Ministère de la Justice Canada (Re), 2025 CI 19
Date : 2025-03-24
Numéro de dossier du Commissariat : 5824-00249
Numéro de la demande d’accès : A-2023-00385
Sommaire
La partie plaignante allègue que la prorogation de délai que le ministère de la Justice Canada (Justice) a prise en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’accès à l’information pour répondre à une demande d’accès est déraisonnable. La demande vise à obtenir tous les documents relatifs à l’engagement de la professeure Alice Sullivan, ainsi qu’à l’annulation subséquente de cet engagement, en vue d’une présentation destinée au personnel du ministère de la Justice à l’occasion de la Journée internationale des femmes de 2024.
L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)c) de la Loi.
Justice a pris une prorogation de 292 jours en vertu de l’alinéa 9(1)a), et l’enquête a permis de conclure que la prorogation est déraisonnable. Justice a aussi pris une prorogation de 90 jours en vertu de l’alinéa 9(1)b). Or, il n’a pas répondu à la demande d’accès dans le délai prorogé. Par conséquent, Justice est réputé avoir refusé de communiquer les documents demandés, suivant le paragraphe 10(3). L’enquête a aussi révélé que Justice a fondé la prorogation de délai sur un nombre de pages qui ne reflétait pas véritablement le nombre de documents pertinents parce qu’il n’a pas réussi à cerner correctement les doubles et les documents non pertinents.
La Commissaire à l’information a ordonné à Justice de fournir une réponse complète à la demande d’accès au plus tard le 36e jour ouvrable suivant la date du compte rendu.
Justice a avisé la Commissaire qu’il donnerait suite à l’ordonnance et qu’il répondrait à la demande d’accès dans le délai ordonné.
La plainte est fondée.
Plainte
[1] La partie plaignante allègue que la prorogation de délai que le ministère de la Justice Canada (Justice) a prise en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’accès à l’information pour répondre à une demande d’accès est déraisonnable. La demande vise à obtenir ce qui suit [traduction] :
[2] Tous les documents relatifs à l’engagement de la professeure Alice Sullivan, ainsi qu’à l’annulation subséquente de cet engagement, en vue d’une présentation destinée au personnel du ministère de la Justice à l’occasion de la Journée internationale des femmes de 2024.
[3] L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)c) de la Loi.
Enquête
[4] Justice a reçu la demande d’accès le 15 mars 2024 et a prorogé le délai de réponse de 382 jours, dont 292 jours en vertu de l’alinéa 9(1)a) et 90 jours en vertu de l’alinéa 9(1)b). Eu égard à cette prorogation, l’échéance du délai de réponse serait le 1er mai 2025.
Durée de la prorogation de délai raisonnable
[5] Les alinéas 9(1)a), b) et c) permettent aux institutions de proroger le délai de 30 jours dont elles disposent pour répondre aux demandes d’accès si la durée de la prorogation est raisonnable et justifiée dans les circonstances. Si ce critère n’est pas satisfait, la prorogation n’est pas valide, de sorte que le délai de réponse de 30 jours continue de s’appliquer.
[6] Lorsqu’elle prend une prorogation de délai, l’institution doit démontrer :
- qu’elle s’est sérieusement efforcée d’évaluer la durée nécessaire de la prorogation;
- qu’il existe un lien entre les justifications de la prorogation et la durée de la prorogation;
- que le calcul de la durée de la prorogation est suffisamment rigoureux, logique et soutenable, de sorte qu’il subirait avec succès un examen de son caractère raisonnable.
La durée de la prorogation prise en vertu de l’alinéa 9(1)a) est-elle raisonnable dans les circonstances?
[7] Justice a pris une prorogation de 292 jours en vertu de l’alinéa 9(1)a), sur la base des éléments suivants :
- La demande vise à obtenir « tous les documents », de sorte que les membres concernés du personnel doivent recueillir tous les documents qui pourraient être pertinents par rapport au libellé de la demande.
- La demande vise aussi la période [traduction] « jusqu’au 15 mars 2024 inclus ». De ce fait, il n’est pas possible de prévoir le nombre de documents visés par cette collecte.
- En raison de la vaste portée de la demande, de nombreux bureaux de première responsabilité (BPR) ont demandé à prolonger le délai dont ils disposaient pour accomplir la tâche attribuée. Ils avaient besoin de temps pour examiner les documents en leur possession afin de s’assurer qu’ils englobent tous les éléments dans ce dossier.
- Plusieurs BPR ont demandé à obtenir des éclaircissements pour cerner la portée de la demande avant d’entreprendre une recherche exhaustive de documents.
- Les principales fonctions des BPR n’ont pas trait à l’accès à l’information. Ils gèrent aussi leur charge de travail principale en plus de nos nombreuses demandes d’accès.
- Près de 4 000 pages de documents pertinents ont été reçues jusqu’à présent. Un analyste aura besoin au minimum de 4 à 5 mois pour effectuer un examen de base (c.-à-d. déterminer les doubles et les documents non pertinents ainsi que déterminer les documents devant faire l’objet d’une consultation ou d’un examen interne).
- 13 BPR différents se sont vu attribuer cette tâche de récupération de documents.
[8] Bien que je puisse comprendre les difficultés qu’éprouve Justice, je ne suis pas convaincue que les faits démontrent un lien entre les justifications de la prorogation et la durée de la prorogation ou que Justice s’est sérieusement efforcé de déterminer la durée de la prorogation. Voici pourquoi :
- La demande concerne la présentation d’une personne à un moment précis, à savoir la Journée internationale des femmes – vendredi 8 mars 2024.
- La demande, telle qu’elle est rédigée, est claire et concise. Il n’est pas clair pourquoi plus de temps était nécessaire pour comprendre « la portée » de la demande.
- Le respect des délais prévus par la Loi sur l’accès à l’information fait partie des responsabilités de chaque fonctionnaire, et ce, malgré les « principales fonctions » des BPR.
- Le fait que l’analyste et le Bureau de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP) au Ministère ont une charge de travail élevée n’est pas pertinent dans le cas de cette demande d’accès.
- Une norme de service générale inférieure à 1 000 pages par mois pour 4 000 pages de documents ne démontre pas qu’une analyse rigoureuse des exigences liées au traitement de la demande d’accès ait été effectuée.
[9] Je conclus que la prorogation de 292 jours en vertu de l’alinéa 9(1)a) n’est ni raisonnable ni justifiée dans les circonstances.
La durée de la prorogation prise en vertu de l’alinéa 9(1)b) est-elle raisonnable dans les circonstances?
[10] Justice a pris une prorogation de 90 jours en vertu de l’alinéa 9(1)b).
[11] Toutefois, il n’avait pas répondu à la demande d’accès à la date d’échéance de la prorogation de 90 jours, soit le 15 juillet 2024. Je conclus donc que Justice n’a pas respecté son obligation de répondre à la demande dans le délai prorogé. Il n’est donc pas nécessaire d’établir si la prorogation de délai était raisonnable.
Paragraphe 10(3) : présomption de refus
[12] Étant donné que la prorogation prise en vertu de l’alinéa 9(1)a) n’est pas valide et que Justice n’a pas répondu à la demande d’accès dans le délai prorogé en vertu de l’alinéa 9(1)b), je conclus qu’il est réputé avoir refusé de communiquer les documents demandés, suivant le paragraphe 10(3).
[13] Par conséquent, il a été demandé à des responsables de Justice de fournir plus d’information sur le traitement de la demande. Voici l’information nouvelle qu’a fournie Justice :
- Les responsables de l’AIPRP au Ministère confirment que l’examen initial est terminé. Par suite de la suppression des doubles et des renseignements non pertinents, il ne reste que 1 200 pages à traiter sur les 4 000 pages originales récupérées.
- Les responsables de l’AIPRP affirment qu’ils devront obtenir des éclaircissements auprès des BPR pour certains documents et envoyer un avis à un tiers. De plus, compte tenu de la charge de travail élevée de l’analyste, ce dernier sera en mesure d’examiner environ 500 pages par mois.
- Justice mènera des consultations internes et une consultation avec un tiers.
- Les responsables au Ministère ont besoin de 40 jours pour la révision finale et le processus d’approbation.
- Justice s’est fixé une date pour envoyer une réponse complète à la demande d’accès, à savoir le 31 janvier 2025. Or, il n’a pas respecté cette date.
[14] Justice doit soit améliorer la façon dont il récupère les documents, sans doute par des réponses mieux coordonnées de la part des BPR, soit investir dans la technologie pour repérer plus efficacement les doubles et les documents non pertinents, ou les deux. Il est préoccupant de constater que Justice a fondé la prorogation de délai sur un nombre de pages qui ne reflétait pas véritablement le nombre de documents pertinents en raison de ses lacunes dans ces domaines.
[15] De plus, la charge de travail de l’analyste ne justifie pas un taux d’examen de 500 pages par mois, tout comme Justice n’a pas fourni de justification convaincante à l’égard d’une période de révision finale de 40 jours.
[16] Compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis que le demandeur a présenté la demande d’accès, je conclus que Justice doit y répondre sans tarder.
Résultat
[17] La plainte est fondée.
Ordonnance
J’ordonne au ministre de la Justice de fournir une réponse complète à la demande d’accès au plus tard 36 jours ouvrables suivant la date du compte rendu.
Rapport et avis de l’institution
Le 14 février 2025, j’ai transmis au ministre mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.
Le 14 mars 2025, la directrice du Bureau de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels au ministère de la Justice Canada m’a avisée que ce dernier donnerait suite à mon ordonnance. Le Ministère a confirmé que la demande a été attribuée à un analyste principal qui supervisera l’achèvement du traitement du dossier.
Révision devant la Cour fédérale
Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Lorsque la Commissaire à l’information rend une ordonnance, l’institution a également le droit d’exercer un recours en révision. Quiconque exerce un recours en révision doit le faire dans un délai de 35 jours ouvrables suivant la date du présent compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ce délai, l’ordonnance prend effet le 36e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.