Bibliothèque et Archives Canada (Re), 2025 CI 20

Date : 2025-03-24
Numéro de dossier du Commissariat : 5823-04407
Numéro de la demande d’accès : A-2023-06649

Sommaire

La partie plaignante allègue que la prorogation de délai que Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a prise en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’accès à l’information pour répondre à une demande d’accès est déraisonnable. La demande vise à obtenir des documents de la Gendarmerie royale du Canada sur les activités et les militants du Parti Communiste du Canada à Kitchener-Waterloo, en Ontario, de 1970 à 1984. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)c) de la Loi.

BAC a prorogé le délai de 80 jours en vertu de l’alinéa 9(1)a) et de 730 jours en vertu de l’alinéa 9(1)b). La Commissaire à l’information a conclu que la dernière prorogation, laquelle a été prise pour mener une consultation avec le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) sur 4 985 pages de documents, est déraisonnable. BAC n’a pas pu démontrer qu’elle s’était sérieusement efforcée d’évaluer la durée de la prorogation, s’appuyant plutôt sur le délai de deux ans que le SCRS avait estimé pour examiner les documents et formuler ses recommandations sur la communication.

La Commissaire a constaté que la surveillance effectuée par les services de renseignement canadiens au cours des années 1970 sur les activités et affiliations communistes a fait l’objet d’importantes divulgations et que les documents datent maintenant d’environ 50 ans. Cela a amené la Commissaire à remettre en question la position de BAC (comme elle l’avait fait dans son rapport de 2022 faisant suite à l’enquête systémique sur les pratiques de consultation de BAC et sur d’autres points) selon laquelle cette dernière doit systématiquement consulter les institutions sur tous les documents liés à la sécurité et au renseignement, ce qui compromet sa capacité à communiquer les documents en temps opportun.

Ayant conclu que la prorogation de 810 jours est déraisonnable et que BAC n’a pas répondu à la demande d’accès à la date d’échéance de la prorogation de 80 jours, la Commissaire a ordonné à BAC de fournir une réponse complète à la demande au plus tard 60 jours ouvrables suivant la date du compte rendu.

De plus, elle a recommandé à BAC d’inclure, dans son prochain rapport d’étape semestriel à l’égard des questions soulevées lors de l’enquête systémique, des informations récentes et précises sur les progrès réalisés en matière de délais de consultation avec d’autres institutions.

BAC a avisé la Commissaire qu’elle ne donnerait pas suite à l’ordonnance, mais qu’elle inclurait des informations récentes sur les délais de consultation dans son prochain rapport d’étape.

La plainte est fondée.

Plainte

[1]        La partie plaignante allègue que la prorogation de délai que Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a prise en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’accès à l’information pour répondre à une demande d’accès est déraisonnable. La demande vise à obtenir ce qui suit [traduction] :

[2]        Je cherche les documents suivants de la Gendarmerie royale du Canada sur les activités et les militants du Parti Communiste du Canada à Kitchener-Waterloo, en Ontario, de 1970 à 1984 :

[3]        RG146 3600 Parti Communiste du Canada Kitchener vol. 1 à 5 – NOTE : Je cherche seulement les documents de 1970 à 1978;

[4]        RG146 3724 Parti Communiste (PC), Kitchener Waterloo, vol. 1 à 5 et pochette-classeur – NOTE : Je cherche seulement les documents de 1970 à 1978;

[5]        RG146 3187 Alliance anti-impérialiste Kitchener-Waterloo, vol. 1 à 3 – NOTE : Je demande tous les dossiers couvrant la période de 1970 à 1984;

[6]        RG146 412 « On the line News Kitchener ».

[7]        L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)c) de la Loi.

Enquête

[8]        BAC a reçu la demande d’accès le 8 janvier 2024 et a prorogé le délai de réponse de 810 jours, dont 80 jours en vertu de l’alinéa 9(1)a) et 730 jours en vertu de l’alinéa 9(1)b). Eu égard à cette prorogation, l’échéance du délai de réponse serait le 27 avril 2026.

Durée de la prorogation de délai raisonnable

[9]        Les alinéas 9(1)a), b) et c) permettent aux institutions de proroger le délai de 30 jours dont elles disposent pour répondre aux demandes d’accès si la durée de la prorogation est raisonnable et justifiée dans les circonstances. Si ce critère n’est pas satisfait, la prorogation n’est pas valide, de sorte que le délai de réponse de 30 jours continue de s’appliquer.

[10]      Lorsqu’elle prend une prorogation de délai, l’institution doit démontrer :

  • qu’elle s’est sérieusement efforcée d’évaluer la durée nécessaire de la prorogation;
  • qu’il existe un lien entre les justifications de la prorogation et la durée de la prorogation;
  • que le calcul de la durée de la prorogation est suffisamment rigoureux, logique et soutenable, de sorte qu’il subirait avec succès un examen de son caractère raisonnable.

La durée de la prorogation prise en vertu de l’alinéa 9(1)b) est-elle raisonnable dans les circonstances?

[11]      BAC a pris une prorogation de 730 jours en vertu de l’alinéa 9(1)b), sur la base des éléments suivants :

  • BAC a affirmé que 1 183 pages sur environ 4 985 pages d’information classifiée doivent faire l’objet d’une consultation avec le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).
  • BAC a décidé de proroger le délai de réponse après avoir consulté le SCRS.
  • Le SCRS a fixé un délai de deux ans pour répondre à la consultation.
  • BAC a mentionné que le SCRS procède actuellement à de multiples consultations obligatoires avec elle, lesquelles sont organisées par ordre de priorité. Il ne peut traiter toutes les demandes de consultation en même temps. BAC a confirmé que la demande de consultation a été envoyée au SCRS le 8 février 2024 et qu’une réponse est prévue pour le 9 février 2026.

[12]      Toutefois, pris ensemble, les faits ci-dessus ne démontrent pas qu’il existe un lien entre les justifications de la prorogation et la durée de la prorogation ou que BAC s’est sérieusement efforcée de déterminer la durée de la prorogation prise en vertu de l’alinéa 9(1)b).

[13]      L’article 4.1.32 de la Directive sur les demandes d’accès à l’information exige que les demandes de consultation d’autres institutions fédérales soient traitées avec la même priorité que les demandes d’accès à l’information. Je ne suis pas d’avis que le délai de deux ans, fixé par le SCRS, soit conforme à la Directive.

[14]      Compte tenu de ce qui précède, je conclus que BAC n’a pas démontré que la durée de la prorogation prise en vertu de l’alinéa 9(1)b) est raisonnable. Elle n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant que le délai prorogé de 730 jours aux fins de consultation était raisonnable dans les circonstances.

La durée de la prorogation prise en vertu de l’alinéa 9(1)a) est-elle raisonnable dans les circonstances?

[15]      BAC a pris une prorogation de 80 jours en vertu de l’alinéa 9(1)a).

[16]      Toutefois, BAC n’avait pas répondu à la demande d’accès à la date d’échéance de la prorogation de 80 jours, soit le 28 avril 2024. Je conclus donc qu’elle n’a pas respecté son obligation de répondre à la demande dans le délai prorogé. Il n’est donc pas nécessaire d’établir si la prorogation de délai était raisonnable.

Paragraphe 10(3) : présomption de refus

[17]      Étant donné que la prorogation prise en vertu de l’alinéa 9(1)b) n’est pas valide et que BAC n’a pas répondu à la demande d’accès dans le délai prorogé en vertu de l’alinéa 9(1)a), je conclus qu’elle est réputée avoir refusé de communiquer les documents demandés, suivant le paragraphe 10(3).

[18]      Par conséquent, il a été demandé à des responsables de BAC de fournir plus d’information sur le traitement de la demande.

[19]      BAC a informé le Commissariat à l’information que l’examen des documents n’a pas encore été entamé, car les responsables attendent de recevoir une réponse à la consultation avec le SCRS. Ce dernier est en possession des documents de consultation depuis maintenant un an. BAC a aussi fait savoir que, lorsque les documents lui seront retournés, elle devra examiner les recommandations et appliquer les exceptions applicables, y compris celles visant les renseignements personnels. BAC a affirmé qu’elle n’est pas en mesure de fournir une date de réponse à la demande d’accès.

[20]      Je constate que la surveillance effectuée par les services de renseignement canadiens au cours des années 1970 sur les activités et affiliations communistes a fait l’objet d’importantes divulgations. De plus, ces documents datent maintenant d’environ 50 ans.

[21]      BAC a l’obligation de s’assurer que les demandes d’accès sont traitées conformément aux exigences de la Loi en ce qui concerne les documents qui relèvent d’elle. À défaut par une institution consultée de fournir des recommandations dans un délai raisonnable, l’institution qui reçoit la demande est finalement tenue de fournir une réponse rapide au demandeur, sans bénéficier des recommandations de l’institution consultée.

[22]      La présente plainte soulève des questions abordées dans mon rapport faisant suite à l’enquête systémique sur BAC que j’ai menée en 2022. Malheureusement, les constatations et les observations faites il y a quatre ans semblent toujours pertinentes :

[33]    Compte tenu du mandat de BAC, je ne peux pas accepter sa position selon laquelle elle doit systématiquement consulter des institutions sur toutes les questions de sécurité et de renseignement. Les archivistes de BAC organisent des collections de documents historiques, étudient les évènements décrits dans ceux-ci, publient des articles et écrivent des livres sur ces évènements et ces sujets. Je conviens que la tenue de consultations pourrait être justifiée sur certains sujets, questions ou évènements historiques mentionnés dans les documents. Il semblerait toutefois que de renoncer à la responsabilité d’examiner toutes les questions de sécurité et de renseignement dans leur contexte historique va à l’encontre de la raison d’être de BAC.

[34]    BAC a déclaré qu’elle consulte toujours le SCRS au sujet des demandes visant des documents qui proviennent de lui ou de son prédécesseur. La tenue de ces consultations était une condition pour recevoir des documents du SCRS et BAC l’a acceptée. L’accord conclu avec le SCRS en vertu de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada rend les consultations nécessaires conformément à l’alinéa 9(1)b) de la Loi. Ces consultations pourraient toutefois empêcher BAC de respecter son obligation de communiquer les documents en temps opportun en vertu de la Loi. Le droit d’accès s’applique nonobstant toute autre loi fédérale et les accords de transfert ne doivent pas nuire à la communication en temps opportun. À première vue, accepter de tenir obligatoirement des consultations avec le SCRS n’est pas conforme à la Directive provisoire, selon laquelle les institutions doivent tenir des consultations sur les articles 15 et 16 seulement dans deux circonstances précises. Dans les deux situations, BAC doit faire une analyse préliminaire des documents afin de confirmer que les articles 15 et 16 s’appliquent. Cela est conforme à la Loi, qui requiert une analyse préliminaire afin de décider qu’une consultation est nécessaire pour répondre à la demande. Les institutions doivent exercer leur pouvoir délégué d’appliquer les exceptions ou de communiquer les documents en vertu de la Loi, sans prolonger le délai en tenant des consultations qui ne sont pas nécessaires.

[…]

[41]    Le Commissariat reconnaît que BAC n’a aucun contrôle sur la façon dont les autres institutions traitent ses consultations; cependant, mon enquête a montré que BAC fait preuve de trop de complaisance à l’égard des délais de réponse à celles-ci. Compte tenu du nombre de consultations que mène BAC, cela a des répercussions négatives disproportionnées sur les personnes qui lui présentent des demandes d’accès.

[42]    BAC doit adopter de meilleures pratiques pour ce qui est des consultations, par exemple :

  • procéder à une analyse détaillée de l’information dans son contexte historique;
  • inclure les documents de référence pertinents et des questions ciblées dans chaque demande de consultation;
  • fixer un délai de réponse raisonnable;
  • surveiller les délais fixés;
  • prendre des mesures lorsque les délais de réponse sont expirés.

[43]    Je conclus que BAC n’a pas démontré que le fait de ne pas répondre dans le délai prescrit par la Loi est dû à des consultations qui sont nécessaires en vertu de l’alinéa 9(1)b). En outre, je conclus que les consultations automatiques sur toute l’information liée à la sécurité et au renseignement ne sont pas conformes à la Directive provisoire. Je conclus également qu’attendre les réponses aux consultations plutôt qu’exercer le pouvoir qui lui est entièrement délégué de répondre aux demandes d’accès, qu’elle ait reçu des recommandations ou non quant à la communication, empêche BAC de communiquer les documents demandés en temps opportun.

[23]      En réponse à mon rapport de 2022, BAC a établi le Plan d’action sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels (AIPRP) dans le but de régler ses problèmes systémiques internes et s’est engagée à présenter deux rapports d’étape chaque année. Dans son rapport d’étape de décembre 2024, BAC a mentionné ce qui suit : « [q]uant aux demandes concernant d’autres documents ministériels qui exigent des consultations avec les ministères concernés [...] elles constituent un obstacle substantiel au respect des délais prévus par la loi. » Toutefois, ni le Plan d’action sur l’AIPRP ni aucun de ses cinq rapports d’étape n’aborde expressément la façon dont BAC entend surmonter cet obstacle.

[24]      En l’espèce, la partie plaignante attend depuis plus d’un an une réponse à sa demande d’accès. Chaque jour supplémentaire pris pour répondre à cette demande représente un jour de plus où ses droits d’accès lui sont refusés. Cette absence de réponse contrevient clairement aux obligations de BAC prévues par la Loi et mine la crédibilité du système d’accès.

[25]      Compte tenu de ce qui précède et du temps qui s’est écoulé depuis la réception de la demande d’accès, je conclus que BAC doit y répondre sans tarder.

Résultat

[26]      La plainte est fondée.

Ordonnance

J’ordonne à la ministre du Patrimoine canadien de fournir une réponse complète à la demande d’accès au plus tard 60 jours ouvrables suivant la date du compte rendu.

Je recommande à la ministre d’inclure, dans le prochain rapport d’étape de BAC relatif au Plan d’action sur l’AIPRP, des informations récentes et précises sur les progrès réalisés en matière de délais de consultation avec d’autres ministères.

Rapport et avis de l’institution

Le 19 février 2025, j’ai transmis à la ministre mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.

Le 6 mars 2025, la ministre m’a avisée qu’elle ne donnerait pas suite à mon ordonnance. Elle a fait savoir que, même si BAC s’efforcera de répondre à la demande d’accès aussitôt que possible, elle ne prévoit pas la fin du traitement de ce dossier avant la date de communication ordonnée de 60 jours ouvrables suivant la réception du compte rendu, vu que la charge de travail de BAC comporte des tâches prioritaires, dont des engagements découlant d’autres ordonnances.

BAC a confirmé en outre qu’elle inclura des informations récentes et précises au sujet des délais de consultation avec d’autres ministères dans son prochain rapport d’étape relatif au Plan d’action sur l’AIPRP.

BAC a précisé que ce point avait partiellement été abordé de diverses façons dans ses rapports précédents, notamment par l’adoption de nouvelles procédures et la mise en place d’une équipe de recherche archivistique, ce qui lui a permis de réduire considérablement les délais de réponse de même que le nombre et l’ampleur des consultations externes. BAC fournira plus de détails à mesure qu’elle passera à un nouveau logiciel de traitement des demandes d’accès en avril 2025.

Je rappelle à la ministre que, si elle ne prévoit pas de donner suite à mon ordonnance, elle doit exercer un recours en révision devant la Cour fédérale dans le délai prévu au paragraphe 41(2) de la Loi.

Révision devant la Cour fédérale

Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Lorsque la Commissaire à l’information rend une ordonnance, l’institution a également le droit d’exercer un recours en révision. Quiconque exerce un recours en révision doit le faire dans un délai de 35 jours ouvrables suivant la date du présent compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ce délai, l’ordonnance prend effet le 36e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.

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