant à la demande, s’ils existaient, pourraient servir à faciliter la perpétration d’une infraction. Par conséquent, je conclus que les critères du paragraphe 16(2) n’ont pas été satisfaits.

[25]    À la lumière de ce qui précède, je conclus que le recours au paragraphe 10(2) de la Loi, par TMC, n’est pas justifié.

Résultat

[26]    La plainte est fondée.

Ordonnance

Conformément au paragraphe 36.1(1) de la Loi, j’ordonne à la présidente-directrice générale de TMC ce qui suit :

  1. Dans les 30 jours suivant la prise d’effet de cette ordonnance, fournir une nouvelle réponse à la partie plaignante qui confirme ou nie l’existence de documents répondant à la demande. Si de tels documents existent, fournir l’accès à ceux-ci, à moins que l’accès aux renseignements qu’ils contiennent, ou à une partie de ceux-ci, puisse être refusé ou doive l’être en vertu d’une ou de plusieurs dispositions précises de la partie 1 de la Loi. Le cas échéant, indiquer la ou les dispositions précises sur lesquelles se fonde le refus.

La présidente-directrice générale doit se conformer aux dispositions du paragraphe 37(4) lorsqu’il communique des documents en réponse à mon ordonnance.

Le 16 novembre 2022, j’ai transmis à la présidente-directrice générale de TMC mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.

Le 22 décembre 2022, le vice-président de TMC a répondu au nom de la présidente-directrice générale et m’a avisée que cette dernière donnerait suite à mon ordonnance, mais que cela se ferait au plus tard le 31 mai 2023.

Lorsque la plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante et l’institution ont le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Celles-ci doivent exercer leur recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables après la date du compte rendu et doivent signifier une copie de leur demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43.

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