Environnement et Changement climatique Canada (Re), 2022 CI 64

Date : 2022-12-22
Numéro de dossier du Commissariat : 5820-02762
Numéro de dossier de l’institution: A-2018-01570/WL

Sommaire

La partie plaignante allègue qu’Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) a erronément refusé de communiquer des renseignements, en vertu des paragraphes 16(2) (faciliter la perpétration d’une infraction) et du 19(1) (renseignements personnels) ainsi que des alinéas 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers), 21(1)a) (avis ou recommandations) et 21(1)b) (comptes rendus de consultations ou de délibérations) de la Loi sur l’accès à l’information, en réponse à une demande d’accès à l’information concernant le Projet du Terminal 2 à Roberts Bank, plus précisément des renseignements concernant le biofilm et les oiseaux de rivage. La plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

L’application des paragraphes 16(2) et 19(1) pour refuser les documents n’est plus visée par la plainte.

ECCC a démontré que les documents, à l’exception d’un manuscrit scientifique, satisfaisaient à tous les critères des alinéas 21(1)a) ou 21(1)b), bien qu’il y ait des incohérences dans la communication.

Au cours de l’enquête, ECCC a décidé de ne plus s’opposer à la communication du manuscrit en vertu des alinéas 20(1)b), 21(1)a) et 21(1)b). Le tiers n’a pas répondu aux demandes d’observations du Commissariat à l’information.

La Commissaire à l’information a ordonné à ECCC de communiquer le manuscrit. La Commissaire a également ordonné à ECCC de corriger les incohérences dans la communication.

ECCC a avisé la Commissaire qu’il donnerait suite à l’ordonnance.

La plainte est fondée.

Plainte

[1]      La partie plaignante allègue qu’Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) a erronément refusé de communiquer des renseignements, en vertu des paragraphes 16(2) (faciliter la perpétration d’une infraction) et 19(1) (renseignements personnels) ainsi que des alinéas 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers), 21(1)a) (avis ou recommandations) et 21(1)b) (comptes rendus de consultations ou de délibérations) de la Loi sur l’accès à l’information, en réponse à une demande d’accès à l’information concernant le Projet du Terminal 2 à Roberts Bank, plus précisément des renseignements concernant le biofilm et les oiseaux de rivage. La plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

[2]      Au cours de l’enquête, la partie plaignante a décidé qu’il n’était plus nécessaire pour le Commissariat à l’information de mener une enquête sur les documents relatifs à la qualité de l’air et les documents non communiqués en vertu des paragraphes 16(2) ou 19(1).

Enquête

[3]      Lorsqu’une institution refuse de communiquer des renseignements, y compris les renseignements des tiers, il incombe à ces tiers et/ou à l’institution de démontrer que ce refus est justifié.

[4]      Le 3 juin 2022, le Commissariat à l’information a demandé des observations à Peter Schnurr au nom des auteurs d’une ébauche de document scientifique (« le manuscrit »), en vertu de l’alinéa 35(2)c). Il n’a pas répondu.

Alinéa 20(1)b) : renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers

[5]      L’alinéa 20(1)b) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels fournis à une institution fédérale par un tiers (c’est-à-dire une entreprise privée ou une personne, et non pas le demandeur d’accès).

Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • les renseignements sont financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;
  • les renseignements sont de nature confidentielle;
  • le tiers a fourni les renseignements à une institution fédérale;
  • le tiers a toujours traité les renseignements comme étant confidentiels.

[6]      Lorsque ces critères sont satisfaits et que le tiers auquel les renseignements se rapportent consent à leur divulgation, le paragraphe 20(5) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.

[7]      De plus, lorsque ces critères sont satisfaits, le paragraphe 20(6) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer les renseignements pour des raisons de santé publique ou de sécurité publique, ou pour protéger l’environnement, lorsque les deux circonstances suivantes (énumérées au paragraphe 20(6)) existent :

  • la divulgation des renseignements serait dans l’intérêt public;
  • l’intérêt public dans la divulgation est nettement supérieur à toute répercussion financière sur le tiers, à toute atteinte à la sécurité de ses ouvrages, réseaux ou systèmes, à sa compétitivité ou à toute entrave aux négociations contractuelles ou autres qu’il mène.

[8]      Toutefois, les paragraphes 20(2) et 20(4) interdisent expressément aux institutions d’invoquer l’alinéa 20(1)b) pour refuser de communiquer des renseignements qui contiennent les résultats d’essais de produits ou d’essais d’environnement effectués par une institution fédérale ou en son nom, sauf si ces essais ont été effectués moyennant paiement pour un particulier ou un organisme autre qu’une institution fédérale.

L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?

[9]      ECCC a invoqué l’alinéa 20(1)b), simultanément aux alinéas 21(1)a) et 21(1)b), pour refuser de communiquer la totalité du manuscrit (pages 6409 à 6441) ainsi que le nom de fichier de celui-ci dans un courriel (page 6408).

[10]    En ce qui concerne le premier critère, il est difficile de voir en quoi le nom de fichier non communiqué à la page 6408 de même que les titres, références, remerciements et légendes du manuscrit constituent des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques. Bien que je convienne que le corps du manuscrit et les chiffres soient des renseignements scientifiques, et satisfont donc au premier critère de l’alinéa 20(1)b), je ne suis pas persuadée que les autres critères de l’exception sont satisfaits.

[11]    Concernant le deuxième critère, afin que l’alinéa 20(1)b) s’applique, les renseignements doivent être confidentiels. Dans la décision Air Atonabee Limited c. Canada (Ministre des Transports) (1989), 27 F.T.R. 194, la Cour fédérale a souligné trois sous-critères précis qui doivent être satisfaits pour que les renseignements soient considérés comme confidentiels :

  • les renseignements ne doivent pas être disponibles auprès de sources autrement accessibles au public;
  • les renseignements doivent avoir, été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués;
  • la relation entre le gouvernement et le tiers n’est pas contraire à l’intérêt public, et l’échange confidentiel des renseignements doit favoriser cette relation dans l’intérêt du public. [Voir aussi : Merck Frosst Canada Ltd. c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, para 133.]

[12]    En l’espèce, le manuscrit final semble avoir été publié avant le traitement de la demande d’accès. Par conséquent, au moins une partie des renseignements non communiqués est disponible auprès de sources accessibles au public.

[13]    Dans la décision Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, la Cour suprême du Canada a déclaré que les renseignements qui ont été publiés ne sont pas confidentiels, et que l’organisation et l’ordre précis des sections d’un document ou le choix du format dans lequel l’information est présentée n’empêchent pas la communication. Par conséquent, il semblerait que tout renseignement qui se trouve dans l’ébauche et la version publiée ne satisfait pas aux critères de la confidentialité objective.

[14]    Il n’a pas été établi que les renseignements en cause ont été créés ou transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués. Les auteurs, lorsqu’ils ont composé le manuscrit, envisageaient manifestement de le publier. De plus, les remerciements indiquent que le financement a été fourni par ECCC et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. Les ententes de financement peuvent influer sur la confidentialité de l’information créée suivant celles-ci, en empêchant ou permettant la communication de l’information. Il n’est donc pas clairement établi en quoi les renseignements en cause ont été créés et/ou transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués.

[15]    Bien qu’une relation entre ECCC et des chercheurs scientifiques semble être dans l’intérêt public, il n’est pas clairement établi en quoi la confidentialité de l’information favoriserait cette relation. Compte tenu de ce qui précède, je ne peux pas conclure que les renseignements non communiqués sont objectivement confidentiels au sens des trois sous-critères établis dans la décision Air Atonabee.

[16]    Pour ce qui est du troisième critère de l’alinéa 20(1)b), à savoir que le tiers a fourni les renseignements à une institution fédérale, la jurisprudence ayant trait à la Loi a régulièrement fait la distinction entre des renseignements fournis par un tiers et des observations indépendantes qui ont été faites selon des renseignements qui ont été fournis [voir, p. ex. : Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, para 152 à 158; Hibernia Management and Development Company Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers et Commissaire à l’information du Canada, 2012 CF 417].

[17]    Deux des auteurs du manuscrit sont des employés d’ECCC et, selon la section des remerciements, il semble que plusieurs autres fonctionnaires ont participé à la collecte d’échantillons. La Loi définit un « tiers » ainsi : « personne, groupe de personnes ou organisation autre que la personne ayant présenté la demande ou institution fédérale ».

[18]    À défaut d’identifier les renseignements dans le manuscrit qui ont été fournis par des scientifiques externes ne faisant pas partie d’ECCC, je suis d’avis que le troisième critère nécessaire pour démontrer l’application de l’alinéa 20(1)b) n’est pas satisfait.

[19]    Pour ce qui est du dernier critère de l’alinéa 20(1)b), aucune observation n’a été reçue pour démontrer que les auteurs ont toujours traité les renseignements non communiqués comme étant confidentiels, et surtout, étant donné que la grande majorité des renseignements contenus dans l’ébauche étaient également contenus dans la version finale publiée.

[20]    ECCC a indiqué qu’après un examen supplémentaire, il ne s’opposait pas à la communication des pages 6408 à 6441.

[21]    Ni ECCC ni le tiers n’ont démontré que les renseignements satisfaisaient aux quatre critères de l’exception. Par conséquent, je conclus que les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’alinéa 20(1)b).

Alinéas 21(1)a) et 21(1)b) : avis ou recommandations, comptes rendus de consultations ou de délibérations

[22]    L’alinéa 21(1)a) permet aux institutions de refuser la divulgation d’avis ou de recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre.

[23]    Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • les renseignements sont des avis ou des recommandations;
  • les renseignements ont été créés pour une institution fédérale ou un ministre.

[24]    L’alinéa 21(1)b) permet aux institutions de refuser de communiquer des comptes rendus de consultations ou de délibérations auxquelles ont participé des employés du gouvernement, des ministres ou leur personnel.

[25]    Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • les renseignements sont un compte rendu, c’est-à-dire un rapport ou une description;
  • le compte rendu concerne des consultations ou des délibérations;
  • au moins un dirigeant, administrateur ou employé de l’institution ou un ministre ou un membre de son personnel a pris part aux consultations ou aux délibérations.

[26]    Pour que ces exceptions s’appliquent, les documents qui contiennent les renseignements doivent avoir été créés moins de vingt ans avant la demande d’accès.

[27]    Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.

[28]    Toutefois, le paragraphe 21(2) interdit expressément aux institutions d’invoquer l’alinéa 21(1)a) ou 21(1)b) pour refuser de communiquer ce qui suit :

  • des documents qui contiennent les motifs ou les comptes rendus de décisions qui touchent les droits d’une personne prises par les institutions dans l’exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires ou dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires ou quasi judiciaires;
  • des rapports établis par des consultants ou des conseillers qui n’étaient pas, au moment où ces rapports ont été établis, des administrateurs, des dirigeants ou des employés d’une institution ou des membres du personnel du ministre.

L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?

[29]    Les alinéas 21(1)a) et 21(1)b) ont été appliqués, simultanément ou séparément, pour refuser de communiquer des discussions et des notes relatives au Projet du Terminal 2 à Roberts Bank.

[30]    Les alinéas 21(1)a) et 21(1)b) ont aussi été appliqués simultanément à l’alinéa 20(1)b) pour refuser de communiquer la totalité d’un manuscrit scientifique ainsi que son nom de fichier aux pages 6408 à 6441. Je ne suis pas convaincue que ces renseignements en particulier s’inscrivaient dans les catégories des avis ou recommandations, ou des consultations ou délibérations, puisqu’il s’agit essentiellement de renseignements factuels scientifiques et qu’ils ne contiennent aucune suggestion de plan d’action ou d’échange d’idées. Dans ses observations, après un examen supplémentaire, ECCC a reconnu que le manuscrit et son nom de fichier pouvaient être communiqués.

[31]    Les autres renseignements satisfont aux critères de l’une ou l’autre exception ou des deux exceptions, car il s’agit d’avis ou de recommandations créées par ECCC ou de comptes rendus de consultations ou de délibérations auxquels participaient des employés d’ECCC. Les renseignements ont été créés moins de vingt ans avant la demande d’accès.

[32]    Par conséquent, je conclus que les renseignements, à l’exception de ceux aux pages 6408 à 6441, satisfont aux critères des alinéas 21(1)a) et/ou 21(1)b).

L’institution a-t-elle exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire quant à sa décision de communiquer ou non l’information?

[33]    Étant donné que les renseignements satisfont aux critères des alinéas 21(1)a) et/ou 21(1)b), ECCC devait exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements. Pour ce faire, ECCC devait prendre en considération tous les facteurs pertinents pour ou contre la communication.

[34]    ECCC n’a pas à fournir une analyse détaillée de chaque facteur considéré ni expliquer comment ils ont été mesurés les uns par rapport aux autres. Cependant, une déclaration générale comme quoi tous les facteurs pertinents ont été pris en considération ne suffit pas.

[35]    La décision prise par une institution de ne pas communiquer l’information doit être transparente, intelligible et justifiée. L’explication de l’institution est suffisante lorsque cette dernière précise comment la décision a été prise et que les documents relatifs au processus décisionnel permettent de comprendre pourquoi l’institution a procédé comme elle l’a fait.

[36]    ECCC a expliqué les facteurs qu’il a pris en considération lorsqu’il a pris sa décision et il a présenté des observations pour expliquer comment certains facteurs ont été mesurés les uns par rapport aux autres.

[37]    Il y a des renseignements qui ont été communiqués à certaines pages, mais pas à d’autres. ECCC reconnaît qu’en raison du grand nombre de pages, il y a des incohérences, et il a convenu que les renseignements devraient être communiqués de façon uniforme.

[38]    Je conclus qu’ECCC a pris en considération tous les facteurs pertinents lorsqu’il a décidé de ne pas communiquer les renseignements. Par conséquent, l’exercice du pouvoir discrétionnaire par ECCC était raisonnable.

Résultat

[39]    La plainte est fondée.

Ordonnance

Conformément au paragraphe 36.1(1) de la Loi, j’ordonne au ministre de l’Environnement et du Changement climatique ce qui suit :

  • Communiquer tous les renseignements non communiqués aux pages 6408 à 6441;
  • Corriger les incohérences dans la communication, notamment aux pages 374/399, 447/1882, 1878/7154 et 4874/6216.

Le ministre doit se conformer aux dispositions du paragraphe 37(4) lorsqu’il communique des documents en réponse à mon ordonnance.

Le 22 novembre 2022, j’ai transmis au ministre mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.

Le 16 décembre 2022, le sous-ministre délégué m’a avisée qu’ECCC donnerait suite à mon ordonnance.

Lorsque la plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante et l’institution ont le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Celles-ci doivent exercer leur recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables après la date du compte rendu et doivent signifier une copie de leur demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ce délai, l’ordonnance prend effet le 36e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.

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