Société Radio-Canada (Re), 2025 CI 44

Date : 2025-08-20
Numéro de dossier du Commissariat : 5823-04722
Numéro de la demande d’accès : A-2023-00126

Sommaire

La partie plaignante allègue que la Société Radio-Canada (SRC), en réponse à une demande d’accès, a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’article 68.1 (activités journalistiques, créatives ou de programmation de la Société Radio-Canada) et de l’alinéa 18b) (compétitivité des institutions fédérales, négociations des institutions fédérales) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande vise le nombre d’abonnés payants au service Gem. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

La Commissaire à l’information a conclu que le nombre d’abonnés payants au service Gem de la SRC, même s’il se rapporte à ses activités de programmation, se rapporte également à son administration. L’exception à l’exclusion s’applique donc. La Commissaire a conclu que les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’article 68.1.

La Commissaire a également conclu que, bien que la SRC ait indiqué des préjudices possibles à sa compétitivité ou à des négociations en cours, elle n’a pas démontré d’attente raisonnable qu’il y avait bien plus qu’une simple possibilité que ceux-ci soient causés. La Commissaire a conclu que les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’alinéa 18b).

La Commissaire a ordonné à la SRC de communiquer les renseignements dont la communication avait été refusée.

La SRC a avisé la Commissaire qu’elle ne donnerait pas suite à l’ordonnance.

La plainte est fondée.

Plainte

[1]        La partie plaignante allègue que la Société Radio-Canada (SRC), en réponse à une demande d’accès, a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu des dispositions suivantes de la Loi sur l’accès à l’information :

  • article 68.1 (activités journalistiques, créatives ou de programmation de la Société Radio-Canada);
  • alinéa 18b) (compétitivité des institutions fédérales, négociations des institutions fédérales).

[2]        L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

[3]        La demande vise le nombre d’abonnés payants au service Gem.

Enquête

[4]        Lorsqu’une institution refuse de communiquer des renseignements en vertu d’une exception, il lui incombe de démontrer que ce refus est justifié.

Article 68.1 : activités journalistiques, créatives ou de programmation de la Société Radio-Canada

[5]        Conformément à l’article 68.1, le droit d’accès aux documents prévu à la partie 1 de la Loi sur l’accès à l’information ne s’applique pas aux renseignements relevant la Société Radio-Canada qui ont trait à ses activités journalistiques, créatives ou de programmation.

[6]        Toutefois, l’exclusion ne s’applique pas aux renseignements relevant de la Société Radio-Canada qui ont trait à son administration, y compris les renseignements relatifs aux dépenses de déplacement, d’hébergement et d’accueil (conformément à l’article 3.1).

L’information satisfait-elle aux critères de l’exclusion?

[7]        La SRC a appliqué l’article 68.1 en parallèle avec l’alinéa 18b) pour refuser de communiquer le nombre d’abonnés payant à Gem, son service numérique de diffusion en continu.

Les renseignements se rapportent-ils aux activités journalistiques, créatives ou de programmation de la SRC?

[8]        La SRC a expliqué que son service payant Gem existe seulement pour transmettre des émissions à son audience. Elle cite l’alinéa 46(1)c) de la Loi sur la radiodiffusion pour affirmer que cette transmission est un pouvoir qui lui est conféré dans le but de « fournir la programmation ». La SRC conclut que, par conséquent, il ne pouvait pas y avoir de débat sérieux quant à la question de savoir si le service constitue une « activité de programmation ».

[9]        La SRC ajoute qu’il y a une corrélation entre le nombre d’abonnés à son service Gem et ses activités de programmation. Elle affirme que ces chiffres sont un facteur parmi d’autres, comme les groupes de consultation, les cotes d’écoute, les examens internes, la recherche, le mandat, etc., utilisés pour déterminer sa programmation. Ces chiffres constituent un moyen de mesurer l’intérêt des audiences de la SRC et de déterminer le type de programmation qui devrait être offert. Par exemple, si le nombre d’abonnés augmentait à la suite de l’introduction d’une nouvelle émission, la SRC en déduirait qu’il s’agit du type de programmation que l’audience aime.

[10]      La SRC soutient également que l’article 68.1 s’applique à tout renseignement qui « se rapporte à » ses activités de programmation, que leur divulgation soit préjudiciable ou non, ou qu’il révèle ou non de l’information au sujet du processus éditorial ou décisionnel.

[11]      La SRC soutient que le terme « se rapportent à » requiert seulement un lien quelconque entre les renseignements en cause et ses activités de programmation. Selon elle, il semble donc évident que les chiffres illustrant le degré de succès d’une plateforme de distribution particulière comme Gem (mesuré par le nombre de personnes disposées à payer pour y accéder) « se rapportent à » la programmation; elle croit que c’est tout ce qui est nécessaire pour que l’exclusion s’applique.

[12]      Enfin, la SRC explique que les renseignements en cause influent sur ses choix en matière de programmation et que le nombre d’abonnés payants du service Gem sans publicité est un indicateur direct de la tolérance des Canadiens et Canadiennes envers la publicité sur son service gratuit. La SRC ajoute que, si l’augmentation de la publicité sur le service gratuit donne lieu à une augmentation subséquente des abonnés payants au service sans publicité, cela indique que le marché a atteint ou dépassé son seuil de tolérance. La SRC fait donc valoir que le nombre d’abonnés payants se rapporte effectivement à sa programmation, car il influe directement sur les décisions de programmation qu’elle prend concernant son service gratuit (en l’espèce, le nombre de minutes de publicités par émission).

[13]      Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que les renseignements en cause se rapportent aux activités de programmation de la SRC. Cela étant dit, si les renseignements en cause se rapportent aussi à l’administration de la SRC, ceux-ci satisfont aux critères de l’exception à l’exclusion en vertu de l’article 68.1.

Les renseignements se rapportent-ils à l’administration de la SRC?

[14]      Selon la SRC, la portée de l’article 68.1 se fonde sur le paragraphe 46(5) de la Loi sur la radiodiffusion, qui réaffirme son indépendance créative : « La Société jouit, dans la réalisation de sa mission et l’exercice de ses pouvoirs, de la liberté d’expression et de l’indépendance en matière de journalisme, de création et de programmation. » La SRC affirme que ce paragraphe vise à assurer un équilibre entre son rôle de participante au marché de la radiodiffusion et son statut de société d’État soumise à l’examen du public. L’exclusion garantit que les renseignements se rapportant à la programmation de la SRC ne sont pas injustement mis à la disposition de ses concurrents, alors que l’exception permet au public d’examiner les activités de la SRC dans leur ensemble.  

[15]      La SRC explique que cet équilibre est renforcé lorsqu’on lit l’article dans son ensemble : « administration » agit comme contrepoint à « activités journalistiques, créatives ou de programmation ». À ce sujet, la SRC conclut que la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si les renseignements en cause se rapportent aux activités de programmation de la SRC ou s’ils se rapportent à l’administration dans son ensemble.

[16]      Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation que fait la SRC de l’article 68.1 et de l’exception à cette exclusion. Je note que les termes « administration » et « activités journalistiques, créatives ou de programmation » ne sont pas incompatibles. Si les renseignements se rapportent à la fois aux activités de programmation et à l’administration de la SRC, l’exclusion ne s’applique pas. Il ne s’agit pas d’établir si les renseignements se rapportent plus à une catégorie qu’à l’autre. Pour que l’article 68.1 s’applique, il faut plutôt qu’il n’y ait aucun chevauchement — c’est-à-dire que les renseignements sur les activités journalistiques, créatives ou de programmation ne se rapportent pas aussi à l’administration.

[17]      La partie plaignante soutient que, étant donné que le terme « administration » n’est pas autrement défini dans la Loi sur l’accès à l’information, il faut lui donner son sens courant; il englobe donc des renseignements se rapportant aux activités financières et de gestion, y compris la planification stratégique. La partie plaignante ajoute que le nombre d’abonnés payants se rapporte directement aux aspects commerciaux et opérationnels du service, plutôt qu’au contenu et à l’horaire des émissions, parce que l’administration comprend la gestion des finances, les relations avec la clientèle et la logistique opérationnelle, dont l’acquisition d’abonnés et la facturation. Selon la partie plaignante, ces aspects sont cruciaux pour la santé financière et la croissance du service, mais sont distincts des décisions créatives et éditoriales liées à la production et à la programmation des émissions de télévision.

[18]      Pour sa part, la SRC soutient que, selon cette analyse, les renseignements se rapportent aux émissions qu’elle produit, et non à ses opérations en général, car la partie plaignante soutient que le nombre d’abonnés payants se rapporte directement aux aspects commerciaux et opérationnels du « service ». Pour la SRC, il est donc évident que les renseignements demandés se rapportent à l’activité de programmation (c.-à-d. « le service » selon les termes de la déclaration de la partie plaignante) et non à l’administration de la SRC dans son ensemble.

[19]      Cependant, je ne partage pas l’avis de SRC que les renseignements en cause se rapportent seulement aux activités de programmation et non à son administration. Bien que la SRC ait expliqué en quoi les renseignements en cause pourraient influer sur la programmation offerte sur Gem, il n’en demeure pas moins que le nombre d’abonnements payants se rapporte également aux activités financières de la SRC et à ses activités de gestion, car il s’agit d’un indicateur direct du rendement de la plateforme.

[20]      Dans ses observations sur l’application de l’alinéa 18b) aux renseignements en cause, la SRC explique que la communication des renseignements nuirait probablement à sa compétitivité et à sa situation financière, ce qui laisse penser qu’il y a un lien entre les renseignements en cause et ses activités financières.

[21]      Selon la section 13.2 du Manuel de l’accès à l’information publié par le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) :

Étant donné que le terme « administration » n’est pas autrement défini dans la Loi, il prend son acception courante : fonctions de gestion et dépenses liées à l’administration d’une organisation. Ainsi, les renseignements qui se rapportent à l’administration de la SRC et de ses filiales en propriété exclusive comprennent les renseignements se rapportant à ses activités financières ainsi qu’à celles liées aux ressources humaines, à la formation et au perfectionnement, à la gestion et à la technologie de l’information et à la gestion (y compris la planification stratégique et la gestion du rendement, les vérifications et les évaluations), à la gestion des actifs, à la sécurité, et tout autre renseignement lié à la gestion de l’institution. 

[22]      En outre, il y a une différence entre les versions anglaise et française de la Loi en ce qui a trait à l’administration en vertu de l’article 68.1. Alors que, dans la version anglaise, le terme « general administration » est utilisé, en français le terme « administration » est utilisé seul, ce qui laisse entendre qu’il faut faire une large interprétation de la portée de l’exception.

[23]      Étant donné que l’un des grands principes énoncés dans l’objet de la partie 1 de la Loi est que « les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées », si une exception au droit d’accès prévue dans la Loi peut avoir deux sens différents, le sens le plus étroit est celui visé par le législateur. [Voir Rubin c. Canada (Ministre des Transports) (C.A.) [1998] 2 CF 430 : « toutes les exceptions doivent être précises et limitées. Cela signifie que, lorsque deux interprétations sont possibles, la Cour doit, vu l’intention déclarée du législateur, choisir celle qui porte le moins atteinte au droit d’accès du public. »]

[24]      Je suis donc d’avis que le nombre d’abonnés payants au service Gem, même s’il se rapporte aux activités de programmation de la SRC, se rapporte également à son administration, ce qui signifie que l’exception à l’exclusion s’applique. Je conclus que les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’article 68.1.

[25]      Puisque les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’article 68.1, j’ai aussi examiné si la SRC avait correctement appliqué l’alinéa 18b) à ces mêmes renseignements.

Alinéa 18b) : compétitivité des institutions fédérales, négociations des institutions fédérales

[26]      L’alinéa 18b) permet aux institutions de refuser de communiquer des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité ou d’entraver des négociations contractuelles ou autres d’une institution fédérale.

[27]      Pour invoquer cette exception relativement à la compétitivité, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • la divulgation de ces renseignements pourrait nuire à la compétitivité d’une institution fédérale;
  • il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.

[28]      Pour invoquer cette exception relativement à l’entrave de négociations contractuelles ou autres, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • des négociations contractuelles ou autres sont en cours ou seront menées ultérieurement;
  • la divulgation des renseignements pourrait nuire aux négociations;
  • il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.

[29]      Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.

L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?

[30]      La SRC a appliqué l’alinéa 18b) en parallèle avec l’article 68.1 pour refuser de communiquer le nombre d’abonnés payants à son service Gem.

[31]      La SRC explique qu’elle est en concurrence avec d’autres services et plateformes de diffusion en continu. Elle ajoute que la communication des renseignements en cause nuirait à sa compétitivité, car elle fournirait des données sensibles à ses concurrents, que ceux-ci pourraient utiliser pour tenter plus activement d’attirer des abonnés payants de Gem vers leur plateforme.

Préjudice relatif à la concurrence avec d’autres plateformes de diffusion en continu

[32]      La SRC ajoute que le marché de la programmation télévisuelle numérique est encore relativement nouveau et que les modèles d’affaires des radiodiffuseurs numériques continuent d’évoluer alors qu’ils se battent pour des parts des revenus et du marché. Dans le cadre de cette évolution, il faut évaluer la mesure dans laquelle la publicité peut être intégrée aux émissions avant qu’elle n’entraîne une diminution des abonnés. La SRC ajoute qu’elle n’était pas la seule entreprise dans cette situation, citant notamment d’autres concurrents, comme Netflix ou YouTube, qui offrent un choix similaire entre des offres moins chères ou gratuites et des offres plus chères sans publicité. La SRC explique que, par conséquent, le fait de savoir ce que les autres font en ce qui a trait à la quantité de publicité et l’incidence de tout changement à cet égard sur le nombre d’abonnements sont manifestement des renseignements commerciaux sensibles.  

[33]      À l’appui de sa position, la SRC cite une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), la Décision de radiodiffusion CRTC 2023-34, qui précise entre autres « qu’il n’est pas approprié de publier les nombres d’abonnés, même sous forme agrégée ». La SRC explique ensuite que le CRTC ne publie pas les nombres d’abonnés, même sous forme agrégée, pour les entreprises en ligne comme Gem.

[34]      Selon la SRC, le CRTC reconnaît l’incidence de la communication des nombres d’abonnés payants sur les plateformes numériques. La SRC affirme qu’au sein de l’industrie, il est largement reconnu que les nombres d’abonnés sont des renseignements commerciaux sensibles et qu’ils devraient demeurer confidentiels afin d’éviter de nuire à la compétitivité des participants sur le marché. Pour appuyer cette affirmation, la SRC s’est référée à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2022-47, dont voici des extraits :

Le Conseil est d’avis que la publication des données recueillies par entreprise ou par groupe de propriété pourrait influer sur la position concurrentielle des répondants en donnant un aperçu de la valeur de certains droits numériques. (paragraphe 138)

Compte tenu de la nature commercialement sensible de certaines des données qui seront recueillies dans le cadre du sondage, le Conseil estime qu’il est approprié d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour modifier les Règles de pratique et de procédure du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et d’accorder une confidentialité totale à toute divulgation de données pour les ERMN [entreprises de radiodiffusion de médias numériques] individuelles. (introduction)

[35]      Cependant, la Politique réglementaire et la Décision de radiodiffusion du CRTC citées concernent toutes les deux son Sondage annuel sur les médias numériques (SAMN), qui s’applique autant aux entreprises numériques canadiennes qu’aux entreprises numériques étrangères. Elles indiquent toutes les deux comment le SAMN devrait être mené et comment les données recueillies dans le cadre de celui-ci devraient être publiées. Le paragraphe de la Décision de radiodiffusion précise ce qui suit :

[…] le Conseil détermine que les données doivent être (i) exactes, (ii) complètes et (iii) facilement comparables. L’application de ces critères, en ce qui concerne les données recueillies en réponse au SAMN pour une année donnée, permettra de s’assurer que toute donnée publiée brosse un portrait exact de l’état de la radiodiffusion de médias numériques au Canada.

[36]      Aux paragraphes 32 à 36 de la Décision de radiodiffusion, le CRTC déclare également que, même si les données fournies en réponse au SAMN sont à la fois exactes et complètes, elles ne sont pas facilement comparables entre les répondants, car la manière dont elles sont déclarées varie. De l’avis du CRTC, la publication de ces données, même sous forme agrégée, ne serait pas significative et elle pourrait même donner une image trompeuse.

[37]      Il semble donc que, bien que la SRC l’ait en partie citée pour justifier l’application de l’alinéa 18b) aux renseignements non communiqués, la Décision de radiodiffusion du CRTC n’établit pas de lien entre le fait de ne pas publier les nombres d’abonnés dans son sondage annuel sur les médias numériques et l’objectif principal d’empêcher qu’un préjudice soit porté à la compétitivité des répondants comme la SRC. Il semble plutôt qu’elle soit d’avis que les différences dans la façon dont les données ont été recueillies feraient en sorte que, si les données étaient publiées, elles ne donneraient pas une image significative, que la publication soit sous forme agrégée ou non.

[38]      De plus, le CRTC a publié cette décision en se fondant sur sa propre méthode et son propre but pour la collecte de ces données, fournies par plusieurs ERMN pour une période donnée. Les données collectées dans le cadre de ce sondage concernent les recettes, les dépenses, le nombre d’abonnements gratuits et payants, et d’autres sources de revenus pour chaque ERMN participant au sondage, et il semble évident que la publication des données collectées permettrait de comparer les nombres fournis par les répondants. À titre de comparaison, dans le cadre de la demande d’accès en l’espèce, l’information en cause est seulement le nombre d’abonnements payants à une plateforme (Gem) à un moment précis.

[39]      La SRC soutient que, même si les renseignements demandés fournissent un nombre statique à un moment précis, une fois communiqués, il y a une véritable possibilité qu’un demandeur redemande les mêmes renseignements à d’autres moments. Un concurrent pourrait donc surveiller tous les changements apportés à l’offre du service gratuit et du service payant, et aurait l’occasion de présenter une demande d’accès pour obtenir les nombres d’abonnés pour voir si ces changements de programmation ont une incidence sur l’audience et, le cas échéant, laquelle. Par conséquent, même si seul le nombre d’abonnés payants à Gem à un moment précis était communiqué, il y aurait un risque qu’un concurrent qui surveille les activités de la SRC, qui a des connaissances spécialisées lui permettant de comprendre ce que pourraient signifier les changements dans les nombres d’abonnés de la SRC, pourrait recouper cette information avec d’autres renseignements plus tard.

[40]      Bien qu’il soit possible que, plus tard, la SRC reçoive des demandes répétées pour ce même type de renseignements afin que la personne qui fait la demande puisse établir certaines corrélations entre les activités de programmation et les nombres d’abonnés, pour le moment, la SRC n’a pas démontré qu’il y avait plus qu’une « simple possibilité » que cela se produise.

[41]      Enfin, dans ses observations, la SRC n’explique pas comment un concurrent pourrait utiliser les renseignements de manière à nuire à sa compétitivité.

[42]      Je suis donc d’avis que la SRC n’a pas démontré qu’il y a plus qu’une simple possibilité que le préjudice allégué à sa compétitivité soit causé si les renseignements en cause étaient divulgués.

Préjudice relatif aux entreprises de distribution de radiodiffusion

[43]      Outre la concurrence avec les autres plateformes de diffusion en continu, la SRC soutient que la communication du nombre d’abonnés payants pourrait aussi nuire à sa compétitivité à l’égard des autres entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR), autrement dit les câblodistributeurs et les fournisseurs de service de diffusion directe par satellite. La SRC explique que les EDR sont tenus d’offrir son réseau de nouvelles 24 heures sur 24 (CBC News Network) sur les marchés francophones à un taux de vente en gros réglementé, alors que la SRC doit négocier les modalités avec les EDR sur les marchés anglophones. Puisque le réseau est inclus dans le service payant de Gem, la SRC affirme que la taille de l’usage numérique sur une autre plateforme (en l’espèce Gem) et les tendances à cet égard auraient une incidence sur toute négociation avec un EDR. En effet, la SRC a expliqué que cela procurerait aux EDR des renseignements supplémentaires qui n’auraient pas été accessibles autrement durant les négociations visant à réduire les frais à payer sur les marchés non obligatoires. Selon la SRC, le résultat serait une perte directe de revenus et moins d’argent qu’elle pourrait investir dans sa programmation, ce qui aurait une incidence directe sur sa compétitivité et/ou sa situation financière.

[44]      Les tribunaux ont interprété l’entrave comme signifiant « obstruction », tout comme le terme correspondant dans la version anglaise, « interference ». [Voir Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures) (1re inst.), 1990 CanLII 13058 (CF), [1990] 3 CF 665, aux pages 682-683. Voir aussi Canadian Broadcasting Corp. c. National Capital Commission, 1998 CanLII 7774 (CF), au para 29; Bande des Blood c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (C.F.), 2003 CF 1397, au para 49.]

[45]      L’attente raisonnable d’obstruction réelle aux négociations doit être démontrée. La concurrence accrue pouvant découler de la communication ne suffit pas pour que les critères de l’exception soient satisfaits [voir, par exemple : Fermes Burnbrae Limitée c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2014 CF 957, para 124-125].

[46]      La version payante de Gem ne comprend pas seulement l’accès au service de nouvelles 24 heures sur 24, mais également à une vaste gamme d’émissions sans publicité par rapport à la version gratuite. Il se pourrait donc que les abonnés au service payant ne souhaitent pas seulement accéder au réseau de nouvelles 24 heures sur 24, mais qu’ils veulent seulement accéder à des émissions qui ne sont pas interrompues par des publicités. Il demeure difficile de voir en quoi le nombre d’abonnés payants à cette plateforme à une date précise pourrait être utilisé par les EDR lors de négociations concernant le taux pour offrir le réseau de nouvelles 24 heures sur 24.

[47]      Je ne suis donc pas convaincue qu’il y a plus qu’une simple possibilité que la communication des renseignements en cause entrave les négociations entre la SRC et ces EDR ou nuise à sa compétitivité.

[48]      Globalement, bien que la SRC ait indiqué des préjudices possibles à sa compétitivité ou à des négociations en cours, elle n’a pas démontré d’attente raisonnable qu’il y avait bien plus qu’une simple possibilité que ceux-ci soient causés.

[49]      Je conclus que les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’alinéa 18b).

Résultat

[50]      La plainte est fondée :

  • Les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’article 68.1.
  • Les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’alinéa 18b).

Ordonnance

J’ordonne à la présidente de la Société Radio-Canada de communiquer les renseignements dont la communication a été refusée.

Rapport et avis de l’institution

Le 14 juillet 2025, j’ai transmis à la présidente mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.

Le 14 août 2025, le directeur général de l’Accès à l’information m’a avisée que la présidente ne donnerait pas suite à l’ordonnance, parce que, de l’avis de la SRC, ma décision est incorrecte.

Je dois rappeler à la présidente que, si elle n’a pas l’intention de donner suite à mon ordonnance, elle doit exercer un recours en révision devant la Cour fédérale dans le délai suivant.

Révision devant la Cour fédérale

Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Lorsque la Commissaire à l’information rend une ordonnance, l’institution a également le droit d’exercer un recours en révision. Quiconque exerce un recours en révision doit le faire dans un délai de 35 jours ouvrables suivant la date du présent compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ce délai, toute ordonnance rendue prend effet le 36e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.

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