Santé Canada (Re), 2023 CI 41

Date : 2023-11-22
Numéro de dossier du Commissariat : 5822-01137
Numéro de dossier de l’institution : A-2020-001455/UM

Sommaire

La partie plaignante allègue que Santé Canada a erronément refusé de communiquer des renseignements en réponse à une demande d’accès, en vertu de l’alinéa 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers) et de l’alinéa 20(1)c) (pertes ou profits financiers d’un tiers) de la Loi sur l’accès à l’information. Cette demande vise à obtenir des documents au sujet d’une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) concernant l’ingrédient médicamenteux « tacrolimus ». La plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

La portée de la plainte se limite aux dates auxquelles un tiers et Santé Canada ont échangé de la correspondance bien précise, lesquelles ont fait l’objet d’un refus de communication à la fois en vertu des alinéas 20(1)b) et 20(1)c).

Santé Canada et le tiers n’ont pas démontré que les renseignements satisfaisaient aux critères des alinéas 20(1)b) et 20(1)c).

La Commissaire à l’information a ordonné à Santé Canada de communiquer les dates contenues dans les documents. Santé Canada a avisé la Commissaire qu’il donnerait suite à l’ordonnance.

La plainte est fondée.

Plainte

[1]     La partie plaignante allègue que Santé Canada a erronément refusé de communiquer des renseignements en réponse à une demande d’accès, en vertu de l’alinéa 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers) et de l’alinéa 20(1)c) (pertes ou profits financiers d’un tiers) de la Loi sur l’accès à l’information. Cette demande vise à obtenir des documents au sujet d’une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) concernant l’ingrédient médicamenteux « tacrolimus ». La plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

[2]     La portée de la plainte se limite à l’application des alinéas 20(1)b) et 20(1)c) pour refuser de communiquer deux dates, soit la date à laquelle Santé Canada a envoyé une lettre d’acceptation à l’examen préliminaire au fabricant de médicaments (en l’occurrence le tiers) à l’égard d’une PADN et la date à laquelle ce dernier a présenté cette PADN à Santé Canada.

Enquête

[3]     Lorsqu’une institution refuse de communiquer les renseignements d’un ou des tiers, il incombe à ces tiers et/ou à l’institution de démontrer que ce refus est justifié.

[4]     Le Commissariat à l’information a demandé des observations à Santé Canada et au tiers conformément à l’article 35 de la Loi. Les deux parties soutiennent qu’il était justifié en vertu des alinéas 20(1)b) et 20(1)c) de refuser de communiquer les dates contenues dans la correspondance.

[5]     Conformément au paragraphe 36.3(1), le tiers a aussi été avisé de mon intention d’ordonner à Santé Canada de communiquer les renseignements en cause. Il a alors réaffirmé ses observations de même que son opposition à cette communication.

Alinéa 20(1)b) : renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers

[6]     L’alinéa 20(1)b) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels fournis à une institution fédérale par un tiers (c’est-à-dire une entreprise privée ou une personne, et non pas le demandeur d’accès).

[7]     Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • les renseignements sont financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;
  • les renseignements sont de nature confidentielle;
  • le tiers a fourni les renseignements à une institution fédérale;
  • le tiers a toujours traité les renseignements comme étant confidentiels.

[8]     Lorsque ces critères sont satisfaits et que le tiers auquel les renseignements se rapportent consent à leur divulgation, le paragraphe 20(5) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.

[9]     De plus, lorsque ces critères sont satisfaits, le paragraphe 20(6) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer les renseignements pour des raisons de santé publique ou de sécurité publique, ou pour protéger l’environnement, lorsque les deux circonstances suivantes existent :

  • la divulgation des renseignements serait dans l’intérêt public;
  • l’intérêt public dans la divulgation est nettement supérieur à toute répercussion financière sur le tiers, à toute atteinte à la sécurité de ses ouvrages, réseaux ou systèmes, à sa compétitivité ou à toute entrave aux négociations contractuelles ou autres qu’il mène.

L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?

[10]     L’exception prévue à cet alinéa a été appliquée en parallèle avec celle prévue à l’alinéa 20(1)c) pour caviarder ces deux dates (date à laquelle Santé Canada a envoyé une lettre d’acceptation à l’examen préliminaire au tiers à l’égard d’une PADN et date à laquelle ce dernier a présenté cette PADN à Santé Canada).

[11]     En ce qui concerne le premier critère de l’exception, le tiers a fait valoir que les dates en cause sont des renseignements commerciaux parce qu’ils donnent un aperçu de ses processus internes. Santé Canada a donc accepté de les protéger en tant que renseignements commerciaux puisque la présentation était à l’étude, ce qui est conforme à la norme en vigueur dans le secteur de programme.

[12]     Dans sa décision Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3 (Merck Frosst), la Cour suprême du Canada adhère à la jurisprudence bien établie de la Cour fédérale selon laquelle il convient de donner aux termes « financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques » leur sens lexicographique ordinaire. Elle affirme aussi que les détails administratifs comme la numérotation des pages et des volumes, les dates et les passages des documents où se trouvent les renseignements ne sont pas des renseignements de nature scientifique, technique, financière ou commerciale.

[13]     Selon les définitions lexicographiques :

  • le mot « commercial » signifie « relatif au commerce » ou « conçu, exécuté dans une intention lucrative ».

[14]     Après avoir examiné les documents et les observations reçus, je demeure convaincue que les dates en cause ne sont pas des renseignements « commerciaux », d’après le sens ordinaire de ce terme. De plus, aucune partie n’a démontré comment la période qui sépare les deux dates révélerait des renseignements commerciaux du tiers, alors qu’elle semble plutôt donner un aperçu de la chronologie de la procédure réglementaire.

[15]     Par conséquent, je suis d’avis que les deux dates en cause, soit la date à laquelle Santé Canada a envoyé une lettre d’acceptation à l’examen préliminaire au tiers à l’égard d’une PADN et la date à laquelle ce dernier a présenté cette PADN à Santé Canada, ne satisfont pas aux critères de l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b).

[16]     Selon les observations reçues, je conclus que l’alinéa 20(1)b) ne s’applique pas aux renseignements en cause.

[17]     Puisque les renseignements ne satisfont pas aux critères de cette exception, le Commissariat a examiné si Santé Canada avait correctement appliqué l’alinéa 20(1)c) relativement à ces mêmes renseignements.

Alinéa 20(1)c) : pertes ou profits financiers d’un tiers

[18]     L’alinéa 20(1)c) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement d’avoir une incidence financière importante sur un tiers (c’est-à-dire une entreprise privée ou un particulier, et non pas le demandeur d’accès) ou de nuire à sa compétitivité.

[19]     Pour invoquer cette exception relativement aux pertes ou profits financiers d’un tiers, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • la divulgation des renseignements pourrait causer des pertes ou profits financiers appréciables pour le tiers;
  • il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.

[20]     Lorsque ces critères sont satisfaits et que le tiers auquel les renseignements se rapportent consent à leur divulgation, le paragraphe 20(5) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.

[21]     De plus, lorsque ces critères sont satisfaits, le paragraphe 20(6) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer les renseignements pour des raisons de santé publique ou de sécurité publique, ou pour protéger l’environnement, lorsque les deux circonstances suivantes (énumérées au paragraphe 20(6)) existent :

  • la divulgation des renseignements serait dans l’intérêt public;
  • l’intérêt public dans la divulgation est nettement supérieur à toute répercussion financière sur le tiers, à toute atteinte à la sécurité de ses ouvrages, réseaux ou systèmes, à sa compétitivité ou à toute entrave aux négociations contractuelles ou autres qu’il mène.

L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?

[22]     L’exception prévue à cet alinéa a été appliquée en parallèle avec celle prévue à l’alinéa 20(1)b) pour caviarder ces deux dates (la date à laquelle le tiers a présenté une PADN à Santé Canada et la date à laquelle Santé Canada lui a envoyé une lettre d’acceptation à l’examen préliminaire à l’égard de cette PADN).

[23]     Le tiers a mentionné dans ses observations que la communication des dates donnerait un aperçu de ses processus et stratégies internes avant qu’il ne reçoive un avis de conformité. La concurrence pourrait alors utiliser ces renseignements pour contrer ses stratégies commerciales et tenter de lancer un produit ou d’obtenir une autorisation de mise sur le marché, et ce, avant le tiers.

[24]     Santé Canada a expliqué que, même si les intentions des entreprises pharmaceutiques ne sont pas toujours claires, ces dernières demandent souvent des renseignements au sujet de la concurrence dans le but de s’en servir à leur propre profit. Par ailleurs, la fréquence à laquelle Santé Canada reçoit ces demandes laisse présager un préjudice raisonnable.

[25]     La jurisprudence établie sous le régime de la Loi indique clairement qu’une partie qui s’oppose à une communication en se fondant sur l’alinéa 20(1)c) a le fardeau d’établir l’existence d’une attente raisonnable qu’un préjudice probable décrit à cet alinéa se produise si les renseignements sont communiqués. [Voir Merck Frosst, para 195, 219; Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.) au para 22]. Pour cela, il faut qu’une partie qui s’oppose à la divulgation démontre que le risque de préjudice est bien au-delà de la simple possibilité ou conjecture [Merck Frosst, para 197, 206].

[26]     Bien que Santé Canada et le tiers aient affirmé que les entreprises pharmaceutiques concurrentes pourraient exploiter les dates contenues dans le dossier pour en tirer un avantage concurrentiel (ce qui risquerait d’avoir une incidence financière sur le tiers ou de nuire à sa compétitivité), ni l’un ni l’autre n’a fourni d’explication cohérente ou de preuve convaincante pour montrer comment ces renseignements, lesquels se rapportent d’ailleurs à une PADN bien précise, pourraient causer un risque vraisemblable de préjudice probable. Tel qu’il a été observé par la Cour dans l’affaire AstraZeneca, chaque présentation de médicament suit ses propres délais et comporte ses propres enjeux. En l’espèce, aucune partie n’a été en mesure de démontrer comment la chronologie de cette PADN pourrait donner un aperçu significatif du processus d’approbation du tiers dans son ensemble. Les éléments de preuve présentés revêtent un caractère trop spéculatif pour satisfaire aux critères de l’alinéa 20(1)c).

[27]     Enfin, pour étayer ma conclusion, je fais remarquer que, dans l’affaire Merck Frosst, au paragraphe 217, la Cour suprême mentionne que la « divulgation de renseignements généraux tels que les dates, la numérotation et la partie de la PDN où se trouvent les renseignements ou, de façon générale, la façon dont cette dernière est présentée, ne suscite pas le risque nécessaire en matière de préjudice ou de perte de compétitivité ».

[28]     La jurisprudence précise également qu’un tiers ne peut soutenir que les renseignements portant sur le fonctionnement du processus réglementaire sont des renseignements qui portent sur lui et sur son produit (AstraZeneca, para 95). La jurisprudence établit aussi que la connaissance de la manière dont fonctionne le processus réglementaire correspond au genre de renseignements que la Loi vise à fournir (Merck Frosst, para 218 et AstraZeneca, para 94).

[29]     Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’alinéa 20(1)c) ne s’applique pas aux renseignements en cause.

Résultat

[30]     La plainte est fondée.

Ordonnance

Conformément au paragraphe 36.1(1) de la Loi, j’ordonne au ministre de la Santé de communiquer les dates contenues dans les documents.

Le 19 septembre 2023, j’ai transmis au ministre de la Santé mon rapport dans lequel je présentais l’ordonnance que j’avais l’intention de rendre.

Le 31 octobre 2023, la directrice exécutive de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels à Santé Canada m’a avisée que l’institution donnerait suite à mon ordonnance.

Une copie du compte rendu a été transmise au tiers.

Lorsque la plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante et l’institution ont le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Celles-ci doivent exercer leur recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables après la date du compte rendu. Si elles n’exercent pas de recours, les tiers peuvent exercer un recours en révision dans les 10 jours ouvrables suivants. La personne qui exerce un recours en révision doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ces délais, l’ordonnance prend effet le 46e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.

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