Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (Re), 2025 CI 42
Date : 2025-08-01
Numéro de dossier du Commissariat : 5823-00326
Numéro de la demande d’accès : A-2022-00167 / MN
Sommaire
La partie plaignante allègue que Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC), en réponse à une demande d’accès, a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’alinéa 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers), de l’alinéa 20(1)c) (pertes ou profits financiers d’un tiers) et de l’article 23 (secret professionnel de l’avocat et privilège relatif à un litige) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande vise l’accord, règlement en matière de revendications territoriales signé en l’an 2000 par le gouvernement fédéral canadien et la Nation Squamish.
Ni RCAANC ni le tiers n’ont démontré que les renseignements satisfont aux critères des exceptions, particulièrement qu’il y a lien clair et direct entre la divulgation de renseignements précis et un risque de préjudice, que la divulgation des renseignements pourrait entraîner un risque vraisemblable d’entrave à des négociations, ou que les renseignements sont visés par le privilège. La Commissaire à l’information a ordonné à RCAANC de communiquer les documents dans leur intégralité. RCAANC a avisé la Commissaire qu’il ne communiquerait pas les documents.
Plainte
[1] La partie plaignante allègue que Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC), en réponse à une demande d’accès, a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’alinéa 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers), de l’alinéa 20(1)c) (pertes ou profits financiers d’un tiers) et de l’article 23 (secret professionnel de l’avocat et privilège relatif à un litige) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande vise [traduction] l’« accord, règlement en matière de revendications territoriales signé en l’an 2000 par le gouvernement fédéral canadien et la Nation Squamish ».
[2] L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.
Enquête
[3] Lorsqu’une institution refuse de communiquer des renseignements, y compris les renseignements des tiers, il incombe à ces tiers et/ou à l’institution de démontrer que ce refus est justifié.
[4] Le Commissariat à l’information a demandé des observations à la Nation Squamish (le tiers) et à RCAANC conformément à l’article 35 de la Loi. Bien que RCAANC ait décidé de ne plus invoquer l’alinéa 20(1)b) pour refuser de communiquer des renseignements, il continue de soutenir que le refus de communiquer l’intégralité des documents pertinents est justifié en vertu de l’alinéa 20(1)c) et de l’article 23. Aucune réponse n’a été reçue de la part du tiers.
[5] Conformément au paragraphe 36.3(1), le Commissariat a aussi avisé le de mon intention d’ordonner à RCAANC de communiquer les renseignements en cause. Le tiers a répondu et a indiqué qu’il continue de s’opposer à la divulgation des renseignements. De plus, la position de la Nation Squamish est la suivante : [traduction] « l’accord de règlement est visé par les alinéas 20(1)b), 20(1)c) et 20(1)d) de la Loi sur l’accès à l’information ainsi que le privilège relatif aux règlements en common law ». Le tiers n’a pas donné de détails sur sa position.
Alinéa 20(1)c) : pertes ou profits financiers d’un tiers
[6] L’alinéa 20(1)c) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement d’avoir une incidence financière importante sur un tiers (c’est-à-dire une entreprise privée ou un particulier, et non pas le demandeur d’accès) ou de nuire à sa compétitivité.
[7] Pour invoquer cette exception relativement aux pertes ou profits financiers d’un tiers, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- la divulgation des renseignements pourrait causer des pertes ou profits financiers appréciables pour le tiers;
- il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.
[8] Pour invoquer cette exception relativement à la compétitivité, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- la divulgation des renseignements pourrait nuire à la compétitivité du tiers;
- il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.
[9] Lorsque ces critères sont satisfaits et que le tiers auquel les renseignements se rapportent consent à leur divulgation, le paragraphe 20(5) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.
[10] De plus, lorsque ces critères sont satisfaits, le paragraphe 20(6) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer les renseignements pour des raisons de santé publique ou de sécurité publique, ou pour protéger l’environnement, lorsque les deux circonstances suivantes (énumérées au paragraphe 20(6)) existent :
- la divulgation des renseignements serait dans l’intérêt public;
- l’intérêt public dans la divulgation est nettement supérieur à toute répercussion financière sur le tiers, à toute atteinte à la sécurité de ses ouvrages, réseaux ou systèmes, à sa compétitivité ou à toute entrave aux négociations contractuelles ou autres qu’il mène.
[11] Toutefois, les paragraphes 20(2) et 20(4) interdisent expressément aux institutions d’invoquer l’alinéa 20(1)c) pour refuser de communiquer des renseignements qui contiennent les résultats d’essais de produits ou d’essais d’environnement effectués par une institution fédérale ou en son nom, sauf si ces essais ont été effectués moyennant paiement pour un particulier ou un organisme autre qu’une institution fédérale.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[12] RCAANC maintient l’application de l’alinéa 20(1)c), en parallèle avec l’article 23, pour refuser de communiquer l’intégralité des documents.
[13] Il est généralement admis que les renseignements accessibles au public ne satisfont pas aux critères de l’exception prévue à l’article 20, soit à titre de catégorie de documents, soit selon un test de préjudice, et il faut une preuve convaincante que des renseignements du domaine public ne seront pas utilisés [Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, para 208-209].
Article 23 : privilège relatif à un litige
[21] L’article 23 permet aux institutions de refuser de communiquer des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire lorsque l’information concerne des avis juridiques donnés à un client. L’article 23 permet aussi aux institutions de refuser de communiquer des renseignements protégés par le privilège relatif au litige lorsque l’information a été préparée ou recueillie aux fins d’un litige.
[22] Pour invoquer cette exception relativement au secret professionnel de l’avocat, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- l’information consiste en une communication entre un avocat ou un notaire et son client;
- cette communication concerne directement les consultations ou les avis juridiques, y compris tous les renseignements nécessaires échangés en vue de l’obtention d’avis juridiques;
- les communications et les conseils sont destinés à être confidentiels.
[23] Pour invoquer cette exception relativement à un litige, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements ont été préparés ou recueillis dans le but principal d’un litige;
- le litige est en cours ou peut être raisonnablement appréhendé.
[24] Le privilège relatif au litige prend fin généralement lorsque le litige est terminé, sauf lorsqu’un litige connexe est en instance ou est raisonnablement appréhendé.
[25] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions (à qui appartient le privilège) doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[26] RCAANC maintient l’application de l’alinéa 20(1)c), en parallèle avec l’article 23, pour refuser de communiquer l’intégralité des documents.
[32] RCAANC soutenait également qu’il y a un litige en instance concernant les documents, relativement à la demande d’accès ISC-A-2021-00059 (« litige SAC »). Pour les motifs ci-dessus, je ne suis pas d’avis que le litige SAC est un « litige connexe » auquel le privilège relatif à un litige s’applique.
[33] Le litige SAC, qui a commencé en 2024, concerne une instance en matière d’accès à l’information, alors que l’accord de règlement a été conclu en 2000 et a réglé plusieurs revendications faites par la Nation Squamish relativement à des revendications relatives à des réserves et d’autres revendications relatives à la Loi sur les Indiens contre le gouvernement fédéral. Les deux instances découlent de sources juridiques différentes, mettent en cause différentes parties et questions juridiques, et ne sont donc pas liées. Comme les deux instances ne soulèvent pas de questions communes et leur objet fondamental n’est pas le même, le privilège ne s’applique pas (Blank, ibid, para 39).
[34] En outre, le litige SAC qui a commencé en 2024, à l’issue d’une enquête menée par le Commissariat, était loin d’être en cours ou raisonnablement appréhendé lorsque les documents ont été créés ou préparés. Je ne suis pas d’avis que le document a été recueilli pour « préparer un procès » ou qu’ils se rapportent à la « zone de confidentialité » que le privilège est destiné à protéger. RCAANC n’a fourni aucune autre observation qui m’a convaincue que le privilège relatif à un litige ou l’article 23 pouvait s’appliquer dans les circonstances. Par conséquent, je ne suis pas d’avis que le document a été préparé ou recueilli dans le but principal du litige SAC ou dans un but connexe ou en vue de celui-ci. Enfin, même si je concluais que le privilège relatif à un litige aurait pu être appliqué à un moment donné à des parties des documents en cause, le fait que ces derniers ont été échangés par des parties opposées et, dans certains cas, déposés publiquement auprès de la Cour, rendrait implicitement nul tout privilège potentiel invoqué.
Résultat
[36] La plainte est fondée parce que RCAANC n’a pas appliqué correctement l’alinéa 20(1)b), l’alinéa 21(1)c) ou l’article 23 quand il a répondu à la demande d’accès.
Ordonnance
J’ordonne à la ministre des Relations Couronne-Autochtones de communiquer les documents dans leur intégralité.
Rapport et avis de l’institution
Le 25 juin 2025, j’ai transmis à la ministre de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.
Le 24 juillet 2025, la ministre m’a avisée qu’elle ne donnerait pas suite à mon ordonnance. Dans ses observations, elle a indiqué que, bien que le point de vue du Commissariat ait été prise en considération, la divulgation de ces renseignements, qui ont été transmis confidentiellement au Canada durant le processus exhaustif d’évaluation des revendications territoriales, aura des répercussions négatives sur la relation entre le Canada et la Nation Squamish et sur la capacité de RCAANC de tenir des discussions confidentielles et sans préjudice; que la communication de ces renseignements indiquerait à la Nation Squamish qu’elle ne pourra pas avoir l’assurance que l’information qu’elle transmet confidentiellement au Canada sera traitée comme telle; et que RCAANC a consulté la Nation Squamish et que celle-ci a déclaré que ses documents sont confidentiels, se rapportent à des revendications territoriales et ne peuvent pas être communiqués. Dans ses observations, RCAANC maintient sa position, à savoir qu’il refuse de communiquer les documents.
Je dois rappeler à la ministre que, si elle n’a pas l’intention de donner suite à mon ordonnance, elle doit exercer un recours en révision devant la Cour fédérale dans le délai suivant.
Révision devant la Cour fédérale
Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Lorsque la Commissaire à l’information rend une ordonnance, l’institution a également le droit d’exercer un recours en révision.
Quiconque exerce un recours en révision doit le faire dans un délai de 35 jours ouvrables suivant la date du présent compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ce délai, toute ordonnance rendue prend effet le 36e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.