Agence du revenu du Canada (Re), 2025 CI 5
Date : 2025-02-11
Numéro de dossier du Commissariat : 5823-02877
Numéro de la demande d’accès : A-2023-170226
Sommaire
La partie plaignante allègue que l’Agence du revenu du Canada (ARC), en réponse à une demande d’accès, a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu du paragraphe 19(1) (renseignements personnels) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande vise des feuilles de temps d’employés de l’ARC du 19 avril au 3 mai 2023. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.
L’ARC a démontré que la période visée coïncidait avec la grève de l’Alliance de la Fonction publique du Canada. Par conséquent, l’identificateur d’utilisateur et le CIDP, s’ils étaient communiqués avec les autres renseignements figurant sur la feuille de temps, révéleraient le choix personnel d’un employé de participer à la grève ou de franchir la ligne de piquetage.
L’ARC n’a pas été en mesure de démontrer qu’il y a de fortes possibilités que la communication des autres renseignements sur la feuille de temps permette d’identifier les personnes auxquelles les renseignements se rapportent.
La Commissaire à l’information a ordonné à l’ARC de communiquer les renseignements qui ne satisfont pas aux critères du paragraphe 19(1).
L’ARC a avisé la Commissaire qu’elle donnerait partiellement suite à l’ordonnance.
La plainte est fondée.
Plainte
[1] La partie plaignante allègue que l’Agence du revenu du Canada (ARC), en réponse à une demande d’accès, a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu du paragraphe 19(1) (renseignements personnels) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande vise des feuilles de temps d’employés de l’ARC du 19 avril au 3 mai 2023. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.
Enquête
[2] Lorsqu’une institution refuse de communiquer des renseignements en vertu d’une exception, il lui incombe de démontrer que ce refus est justifié.
Paragraphe 19(1) : renseignements personnels
[3] Le paragraphe 19(1) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements personnels.
[4] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements concernent une personne, c’est-à-dire un être humain, et non une société;
- il y a de fortes possibilités que la divulgation de ces renseignements permette d’identifier cette personne;
- les renseignements ne sont pas assujettis à une des exceptions prévues aux alinéas 3j) à 3m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels applicables à la définition de « renseignements personnels » (p. ex. les coordonnées professionnelles des fonctionnaires).
[5] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors se demander si les circonstances suivantes (énumérées au paragraphe 19(2)) existent :
- la personne concernée par les renseignements consent à leur divulgation;
- les renseignements sont accessibles au public;
- la communication des renseignements serait conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[6] Lorsqu’une ou plusieurs de ces circonstances existent, le paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[7] L’ARC a invoqué le paragraphe 19(1) pour refuser de communiquer des feuilles de temps d’employés pour la période du 19 avril au 3 mai 2023 dans leur intégralité. Les feuilles de temps contiennent les champs suivants :
- Identificateur d’utilisateur
- CIDP
- Date
- Type absence/présence
- Texte absence/présence
- Entreprise
- État
- Heures
[8] Dans certaines circonstances, les feuilles de temps d’employés peuvent être visées par l’exception à la définition d’un renseignement personnel prévue à l’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, car elles contiennent des renseignements sur des personnes qui sont des cadres ou des employés, actuels ou anciens, d’une institution fédérale et qui portent sur le poste ou les fonctions de ces personnes. Toutefois, en l’espèce, la période visée coïncide avec la période pendant laquelle l’Alliance de la Fonction publique du Canada était en grève. Par conséquent, je conviens que l’identificateur d’utilisateur et du CIDP, s’ils étaient communiqués avec les autres renseignements figurant sur la feuille de temps, révéleraient le choix personnel d’un employé de participer à la grève ou de franchir la ligne de piquetage. Cette décision ne se rapporte pas au poste ou aux fonctions de cette personne et, par conséquent, ne relève pas de l’exception prévue à l’alinéa 3j).
[9] En ce qui concerne les autres renseignements sur la feuille de temps (Date, Type absence/présence, Texte absence/présence, Entreprise, État, Heures), selon l’ARC, en comparant les données sur la feuille de temps au registre des personnes qui étaient présentes à la ligne de piquetage chaque jour de la grève, il y a de fortes possibilités de faire des suppositions quant aux personnes qui ont passé ou non la ligne de piquetage durant la grève.
[10] Au paragraphe 34 de l’arrêt Gordon c. Canada (Santé), 2008 CF 258 (Gordon), la Cour fédérale a affirmé que :
Les renseignements seront des renseignements concernant un individu identifiable lorsqu’il y a de fortes possibilités que l’individu puisse être identifié par l’utilisation de ces renseignements, seuls ou en combinaison avec des renseignements d’autres sources.
[11] Dans l’affaire Société John Howard du Canada c. Canada (Sécurité publique), 2022 CF 1459 (John Howard), la Cour fédérale a souligné l’importance de la preuve pour démontrer les fortes possibilités d’identification. S’appuyant sur Gordon, la Cour, dans l’affaire John Howard, a conclu que des éléments de preuves fondés sur des conjectures et non concrets ne suffisent pas pour satisfaire aux critères du paragraphe 19(1).
[12] Pour les raisons qui suivent, je ne suis pas convaincue qu’il y a de fortes possibilités que la communication des autres renseignements sur la feuille de temps permette d’identifier les personnes auxquelles ceux-ci se rapportent.
[13] En premier lieu, la preuve présentée par l’ARC se fonde entièrement sur des suppositions. L’ARC soutenait qu’il y avait de fortes possibilités de faire des suppositions quant aux personnes qui ont passé ou non la ligne de piquetage durant la grève, en comparant les données sur la feuille de temps au registre de grève et en procédant par élimination. Cependant, l’ARC n’a aucunement tenté de démontrer la probabilité que cette comparaison et le processus d’élimination permettent d’identifier les personnes en question. Il est donc difficile de savoir s’il est possible ou non de procéder à une telle analyse des données dans la feuille de temps en vue d’identifier des personnes. Bien que l’ARC ne soit pas tenue de démontrer de façon concluante qu’une telle analyse permettrait d’identifier des personnes, elle doit faire plus que simplement affirmer qu’il y a de fortes possibilités qu’une personne puisse « faire des suppositions ».
[14] En deuxième lieu, le registre concerne 1 300 employés. Ce seul fait réduit grandement la possibilité qu’un employé individuel puisse être identifié avec précision.
[15] Enfin, durant la période désignée, les employés auraient pu s’absenter du travail pour différentes raisons (congé sans solde dans le cadre de la grève, vacances, maladie, congé pour une longue période, etc.), sans être présents sur la ligne de piquetage. Par conséquent, l’absence ou la présence d’un employé sur la ligne de piquetage n’explique pas nécessairement son statut un jour donné, ce qui rend encore plus difficile toute tentative de faire une analyse comparative exacte.
[16] Pour ces raisons, je suis d’avis que, pour ce qui est l’affirmation de l’ARC selon laquelle une personne pourrait faire des suppositions quant à la question de savoir quelles données dans les feuilles de temps se rapportent à quel employé, « il ne s’agit, au mieux, que d’une simple possibilité et non de fortes possibilités » (John Howard, au para 69).
[17] Avant de rendre une ordonnance concernant les renseignements en question, j’ai consulté le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, conformément à l’article 36.2 de la Loi sur l’accès à l’information. Celui-ci était d’accord avec mon évaluation et a indiqué que [traduction] : « […] compte tenu du fait qu’il y a plus de 1 300 dossiers d’employés qui sont pertinents dans le cadre de la demande et que, comme mentionné précédemment, l’identificateur d’utilisateur et le CIDP ont été enlevés […] nous ne voyons pas en quoi il y aurait une “forte possibilité” qu’une personne puisse être identifiée par la communication des champs de données restants. »
[18] Par conséquent, je conclus que certains des renseignements non communiqués (Date, Type absence/présence, Texte absence/présence, Entreprise, État, Heures), ne satisfont pas aux critères du paragraphe 19(1).
L’institution a-t-elle exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire quant à sa décision de communiquer ou non l’information?
[19] Étant donné que les renseignements satisfont aux critères du paragraphe 19(1), l’ARC était tenue d’exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 19(2) afin de décider de communiquer ou non les renseignements lorsqu’au moins l’une des circonstances décrites au paragraphe 19(2) existait au moment de la réponse.
[20] L’ARC a confirmé que les circonstances prévues au paragraphe 19(2) n’existaient pas au moment où la demande a été traitée. Compte tenu du nombre de personnes en cause, je conviens qu’il ne serait pas raisonnable que l’ARC leur demande leur consentement pour communiquer l’information, et celle-ci n’est pas accessible au public. L’ARC a également démontré que la communication des renseignements n’aurait pas été conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[21] Je conclus qu’aucune des circonstances énoncées au paragraphe 19(2), à savoir qui permettrait la communication des renseignements personnels, n’existe.
Résultat
[22] La plainte est fondée.
Ordonnance
J’ordonne à la ministre du Revenu national ce qui suit :
- Communiquer tous les renseignements caviardés qui ne satisfont pas aux critères du paragraphe 19(1), comme décrit dans mon compte rendu.
Rapport et avis de l’institution
Le 13 décembre 2023, j’ai transmis à la ministre du Revenu national mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.
Le 9 janvier 2025, la directrice, Direction de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels, m’a avisée que l’ARC donnerait partiellement suite à l’ordonnance. La directrice a affirmé qu’il y avait certains renseignements, qui n’ont pas été portés à l’attention du Commissariat durant l’enquête, dont la communication devrait continuer d’être refusée en vertu du paragraphe 19(1). Elle a notamment indiqué que les renseignements associés aux codes de congés utilisés par moins de 10 employés ne seraient pas communiqués.
Je rappelle à la ministre que, si elle n’a pas l’intention de donner entièrement suite à mon ordonnance, elle doit exercer un recours en révision devant la Cour fédérale dans le délai mentionné ci-dessous.
Révision devant la Cour fédérale
Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Lorsque la Commissaire à l’information rend une ordonnance, l’institution a également le droit d’exercer un recours en révision. La partie plaignante et/ou l’institution doivent exercer un recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables suivant la date du présent compte rendu. Si celle-ci n’exerce pas de recours, le commissaire à la protection de la vie privée peut exercer un recours en révision dans les 10 jours ouvrables suivants. Quiconque exerce un recours en révision doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ces délais, toute ordonnance rendue prend effet le 46e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.
Autres destinataires du compte rendu
Conformément au paragraphe 37(2), le présent compte rendu a été envoyé au commissaire à la protection de la vie privée du Canada.