Agence de la santé publique du Canada (Re), 2023 CI 06

Date : 2023-03-10
Numéro de dossier du Commissariat : 5820-04413 et 5822-04414
Numéro de dossier de l’institution : PHAC-A-2020-000017 et PHAC-A-2020-000018

Sommaire

La partie plaignante allègue que l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) n’a pas effectué une recherche raisonnable en réponse à deux demandes d’accès en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Les plaintes s’inscrivent dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

Chacune des demandes visait des documents électroniques envoyés ou reçus par une personne travaillant à l’entrepôt à titre de gestionnaire durant une période précise, concernant des masques.

L’ASPC n’a pu repérer aucun document répondant à l’une ou l’autre des demandes. L’enquête a révélé que la personne avait supprimé le contenu de sa boîte de courriels et ne pouvait donc plus récupérer les documents pertinents. Durant l’enquête, l’ASPC a effectué des recherches supplémentaires et trouvé des documents pertinents.

Les plaintes sont fondées.

Plainte

[1]      La partie plaignante allègue que l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) n’a pas effectué une recherche raisonnable en réponse à deux demandes d’accès en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

[2]      La première demande (5820-04413) visait des documents électroniques concernant des masques, envoyés ou reçus par une personne travaillant à l’entrepôt à titre de gestionnaire dans le cadre du programme de Réserve nationale stratégique d’urgence, en décembre 2019.

[3]      La seconde demande (5820-04414) visait des documents électroniques concernant des masques, envoyés ou reçus par la même personne, du 1er au 15 avril 2020.

[4]      Les deux plaintes s’inscrivent dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

Enquête

Recherche raisonnable

[5]      L’ASPC est tenue d’effectuer une recherche raisonnable pour les documents visés par la demande d’accès, c’est-à-dire qu’un ou des employés expérimentés de l’institution ayant une connaissance du sujet de la demande d’accès doivent avoir fait des efforts raisonnables pour repérer et localiser tous les documents raisonnablement liés à la demande.

[6]      Une recherche raisonnable correspond au niveau d’effort attendu de toute personne sensée et juste à qui l’on demande de chercher les documents pertinents à l’endroit où ils sont susceptibles d’être conservés.

[7]      Il n’est pas nécessaire que cette recherche soit parfaite. Une institution n’est donc pas tenue de prouver hors de tout doute qu’il n’existe pas d’autres documents. Les institutions doivent toutefois être en mesure de démontrer qu’elles ont fait des démarches raisonnables pour repérer et localiser les documents pertinents.

L’institution a-t-elle effectué une recherche raisonnable de documents?

[8]      En janvier 2021, les responsables de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP) de l’ASPC ont été informés que la personne désignée n’avait pas les documents répondant aux deux demandes d’accès. Après enquête, ils ont découvert que cette personne avait supprimé sa boîte de courriels au complet, car la taille de celle-ci dépassait la limite, et la personne considérait que la totalité des documents dans la boîte étaient éphémères.

[9]      Dans ses observations au Commissariat à l’information, l’ASPC a expliqué qu’au début de la pandémie de COVID-19, elle subissait des changements organisationnels et ses ressources humaines croissaient de façon importante, afin d’être en mesure d’exécuter les programmes et de donner les conseils dont avait besoin le Canada. Les employés et la direction faisaient des journées de travail exceptionnellement longues et subissaient énormément de pression; leurs priorités changeaient constamment et ils géraient les risques en ce qui a trait aux activités.

[10]    L’ASPC a aussi expliqué que la direction générale qui a reçu les deux demandes d’accès visées par ces plaintes avait commencé à recevoir des demandes durant une période où le roulement était constant. L’ASPC a confirmé que, bien que la recherche de ces documents en vue de les évaluer a été effectuée relativement vite, la personne désignée n’a pas été avisée des demandes et n’était donc pas au courant de l’obligation de conserver les documents, y compris les documents éphémères qui auraient pu être pertinents. L’ASPC a également indiqué que, lorsque la personne désignée a reçu les deux demandes, elle avait déjà supprimé tous les courriels des périodes visées et n’avait aucun document à fournir. L’ASPC a aussi admis que, lorsqu’on a constaté que les courriels avaient été supprimés, la période pendant laquelle un compte de courriel peut être restauré était passée.

[11]    En réponse à des questions de la part du Commissariat sur la nature des documents et le fait que la personne désignée aurait probablement envoyé ou reçu des documents à valeur opérationnelle visés par la demande, l’ASPC a expliqué que, dans le cadre de son rôle, cette personne n’est pas appelée à produire beaucoup de documents à valeur opérationnelle. Ce rôle est de nature opérationnelle, car la personne s’occupe principalement des expéditions envoyées et reçues par l’ASPC. Cette dernière a ajouté que la personne désignée ne produit pas de rapports et ne compile pas de données, et elle ne prend pas non plus de décisions liées à l’acquisition ou à la distribution de fournitures. L’ASPC a aussi expliqué qu’il serait très inhabituel que cette personne ait dans ses courriels des documents à valeur opérationnelle qu’elle serait responsable de conserver. Bien que des documents comme des feuilles de route ou des documents pour l’aliénation des marchandises soient passés par la personne désignée aux fins d’examen, il est rarement, même pas du tout, nécessaire qu’elle les conserve, puisque d’autres employés sont responsables de la gestion des documents organisationnels.

[12]    Comme la personne désignée n’avait pas de documents, il aurait été raisonnable que l’ASPC vérifie si d’autres employés auraient pu avoir des documents pertinents (p. ex. des courriels envoyés à la personne désignée ou reçus de sa part) et s’il y avait d’autres endroits où des documents auraient pu être conservés. Selon moi, ces démarches auraient constitué des efforts raisonnables pour chercher les documents. Cependant, l’ASPC n’a pas envisagé d’autres sources de documents avant de répondre à la demande d’accès, à la fin de mars 2021.

[13]    L’ASFC n’a pas demandé aux employés qui ont communiqué avec la personne désignée par courriel durant la période visée par la demande d’accès de chercher des documents pertinents, y compris des courriels envoyés ou reçus et dont ils avaient reçu une copie conforme. L’ASPC n’a pas non plus demandé à des employés qui n’occupaient pas des postes de nature opérationnelle et qui auraient été responsables de sauvegarder les documents dans les dépôts organisationnels. L’ASPC ne semble pas non plus avoir cherché dans le dépôt organisationnel des documents envoyés ou reçus par la personne désignée (y compris des documents elle a reçu une copie conforme). Toutes ces démarches auraient été raisonnables, dans les circonstances.

[14]    Cependant, au cours de l’enquête, l’ASPC a eu recours à la criminalistique informatique pour chercher dans tous les comptes de courriel actifs et a repéré des documents répondant aux deux demandes.

[15]    Le 9 décembre 2022 et le 13 février 2023, l’ASPC a fait des communications supplémentaires de 15 et 92 pages. Selon l’information au dossier ainsi que les observations reçues de l’ASPC sur la nature des documents et le rôle de la personne désignée, je suis d’avis que, vu la nature opérationnelle de son poste, cette personne n’aurait pas eu de raison de considérer qu’il lui incombait de sauvegarder les 107 pages en question. En effet, bien que les documents en question, qui comprenaient des renseignements sur l’expédition, des demandes d’aliénation des marchandises et des instructions au personnel, aient pu fournir de l’information au sujet de l’approvisionnement en masques et de leur mouvement durant une pandémie, l’information n’avait pas de valeur opérationnelle pour cette personne.

[16]    Ce dit, n’ayant pas accès au compte de courriel de la personne désignée, qui a été complètement effacé, je ne peux pas vérifier si les autres courriels effacés auraient pu ou auraient dû être conservés par la personne en raison de leur valeur opérationnelle. Bien que je comprenne qu’il y a de bonnes raisons pour limiter la capacité des boîtes de courriel, notamment la bonne gestion de l’information, la décision de supprimer un compte entier soulève la question de savoir quels autres documents ayant pu répondre aux demandes ne sont plus disponibles. Il est plutôt surprenant, et, on l’espère, inhabituel qu’un fonctionnaire décide de supprimer tous ses courriels, envoyés et reçus, à n’importe quel point dans sa carrière. Cela dit, un examen minutieux du dossier d’enquête n’a révélé aucune preuve relative à la perpétration d’une infraction à la Loi.

[17]    Cependant, cette situation soulève de sérieuses questions quant à la confiance et, plus important encore, à la bonne gestion de l’information. Par conséquent, l’ASPC a fourni au Commissariat un plan d’action pour améliorer son rendement reposant sur les éléments suivants :

  1. renforcement de la responsabilité;
  2. gestion de la demande;
  3. amélioration de l’infrastructure et des outils.

[18]    Dans le cadre de ce plan, l’ASPC a confirmé qu’il était maintenant obligatoire pour ses employés de suivre une formation complète sur l’AIPRP. En outre, l’ASPC a déclaré que des renseignements concernant les fonctions liées à l’AIPRP ont été ajoutés aux séances d’information données à tous les nouveaux employés. Compte tenu de ce qui précède, j’ai décidé qu’il n’est plus nécessaire d’ordonner à l’ASPC d’effectuer une recherche supplémentaire pour chaque demande.

[19]    Néanmoins, au cours de mon enquête, il est apparu évident que l’ASPC a, à tout le moins, mal traité ces deux demandes d’accès à de nombreux égards, au début de la pandémie. À l’avenir, grâce au plan d’action élaboré durant mon enquête, y compris des messages directs de la présidente aux cadres supérieurs au sujet de l’importance de leur rôle de soutien auprès des dirigeants des directions générales en ce qui a trait à leurs responsabilités en matière d’AIPRP et, plus généralement, du droit d’accès, je ne doute pas que la nouvelle présidente poursuivra sur la lancée de son prédécesseur et atteindra ses objectifs pour ce qui est de s’assurer que la bonne gestion de l’information et le droit d’accès sont importants au sein de l’organisation.

[20]    On peut comprendre que, en cette période extraordinaire, l’ASPC se concentrait sur les questions existentielles que sont la santé publique et la sécurité. Cependant, le droit d’accès est un droit quasi constitutionnel et il devrait être traité comme tel. Ce droit ne pouvant exister sans les documents, il est essentiel que toutes les mesures nécessaires soient prises pour créer et conserver les documents dans lesquels sont consignées les décisions et les mesures prises, même dans des circonstances exceptionnelles. C’est seulement ainsi que nous pouvons nous assurer que les institutions rendent des comptes, ce qui est l’un des principaux objectifs de la Loi, et, par le fait même, que nous conservons la confiance du public.

Résultat

[21]    Les plaintes sont fondées.

Lorsque la plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. La partie plaignante doit exercer ce recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables après la date du compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43.

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