Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (Re), 2023 CI 16

Date : 2023-06-14
Numéro de dossier du Commissariat : 3216-01562
Numéro de dossier de l’institution : A-2016-00988/EC

Sommaire

La partie plaignante allègue que Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC) a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’article 23 (secret professionnel de l’avocat et privilège relatif à un litige) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande visait des documents relatifs à la propriété, à la vente, à la rétrocession ou à la restitution de terres sur la péninsule Bruce/Saugeen ou dans les environs, des années 1850 à 1980.

L’enquête a révélé que RCAANC a refusé de communiquer tous les documents pertinents dans leur intégralité en vertu de l’exception prévue à l’article 23.

Bien que RCAANC ait reconnu que les renseignements n’étaient pas visés par le secret professionnel de l’avocat, il affirmait que les documents en cause pourraient faire l’objet du privilège relatif à un litige et a cité plusieurs affaires en instance à la Cour fédérale du Canada à titre de preuve.

La Commissaire à l’information a conclu que RCAANC n’avait aucunement établi que les documents en cause étaient visés par le privilège relatif à un litige. En outre, RCAANC n’a pas démontré que parmi les documents en cause, il y en avait qui avaient été produits ou recueillis dans le but principal des litiges cités ou d’un litige connexe.

La Commissaire a recommandé au ministre des Relations Couronne-Autochtones de communiquer les documents dans leur intégralité.

RCAANC a avisé la Commissaire qu’il ne donnerait pas suite à la recommandation.

La plainte est fondée.

Plainte

[1] La partie plaignante allègue que Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC) a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’article 23 (secret professionnel de l’avocat et privilège relatif à un litige) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande visait des documents relatifs à la propriété, à la vente, à la rétrocession ou à la restitution de terres sur la péninsule Bruce/Saugeen ou dans les environs, des années 1850 à 1980.

Enquête

[2] Lorsqu’une institution refuse de communiquer des renseignements en vertu d’une exception, il lui incombe de démontrer que ce refus est justifié.

[3] En l’espèce, au départ, RCAANC soutenait que tous les documents pertinents étaient visés par l’exception prévue à l’article 23. Au cours de l’enquête, RCAANC a reconnu que l’article 23 ne s’appliquait pas, mais a affirmé qu’il entendait examiner les documents pour vérifier si des parties devaient être soustraites à la communication en vertu du paragraphe 19(1) (renseignements personnels) ou du paragraphe 20(1) (renseignements de tiers). RCAANC, a cependant changé d’idée par la suite et a de nouveau soutenu que l’article 23 s’appliquait aux documents en cause, sans toutefois faire d’allégations et/ou d’observations supplémentaires à l’appui de l’applicabilité du paragraphe 19(1) ou du paragraphe 20(1).

Article 23 : secret professionnel de l’avocat

[4] L’article 23 permet aux institutions de refuser de communiquer des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire lorsque l’information concerne des avis juridiques donnés à un client. L’article 23 permet aussi aux institutions de refuser de communiquer des renseignements protégés par le privilège relatif au litige lorsque l’information a été préparée ou recueillie aux fins d’un litige.

[5] Pour invoquer cette exception relativement au secret professionnel de l’avocat, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • l’information consiste en une communication entre un avocat ou un notaire et son client;
  • cette communication concerne directement les consultations ou les avis juridiques, y compris tous les renseignements nécessaires échangés en vue de l’obtention d’avis juridiques;
  • les communications et les conseils sont destinés à être confidentiels.

[6] Pour invoquer cette exception relativement à un litige, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • les renseignements ont été préparés ou recueillis dans le but principal d’un litige;
  • le litige est en cours ou peut être raisonnablement appréhendé.

[7] Le privilège relatif au litige prend fin généralement lorsque le litige est terminé, sauf lorsqu’un litige connexe est en instance ou est raisonnablement appréhendé.

[8] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions (à qui appartient le privilège) doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.

L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?

Secret professionnel de l’avocat (avis juridique)

[9] Au cours de l’enquête, RCAANC n’a présenté aucune observation expliquant en quoi les documents en cause consistaient en des communications entre un avocat ou un notaire et son client, concernaient directement les consultations ou les avis juridiques ou étaient destinés à être confidentiels.

[10] En effet, au cours de l’enquête, RCAANC a reconnu ce qui suit [traduction] :

[…] ces documents ne contiennent pas de renseignements visés par le secret professionnel de l’avocat […] Ces documents ne contiennent pas de renseignements échangés par un avocat ou un notaire et son client. Ils contiennent plutôt des renseignements échangés par des fonctionnaires du ministère, des avocats tiers et des individus, et ne sont donc pas visés par l’article 23 de la Loi.

[11] Comme RCAANC n’a pas établi que les critères du secret professionnel de l’avocat sont satisfaits, il ne peut pas refuser la communication des documents en cause ou des renseignements qu’ils contiennent en vertu de l’article 23 pour ce motif.

Privilège relatif à un litige

[12] Au cours de l’enquête, RCAANC a fait les déclarations suivantes [traduction] :

  • […] le sujet [des documents] […] pourrait être lié à un litige;
  • […] les renseignements visés par la plainte concernent des intérêts relatifs à des droits divers sur des routes/emprises réservées sur les rives et lacs/terres submergées de la péninsule Bruce/Saugeen [et] ces questions sont devant les tribunaux dans le cadre de litiges reposant sur les droits des peuples autochtones et les droits issus des traités pour lesquels la responsabilité du Canada est mise en cause;
  • les droits de propriété sur ces terres demeurent le sujet de litiges en instance [...];
  • la divulgation de cet ensemble de documents pourrait avoir des répercussions négatives sur la défense du Canada dans les litiges en instance, car les documents font référence à des questions de propriété et de droits sur ces terres;
  • […] certains des documents ont été recueillis dans le but d’un litige et sont donc protégés par le privilège relatif à un litige ou un engagement présumé à ne pas divulguer;
  • Les mentions « PTFF » (pour « plaintiff », soit le demandeur ou la demanderesse) dans le coin supérieur droit et l’identification de document manuscrite dans la marge ont fort probablement été produites dans le cadre d’un litige et pourraient donc être visées par l’engagement à ne pas divulguer.

[13] RCAANC a également fait référence aux litiges suivants, affirmant que ceux-ci étaient en instance au moment de la demande : dossiers 94-CQ-50872-CM, 03-CV-261134CM et 03-CV-253768-CM3, devant la Cour supérieure de l’Ontario; dossiers C69830 et C69831, devant la Cour d’appel de l’Ontario.

[14] Après avoir examiné toutes les observations reçues, je suis d’avis que RCAANC n’a aucunement établi que les documents en cause étaient visés par le privilège relatif à un litige.

[15] Le fait qu’un document « concerne des intérêts relatifs à des droits [dans des questions] » qui sont « devant les tribunaux » n’établit pas que ce document a été préparé ou recueilli dans le but principal de ce litige ou d’un litige connexe. Le test n’est pas de savoir si les documents concernent ou non des droits sur des terres qui font toujours l’objet d’un litige. L’incidence négative potentielle sur la défense du Canada dans un litige en instance est également fallacieuse en ce qui a trait à l’application du privilège relatif à un litige.

[16] Bien que, en l’espèce, je ne doute pas que les litiges auxquels RCAANC fait référence étaient en instance au moment de la demande, RCAANC n’a pas démontré que parmi les documents en cause, il y en avait qui avaient été produits ou recueillis dans le but principal de ces litiges ou d’un litige connexe.

[17] Comme RCAANC ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que les documents en cause sont visés par le privilège relatif à un litige, il n’est pas autorisé à en refuser la communication en vertu de l’article 23 pour ce motif.

Résultat

[18] La plainte est fondée.

Recommandation

Je recommande au ministre des Relations Couronne-Autochtones de communiquer les documents dans leur intégralité.

Le 24 février 2023, j’ai transmis au ministre des Relations Couronne-Autochtones mon rapport dans lequel je présentais ma recommandation.

Le 2 juin 2023, la directrice, Accès à l’information et protection des renseignements personnels, Relations Couronne-Autochtones, m’a avisée que le ministre ne donnerait pas suite à la recommandation en ces termes [traduction] :

Nous avons pris vos recommandations en considération et, après avoir consulté le ministère de la Justice, nous avons décidé de ne pas communiquer les documents dans leur intégralité. Le Ministère continue d’estimer que les renseignements en cause sont protégés par le privilège relatif à un litige. Les documents font partie intégrante de trois affaires judiciaires en instance […]

Bien que les récentes modifications à la Loi m’autorisent à ordonner la communication de documents, cela ne concerne que les plaintes reçues à partir du 21 juin 2019. Comme la plainte qui nous occupe a été reçue avant cette date, je n’ai malheureusement pas le pouvoir d’ordonner à RCAANC de répondre à la demande d’accès dans un délai déterminé. Ayant formulé mes recommandations à RCAANC, je dois conclure mon enquête, car j’ai épuisé les moyens à ma disposition en ce qui concerne la compétence que me confère la Loi.

Lorsque la plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. La partie plaignante doit exercer ce recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables après la date du compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43.

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