Services publics et Approvisionnement Canada (Re), 2025 CI 14
Date : 2025-02-27
Numéro de dossier du Commissariat : 5819-05773
Numéro de la demande d’accès : A-2017-00674
Sommaire
La partie plaignante allègue que Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), en réponse à une demande d’accès, a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’article 23 (secret professionnel de l’avocat et privilège relatif à un litige) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande vise tous les documents relatifs à la négociation du bail de 1991 entre Bourque, Pierre et Fils et le gouvernement pour l’Édifice Louis-St-Laurent. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.
SPAC a appliqué l’article 23 de manière générale et refusé de communiquer la totalité des 96 781 pages de documents, invoquant les deux motifs de l’article 23 : secret professionnel de l’avocat et privilège relatif à un litige. Bien que certains des renseignements satisfassent aux critères du secret professionnel de l’avocat, SPAC n’a pas démontré que des renseignements satisfont aux critères du privilège relatif à un litige.
La Commissaire à l’information a ordonné à SPAC de communiquer certains renseignements et de revoir la façon dont il a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 23 dans les cas où les critères du secret professionnel de l’avocat sont satisfaits. SPAC a avisé la Commissaire qu’il donnerait suite à l’ordonnance.
La plainte est fondée.
Plainte
[1] La partie plaignante allègue que Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), en réponse à une demande d’accès, a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’article 23 (secret professionnel de l’avocat et privilège relatif à un litige) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande vise tous les documents relatifs à la négociation du bail de 1991 entre Bourque, Pierre et Fils et le gouvernement pour l’Édifice Louis-St-Laurent, particulièrement les suivants :
- Tous les documents relatifs à la négociation du bail;
- Tous les documents relatifs à l’interprétation de toute disposition du bail, y compris, sans toutefois s’y limiter :
- Tous les documents relatifs à l’article 9 du bail;
- Tous les documents relatifs à l’article 3 du bail et/ou tous les documents relatifs à un loyer exigible au titre du bail;
- Tous les documents relatifs à l’édifice et/ou au bail qui ont été préparés par, reçus par ou envoyés à une liste d’employés actuels ou passés désignés de SPAC, notamment :
- Directeur, Marchés immobiliers;
- Directeur général, Marchés immobiliers;
- Directeur général, Marchés immobiliers – SCN;
- Sous-ministre adjoint délégué, Marchés immobiliers;
- Directrice principale, Services immobiliers – SCN;
- Sous-ministre et sous-receveuse générale du Canada;
- Ministre de Services publics et Approvisionnement Canada et receveuse générale du Canada;
- Ministre de Services publics et Approvisionnement Canada;
- Sous-ministre adjoint intérimaire des Services immobiliers.
[2] L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.
Enquête
[3] Lorsqu’une institution refuse de communiquer des renseignements en vertu d’une exception, il lui incombe de démontrer que ce refus est justifié. SPAC a appliqué l’article 23 de façon générale, en refusant de communiquer la totalité des 96 781 pages de documents.
[4] En mai 2024, le Commissariat à l’information n’avait reçu qu’un échantillon de 521 pages de documents pertinents de la part de SPAC. Afin de faire avancer l’enquête, le Commissariat a fait une analyse préliminaire de l’application de l’article 23 à cet échantillon de documents.
[5] En juin 2024, le Commissariat a reçu 22 500 pages supplémentaires de documents. Il a aussi effectué un examen sommaire de ces pages.
[6] Il convient de noter que SPAC n’a invoqué aucune autre exception pour justifier le refus de communiquer des renseignements se trouvant dans les documents, ni au moment de la réponse à la demande d’accès ni durant l’enquête. Par conséquent, ma décision se fonde sur les deux échantillons fournis au Commissariat, examinés à la lumière des observations de SPAC concernant l’application de l’article 23 à toutes les pages pertinentes dans le cadre de la demande.
Article 23 : secret professionnel de l’avocat et privilège relatif à un litige
[7] L’article 23 permet aux institutions de refuser de communiquer des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire lorsque l’information concerne des avis juridiques donnés à un client. L’article 23 permet aussi aux institutions de refuser de communiquer des renseignements protégés par le privilège relatif au litige lorsque l’information a été préparée ou recueillie aux fins d’un litige.
[8] Pour invoquer cette exception relativement au secret professionnel de l’avocat, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- l’information consiste en une communication entre un avocat ou un notaire et son client;
- cette communication concerne directement les consultations ou les avis juridiques, y compris tous les renseignements nécessaires échangés en vue de l’obtention d’avis juridiques;
- les communications et les conseils sont destinés à être confidentiels.
[9] Pour invoquer cette exception relativement à un litige, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements ont été préparés ou recueillis dans le but principal d’un litige;
- le litige est en cours ou peut être raisonnablement appréhendé.
[10] Le privilège relatif au litige prend fin généralement lorsque le litige est terminé, sauf lorsqu’un litige connexe est en instance ou est raisonnablement appréhendé.
[11] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions (à qui appartient le privilège) doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[12] SPAC a refusé de communiquer la totalité des documents, en invoquant les deux motifs de l’article 23 : secret professionnel de l’avocat et privilège relatif à un litige.
[13] En ce qui concernant le secret professionnel de l’avocat, je conviens que parmi les documents pertinents, il y a des renseignements qui consistent en des communications entre SPAC et ses avocats ou notaires (collectivement nommés « conseillers juridiques ») ou qui reflètent directement celles-ci, visant l’obtention d’avis juridiques, notamment :
- Lettres entre SPAC et des notaires concernant des transactions immobilières;
- Renseignements provenant de notes de breffage décrivant des avis obtenus de conseillers juridiques;
- Télécopies échangées par SPAC et le ministère de la Justice;
- Lettres adressées à SPAC de la part de ses conseillers juridiques.
[14] Je conviens que les communications et les avis étaient destinés à être confidentiels.
[15] Toutefois, ce ne sont pas toutes les communications avec des conseillers juridiques se trouvant parmi les documents qui satisfont aux critères du secret professionnel de l’avocat. Voici des exemples de renseignements qui ne satisfont pas aux critères :
- Sommaires de réunions auxquelles assistaient des conseillers juridiques de SPAC, mais auxquelles assistait également un tiers;
- Lettres envoyées par des conseillers juridiques de SPAC à des tiers.
[16] Dans les deux exemples ci-dessus, les documents ne contiennent pas de communication entre un conseiller juridique et son client visant directement l’obtention d’avis juridiques. De plus, puisque ces documents reflètent directement des renseignements échangés avec des tiers, ils n’étaient pas non plus destinés à être confidentiels comme s’ils étaient échangés par un conseiller juridique et son client.
[17] Je conclus que seuls les renseignements qui consistent en des communications entre SPAC et ses conseillers juridiques, ou qui les reflètent directement, visant l’obtention d’avis juridiques qui étaient destinés à être confidentiels satisfont aux critères de ce motif de l’article 23.
[18] En ce qui concerne le privilège relatif à un litige, lorsque les documents ne contiennent pas de communication échangée avec des conseillers juridiques ou ne révèlent pas de telles communications, SPAC a indiqué qu’il invoquait le privilège relatif à un litige pour la totalité des documents pertinents. SPAC a fourni une liste d’actions judiciaires pertinentes se rapportant à l’édifice et a affirmé que la communication serait préjudiciable à des litiges en instance ou appréhendés.
[19] Pour les motifs qui suivent, je conclus que SPAC n’a pas démontré en quoi les documents avaient été préparés ou recueillis dans le but principal d’un litige. Il ne suffit pas d’indiquer un litige en instance ou appréhendé; SPAC devait démontrer en quoi des documents précis avaient été préparés ou recueillis dans le but principal de cette action judiciaire en particulier.
[20] En ce qui a trait aux documents répondant à la partie A de la demande, concernant la négociation du bail, SPAC ne s’est pas acquitté de son fardeau consistant à démontrer en quoi ces documents ont été préparés et recueillis dans le but principal d’un litige. À première vue, ces documents ont été préparés ou recueillis dans le but principal de la négociation du bail, notamment ceux-ci :
- Rapports d’évaluation de l’édifice;
- Communications au sujet de la négociation d’un crédit-bail pour l’édifice;
- Sommaires des rapports d’évaluation;
- Offres et contre-offres déposées.
[21] La partie B de la demande vise des documents relatifs à l’interprétation de toute disposition du bail. Bien que je convienne que ces documents contiennent vraisemblablement des avis juridiques et que leur communication puisse donc être refusée en vertu de l’article 23, SPAC n’a pas démontré le lien nécessaire entre des documents précis et un litige en instance ou appréhendé.
[22] La partie C de la demande est particulièrement vaste, car elle englobe tous les documents relatifs à l’édifice qui ont été préparés par, reçus par ou envoyés à des personnes désignées. SPAC n’a pas démontré en quoi l’un ou l’autre des documents visés par la partie C ont été préparés ou recueillis dans le but principal d’un litige. Cette partie visait notamment ces types de renseignements :
- Rapports sur l’état de l’édifice;
- Comptes rendus de réunions avec des tiers concernant des questions relatives à l’édifice;
- Communications au sujet de renouvellements de baux et de nouvelles conventions de bail;
- Documents relatifs à l’annulation du bail existant en 1992.
[23] En résumé, je conclus que SPAC n’a pas démontré que des renseignements demandés dans le cadre de la partie A, B ou C de la demande satisfont aux critères du privilège relatif à un litige.
L’institution a-t-elle exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire quant à sa décision de communiquer ou non l’information?
[24] Étant donné que SPAC était d’avis que les renseignements satisfaisaient aux critères de l’article 23, il était tenu d’exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire afin de décider de communiquer ou non les renseignements. Pour ce faire, SPAC devait prendre en considération tous les facteurs pertinents pour ou contre la communication.
[25] Au cours de l’enquête, SPAC a indiqué avoir considéré les facteurs suivants lorsqu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire pour refuser la communication en vertu de l’article 23 : l’objet de l’exception, les consultations requises, les conséquences de la communication et l’intérêt public.
[26] Le fait que des consultations sont nécessaires n’est pas un facteur pertinent, mais SPAC l’a tout de même pris en considération lorsqu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire. Le fait de considérer le temps et les efforts requis pour appliquer correctement les exceptions comme un facteur contre la communication serait contraire à l’objet de la Loi.
[27] SPAC a également omis de considérer certains facteurs pertinents dans sa décision, comme l’objet de la Loi, le fait que certains des renseignements en cause sont accessibles au public et l’âge de certains documents, qui datent de 1991.
[28] Je conclus que SPAC n’a pas tenu compte de l’ensemble des facteurs pertinents au moment de décider de ne pas communiquer les renseignements. Par conséquent, l’exercice du pouvoir discrétionnaire par SPAC n’était pas raisonnable.
Article 25 : Prélèvements
[29] L’article 25 s’applique, nonobstant les autres dispositions de la Loi. Cet article exige que les institutions communiquent toute partie d’un document qui ne contient pas de renseignements visés par une exception à condition que le prélèvement de ces renseignements ne pose pas de problèmes sérieux. Il s’agit d’un prolongement du principe voulant que les exceptions nécessaires à l’accès à l’information soient précises et limitées.
[30] Dans sa décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Canada (Commissaire à l’information), 2013 CAF 104, la Cour d’appel fédérale a considéré l’interaction entre l’article 23 et l’article 25 de la Loi. La Cour a conclu que le secret professionnel de l’avocat ne doit pas être considéré sous l’angle du « tout ou rien » : « […] dans certains cas, seule une partie d’un document est protégée. […] L’article 25 de la Loi oblige par exemple le responsable d’une institution fédérale à prélever du document, s’il peut raisonnablement le faire, les parties dépourvues des renseignements visés par une exception. » (au para 21)
[31] Au moment où SPAC a répondu à la demande, il a seulement effectué un examen général d’une petite partie des documents. En fait, comme l’a révélé l’enquête, au moment de la réponse, SPAC n’avait numérisé aucun des documents dans son système pour les traiter. Lorsque seulement des parties de documents satisfaisaient aux critères de l’exception, comme les sections de notes de breffage qui décrivent des avis demandés ou obtenus de la part de conseillers juridiques, SPAC n’a pas démontré que le prélèvement était impossible.
[32] Dans sa décision Rubin c. Canada (Société canadienne d’hypothèques et de logement), 1988 CanLII 5656 (CAF), [1989] 1 CF 265, la Cour d’appel fédérale a statué que l’omission de procéder à l’examen relatif au prélèvement prescrit porte un coup fatal à la décision de l’autorité déléguée (à la page 273).
[33] Je conclus que SPAC n’a pas respecté l’article 25 lorsqu’il a refusé de communiquer la totalité des documents pertinents. Par conséquent, il doit de procéder à un exercice de prélèvement conformément à l’article 25 et aux indications relatives à ce dernier fournies par les juges majoritaires de la Cour suprême dans la décision Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, aux para 229-238, et communiquer tous les renseignements dont il ne peut pas refuser la communication.
Résultat
[34] La plainte est fondée.
Ordonnances
J’ordonne au ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux de prendre immédiatement les mesures suivantes :
- Communiquer les types de documents suivants :
- Rapports d’évaluation de l’édifice;
- Sommaires des rapports d’évaluation;
- Communications au sujet de la négociation d’un crédit-bail pour l’édifice;
- Offres et contre-offres déposées;
- Rapports sur l’état de l’édifice;
- Comptes rendus de réunions avec des tiers concernant des questions relatives à l’édifice;
- Communications au sujet des renouvellements de baux et de nouvelles conventions de bail;
- Documents relatifs à l’annulation du bail existant en 1992.
- Communiquer tous les autres documents qui ne satisfont pas aux critères du secret professionnel de l’avocat, comme indiqué ci-dessus;
- Communiquer tous les documents dont la communication a été refusée en vertu du privilège relatif à un litige, sauf les renseignements qui, selon mes conclusions, satisfont aux critères du secret professionnel de l’avocat;
- Revoir la façon dont le pouvoir discrétionnaire a été exercé en vertu de l’article 23 en ce qui concerne les renseignements qui, selon mes conclusions, satisfont aux critères du secret professionnel de l’avocat, en prenant en considération tous les facteurs pertinents pour et contre la communication.
Rapport et avis de l’institution
Le 22 janvier 2025, j’ai transmis au ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux mon rapport dans lequel je présentais mes ordonnances.
Le 21 février 2025, le sous-ministre adjoint, Politiques, Planification et Communications de SPAC m’a avisée que ce dernier donnerait suite à mes ordonnances.
SPAC a indiqué qu’il avait commencé à retirer les documents en double, à la suite de quoi il reste environ 75 000 documents à traiter. SPAC a également indiqué qu’il avait affecté une ressource à temps plein au traitement des documents et qu’il communiquerait ceux-ci par phases, en accordant la priorité aux quelque 25 000 pages de document datant de plus de 20 ans lors de la première phase, dont l’achèvement est prévu pour juillet 2025.
SPAC a indiqué que cette première phrase de la communication comprendrait des rapports d’évaluation de l’édifice, des sommaires de rapports d’évaluation, des rapports sur l’état de l’édifice et des communications relatives au crédit-bail dans les cas où il n’est pas nécessaire de consulter de tiers. Quant à la deuxième phase, SPAC a estimé qu’elle comprendra environ 50 000 pages, notamment des documents visés par le secret professionnel de l’avocat et des documents qui nécessitent de consulter des tiers. SPAC a indiqué qu’une troisième phase pourrait être ajoutée pour communiquer plus rapidement des documents dès qu’ils sont traités. Compte tenu du volume et de la complexité des renseignements qui se trouvent dans les documents, SPAC s’attend à pouvoir communiquer les documents au plus tard en mars 2028.
Révision devant la Cour fédérale
Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Lorsque la Commissaire à l’information rend une ordonnance, l’institution a également le droit d’exercer un recours en révision. Quiconque exerce un recours en révision doit le faire dans un délai de 35 jours ouvrables suivant la date du présent compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ce délai, toute ordonnance rendue prend effet le 36e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.